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Le concept de pauvreté et ses différents contours

Vu l’existence d’une grande panoplie d’études à son sujet, le concept de pauvreté serait considéré aujourd’hui comme bien connu de l’humanité tout entière. Mais malgré cette grande attention de la communauté scientifique, le concept reste encore complexe et parfois sujet à controverses pouvant susciter, même au sein d’une même nation, des difficultés de compréhension et d’identification de son existence selon le moment et le lieu (Lollivier, 2008).

Pour Mollat du Jourdin (1966, p.5), au Moyen-Âge, le concept de pauvreté « rameute tous les malheureux ». C’est ainsi qu’il donne l’étymologie latine du terme qui désigne le concept de pauvreté au Moyen-Âge, avant la moitié du XIVe siècle : « Ainsi les textes donnent au mot paupertas, […] une gamme de sens allant de la précarité à l’urgente détresse, pour inclure également les misères physiques et intellectuelles. » (Ibid).

La pauvreté est donc un concept ancien, séculier qui a évolué au fil des temps et de l’espace, selon la vie et les transformations sociétales. Mercier, citant Milano, en décrit plusieurs interprétations à travers le temps. Elle pose une chronologie des regards du concept pauvre selon l’ordre suivant :

du pauvre mendiant, puis du pauvre peuple du XVIe au XVIIIe siècle et de l'ouvrier des classes dangereuses tout au long du XIXe siècle; au XXe siècle, les visages de la pauvreté se multiplient avec le pauvre du tiers monde, des pays riches et des pays ex-socialistes (Milano, 1992, p. 5, dans Mercier, 1995, p. 8).

Cette lecture montre que le concept de pauvreté a évolué dans l’histoire. Il n’est pas resté fixe et ne demeure pas statique de nos jours. On est passé du pauvre s’attendant à l’aumône au pauvre aux multiples visages, aux multiples définitions, que tentent d’exprimer plusieurs approches et plusieurs disciplines scientifiques.

S’il est vrai que le concept de pauvreté a évolué à travers le temps et l’espace et qu’il demeure un terme en perpétuelle évolution, quelle est actuellement la définition que nous pouvons lui accorder?

De la multitude des définitions que nous donne la littérature, on peut s’appuyer dans l’effort de la compréhension du concept sur celle proposée par Gublin (2014, p. 2) qui stipule que :

La pauvreté peut se manifester de manière multiple : par la faiblesse ou l’absence d’un revenu, par un logement précaire, par une mauvaise santé, par une éducation insuffisante, par la sous-alimentation ou un environnement dégradé… Ces facteurs varient d’une région à une autre, d’un groupe de personnes à d’autres ce qui complexifie la quantification du phénomène, néanmoins il est clair que la pauvreté est multidimensionnelle.

Cette définition nous amène à croire que le concept de pauvreté n’a pas la même portée dans les pays industrialisés que dans ceux qui sont en processus de développement.

Elle peut se résumer par l’état d’un individu en incapacité de s’offrir les besoins vitaux de première nécessité, mais également, tout ce qu’il faut pour assurer son épanouissement physique et mental.

La littérature cherchant à définir la pauvreté montre l’existence de plusieurs approches et de divers paramètres de mesure de la pauvreté. Le monde scientifique, le monde de la finance, les organismes internationaux ou le milieu sociocommunautaire débattent de la pauvreté et chacun y va de son regard, de sa compréhension et de sa conception du terme.

Les travaux de Bellu et Liberati (2006), experts de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), donnent le point de vue de la FAO sur le concept de pauvreté selon la thèse de Sen qui qualifie la pauvreté comme un état de privation c’est-à-dire « le manque de ‘’ capacité ‘’ à fonctionner dans une société donnée. » (Sen, 1985 dans Bellu et Liberati, 2006, p. 2) La pauvreté est considérée, ici, comme une condition sociale ne répondant pas aux normes vitales de la société.

