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cropping systems to fungal pressure

I. Le concept de robustesse

I.1. Les apports conceptuels

Cette thèse s’intéresse à l’émergence d’un nouveau concept, celui de la robustesse. Son adoption et son opérationnalisation deviennent urgents du fait des menaces et des tensions qui pèsent sur la planète en raison de l’inadéquation entre notre modèle de développement et la raréfaction des ressources naturelles disponibles sur la planète. Le contexte d’incertitudes croissant que nous connaissons nous pousse à adopter une nouvelle vision qui prenne mieux en compte la variabilité des performances dans un environnement changeant, et leur capacité à se maintenir face à cet environnement changeant.

L’introduction de ce concept de robustesse s’adresse particulièrement au contexte agricole. En effet, les incertitudes liées au changement climatique, à la volatilité des prix des produits et des intrants agricoles, aux impacts négatifs sur l’environnement, etc., créent un contexte défavorable à l’élaboration des performances sous le paradigme du contrôle. Au lieu de chercher à maximiser les performances moyennes en contrôlant le milieu et en ayant recours à des intrants extérieurs à l’exploitation agricole, le paradigme de la robustesse consiste à appréhender le milieu comme un environnement changeant et à accepter ces contraintes. L’enjeu est alors d’apprendre à anticiper et à s’adapter à cet environnement changeant afin de réduire l’impact des perturbations sur les performances.

Tout un champ de la littérature scientifique s’intéresse à ce nouveau paradigme et à l’adaptation des systèmes agricoles face à un environnement changeant. Le concept de robustesse côtoie ceux de résilience, de vulnérabilité ou encore de stabilité. Les ponts sont nombreux entre ces différents concepts et il serait inutile de chercher à les hiérarchiser ou les classer. Le concept de robustesse nous a néanmoins paru le plus intéressant en raison de son opérationnalité, notamment dans le contexte agricole. Quelques travaux récents ont d’ailleurs permis son application dans les systèmes d’élevage (voir, par exemple, de Goede (2014) ou Ollion (2015)). Dans les systèmes de grandes cultures, en revanche, son application et son opérationnalité sont restées limitées. Cette thèse visait donc à mieux définir ce concept de robustesse afin de déterminer son potentiel pour mieux évaluer les performances des systèmes agricoles face à un contexte croissant d’incertitudes.

Dans cette thèse, la robustesse est définie comme la capacité d’un système donné à maintenir ses performances malgré des changements du contexte, c’est-à-dire malgré l’apparition de

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perturbations. Cette définition assez large permet de décliner ce concept à de nombreuses problématiques agricoles à travers différents objets d’études (variétés, cultures, systèmes de culture), différentes performances (productives, économiques, environnementales, voire sociales) et différentes perturbations (climat, bioagresseurs, marchés, politiques publiques). Le cadre conceptuel de la robustesse permet ainsi d’appréhender des questions complexes, telles que l’interaction entre le rendement et le climat ou l’interaction entre l’utilisation de pesticides et le niveau de pression maladies, de manière originale.

I.2. Les conditions d’opérationnalité du concept de robustesse

Néanmoins, la mise en pratique de ce concept de robustesse impose de clarifier son cadre d’usage afin d’éviter de tomber dans le même travers que celui lié à la résilience, à savoir une confusion étymologique qui limite aujourd’hui son opérationnalité. Il apparaît donc important d’insister sur la nécessité de se poser des questions simples, mais nécessaires, lorsque l’on veut étudier la robustesse d’un système donné : robustesse de quoi/de qui ?, à quoi ?, et pour quoi ? Et c’est à partir des réponses à ces questions simples que l’on pourra s’intéresser à la question suivante : la robustesse, comment y parvenir ?

Robustesse de quoi/de qui ? Il s’agit ici de définir l’objet d’étude, c’est-à-dire les limites du système étudié. Ce choix dépend évidemment de la question de recherche que l’on se pose. Les limites du système étudié peuvent être étroites (cas de la production de blé sur une exploitation donnée) à très larges (production de blé sur l’ensemble d’un territoire, d’un pays, de la planète). L’échelle temporelle peut également varier : de l’échelle annuelle (cas d’une culture comme le blé) à l’échelle pluriannuelle (cas d’un système de culture).

Robustesse à quoi ? Il s’agit ici de s’intéresser à l’environnement dans lequel évolue le système. Les variations de cet environnement qui sont susceptibles d’impacter les performances du système étudié sont appelées perturbations. Ces dernières peuvent être de différentes natures (météorologiques, climatiques, économiques, biotiques, etc.), de différentes fréquences (de très rares à très communes) et de différentes intensités. Le choix des perturbations doit être évidement réfléchi en fonction de la nature et des échelles du système défini précédemment. A l’échelle d’une culture comme le blé, il convient ainsi de privilégier des perturbations qui sont temporellement cohérentes avec son cycle cultural (via l’utilisation d’indicateurs phénoclimatiques définis sur des stades phénologiques précis ou via un modèle de culture qui simule la croissance du blé au cours du temps).