Pour Pogge (2009), la Banque Mondiale a un regard de la pauvreté réduite à la capacité de chaque individu à s’offrir des biens nécessaires. Elle considère la pauvreté comme étant :

le pouvoir d’achat que procure une certaine somme en dollars durant une année donnée (« année de référence »). Elle détermine cette somme selon les seuils de pauvreté domestique déjà en usage dans les différents pays étudiés. Elle a d’abord choisi le seuil de pauvreté intérieur le « plus typique » pour les pays en voie de développement, défini par un budget mensuel par personne possédant un pouvoir d’achat équivalent à celui de 31 dollars aux États-Unis en 1985. Plus tard, ce montant fut arrondi vers le bas à 30,42$, soit « un dollar par jour ».

(Pogge, 2009)

Mais cette mesure d’établissement d’un potentiel « seuil de pauvreté international » qui varie périodiquement revêt des difficultés dans le cadre de sa mise en application dans tous les pays vu la différence des monnaies en usage, la temporalité et le hiatus des coûts des biens entre les pays (Ibid.). C’est ce qui pousse l’auteur, pour des raisons suscitées, à douter de la capacité de cette mesure à servir de base pour juguler le

phénomène de pauvreté dans le monde (Ibid.). Tenant compte de toutes ces raisons la Banque Mondiale réévalue de temps en temps sa mesure de seuil de pauvreté et ce montant est passé de 1,25 $ US en 2005 à 1,90 $ US en 2015 (Banque Mondiale, 2019).

De même, Gublin (2014, p. 2-3) considère cette approche de la pauvreté par la Banque mondiale comme « monétaire », car ne relevant que deux aspects du concept : « la pauvreté absolue » qui définit l’état des individus ne pouvant répondre à leurs « besoins alimentaires essentiels » et « la pauvreté relative » qui désigne l’état des individus ne pouvant répondre à d’autres soucis que la nourriture. Ces deux notions essentielles du concept de pauvreté peuvent autrement se lire comme étant respectivement : une incapacité de s’alimenter, s’abriter et se couvrir mais également comme une impossibilité à un groupe de sujets de bénéficier de tous les avantages et faveurs habituellement accordés à l’ensemble de leurs congénères (Raphael, 2004 dans Tardif et al., 2009).

Les Nations Unies célèbrent la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté tous les 17 octobre de chaque année (Nations Unies, 2019.). Et cette année, la présentation de cette journée s’est faite sous le signe du décalage existant entre les grandes avancées en termes de développement que vit l’humanité et l’existence d’une grande partie de sa population vivant dans une grande paupérisation (Nations Unies, 2019). Selon le Programme des Nations Unies pour le développement, la bonne prise en compte du concept de pauvreté doit se faire en conjuguant toutes les dimensions liées à l’homme, d’où son approche de la « pauvreté humaine » qu’il définit en ces termes : « absence des capacités humaines de base : analphabétisme, malnutrition, longévité réduite, mauvaise santé maternelle, maladie pouvant être évitée » (PNUD, 2000 dans Kouni, s. d., p. 4).

Ce regard du PNUD élucide le fait que la pauvreté soit la conséquence d’un assemblage de causes. L’approche PNUD décrit les variations des niveaux du concept. On ne peut s’attaquer à la pauvreté qu’en mettant en place une dynamique d’intégration des stratégies.

Ces divergences de vision dans la prise en compte du concept de pauvreté ont pour conséquences une multitude de paramètres et de mesures de la pauvreté dans le monde.

Pour évaluer ou classer la pauvreté, on doit prendre en compte tous les enjeux que cet état suscite pour mettre en place un critérium qui permettra de recueillir des éléments quantitatifs et qualitatifs du phénomène (Martin, 2012).

Par exemple, le PNUD fait usage des indicateurs dits « composites », c’est-à-dire des indicateurs qui s’appuient sur plusieurs sous-indicateurs, pour évaluer l’état de pauvreté d’un pays (Ibid.). C’est le cas de l’Indice de développement humain (IDH) et de l’Indice de pauvreté multidimensionnelle (IPM) (Ibid.). La Banque mondiale, l’Eurostat comme l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) s’intéressent aux indicateurs dits « strictement monétaires » c’est-à-dire des indicateurs basés sur la mesure du « seuil de pauvreté » (Ibid.).