Robustesse pour quoi ? Il s’agit enfin de définir la ou les performances du système dont on veut étudier la robustesse. Ces performances doivent être choisies de manière cohérente avec les perturbations et les échelles du système étudié. En particulier, il est préférable que la performance retenue soit directement, plutôt qu’indirectement, influencée par les perturbations étudiées même si les impacts indirects pourront être étudiés en fonction des résultats précédents. Par exemple, l’impact des perturbations abiotiques sur les revenus des agriculteurs peut être étudié indirectement à travers la robustesse du rendement face aux perturbations abiotiques.

Dans cette thèse, nous avons déployé le cadre d’analyse de la robustesse sur deux problématiques différentes : d’une part, la robustesse du rendement face aux perturbations abiotiques, et, d’autre part, la robustesse de l’intensité de la protection fongicide face aux perturbations biotiques. Ces deux problématiques ont été définies à l’échelle de la culture du blé tendre sur les exploitations

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agricoles. Les deux indicateurs de perturbations abiotiques et biotiques ont alors été construits de manière à synthétiser l’ensemble des perturbations liées aux variations des conditions météorologiques et des maladies fongiques, respectivement. Le choix de la deuxième performance doit néanmoins être discuté car, à l’inverse de la performance rendement qui un indicateur de résultat, l’IFT fongicides est un indicateur de moyen (et non de résultat) de la performance environnementale. En outre, l’utilisation de fongicides répond à un objectif de rendement fixé par l’agriculteur. Cette bivalence de la performance IFT explique, au moins en partie, la difficulté que nous avons eu à identifier une relation claire entre cette performance et le niveau de perturbations biotiques.

I.3. Liens entre robustesse et performance moyenne

Comme indiqué en introduction de cette thèse, il est urgent de mieux prendre en considération, dans l’analyse de la durabilité des systèmes agricoles, la question de la robustesse de leurs performances face à un environnement changeant. Jusqu’à présent, ce sont principalement les performances moyennes qui ont été étudiées. Le cadre d’évaluation de la robustesse que nous avons défini doit permettre d’intégrer plus systématiquement la notion de robustesse dans ces analyses multicritères, et de mieux arbitrer les éventuels trade-offs entre valeur moyenne de la performance et sa robustesse. En effet, le cadre d’évaluation que nous avons défini permet de mesurer à la fois les performances du système étudié lorsque les conditions (climatiques, biotiques, etc.) sont moyennes, ou normales, et leur robustesse face à des changements du milieu.

Ce cadre d’évaluation de la robustesse nous permet ainsi d’apporter de nouveaux éléments pour juger de la durabilité d’un système agricole (Ingrand et al., 2009). En effet, que faut-il conclure sur la durabilité d’un système agricole s’il présente une performance moyenne très élevée mais une robustesse faible? Face à un contexte croissant d’incertitudes, on pourra conclure que ce système n’est pas durable car il ne sera pas capable de résister à des conditions qui risquent de devenir de plus en plus hétérogènes à l’avenir. Le cadre d’évaluation développé permet ainsi d’analyser la relation entre performance moyenne et robustesse et d’évaluer si l’une des deux dimensions est pénalisée.

Pour ce qui est de la performance relative à l’intensité de la protection fongicide, l’application du cadre conceptuel de la robustesse est plus délicate, notamment en termes d’interprétation des résultats. En effet, alors que la robustesse du rendement est un élément positif pour l’agriculteur, il en va différemment pour la robustesse de l’IFT étant donné son influence sur d’autres performances, dont le rendement. En l’occurrence, est-il préférable d’avoir un IFT très robuste ou très peu robuste face aux perturbations biotiques ? Tout dépend de l’objectif de production de l’agriculteur encore une fois. Si ce dernier cherche à maximiser son rendement, il va probablement chercher à protéger ses cultures au maximum donc faire varier son intensité d’utilisation de fongicides en fonction du niveau de perturbation biotique. On mesurera alors un IFT peu robuste, i.e., s’ajustant à la pression de maladies. Par contre, si l’objectif est de minimiser l’utilisation de pesticides pour diminuer leurs impacts contraires sur l’environnement et la santé, on devrait observer un IFT faible face à des perturbations moyennes et robuste face à la variabilité des perturbations biotiques. L’IFT est donc une performance dont l’analyse de la performance moyenne et de la robustesse n’est pas aussi simple que celle du rendement. Nous y reviendrons dans la partie 2.2 de cette discussion.

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