Au Québec, la définition du concept de pauvreté est donnée par la loi 112 (loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale), adoptée en 2002 (Assemblée nationale, 2002). Les auteurs (Klein et Champagne, 2011) dans Initiatives locales et lutte contre la pauvreté et l’exclusion, réfléchissant sur les moyens à prendre pour vaincre la « pauvreté et l’exclusion » au Québec, reprennent la définition de la pauvreté de l’Assemblée nationale :

la condition dans laquelle se trouve un être humain qui est privé des ressources, des moyens, des choix et du pouvoir nécessaires pour acquérir et maintenir son autonomie économique ou pour favoriser son intégration et sa participation à la société (Assemblée nationale, 2002 dans Klein et Champagne, 2011, p. 40).

La pauvreté au Québec revêt, selon Côté et Scarfone (2019, p. 7), trois échelles d’appréhension qui sont : « culturelle, éducative et économique ». Les mêmes auteurs affirment l’absence de l’usage d’un « taux de pauvreté » au Québec et que ces différents paliers de compréhension, d’appréciation du concept rendent ainsi complexe son évaluation (Noreau, 2017 dans Côté et Scarfone, 2019, p. 7).

Ducharme et Dupuis (2018) faisant une analyse d’un potentiel « seuil officiel de pauvreté », que souhaite instaurer l’État Canadien avec le « projet de loi C-87 », émettent des réserves sur le bien-fondé de cette initiative dans la lutte contre la pauvreté. Les deux auteurs pensent que ce seuil, pris à partir de « la mesure du panier de consommation (MPC) », ne circonscrit pas réellement toute la réalité de la problématique de la pauvreté au Québec (Ibid.). Ils l’énoncent en ces termes :

Ce montant s’élève en moyenne à 18 000 $ pour une personne seule et à 36 000

$ pour une famille de quatre. Une personne ou une famille qui ne parvient qu’à satisfaire ses besoins de base vit nécessairement de manière précaire. Son budget se limite à l’essentiel, chaque dépense imprévue ou perte de revenu, aussi minime soit-elle, a un impact considérable sur sa qualité de vie.

(Ducharme et Dupuis, 2018)

Cette analyse est confortée par les travaux de Hurteau (2018), qui pense que les trois mesures suivantes : « les seuils de faible revenu (SFR), la mesure de faible revenu (MFR) et la mesure du panier de consommation (MPC) » (Ibid., p. 2), utilisées au Québec, ne permettent pas de répondre à la question de la pauvreté, car elles ne prennent pas en considération tous les aspects et les enjeux auxquels sont confrontés les gens vivant dans la précarité. Pour l’auteur, une lutte réaliste contre la pauvreté et l’exclusion, c’est-à-dire l’élaboration de bonnes stratégies capables de vaincre le

phénomène, consisterait à prendre en compte un autre indicateur tel que le « revenu viable » ou le « coût du panier de consommation viable » (Ibid., p.7.).

À côté de la question suivante : comment mieux évaluer la pauvreté au Québec? se pose aussi le défi des mutations que prend le phénomène. En effet, plusieurs auteurs s’accordent à dire que le phénomène de pauvreté présente de plus en plus de nouvelles formes (Lesemann, 1989; Bonneau et Langlois, 2015). Pour Lesemann (1989, p. 114), la dénomination du phénomène de pauvreté jadis réservée, il y a quelques décennies, aux « familles biparentales nombreuses » ne pouvant complètement assurer le poids des charges familiales, revêt présentement plusieurs nouvelles caractéristiques notamment : une prévalence accrue du genre féminin, une baisse croissante des sujets séniles due aux réformes gouvernementales concernant les allocations de retraite, une grande visibilité auprès des classes juvéniles, des individus vivants dans l’insularité et des employés ayant des occupations instables et de faibles ressources. À ces nouvelles caractéristiques de la pauvreté, on peut ajouter les catégories suivantes :

les personnes peu scolarisées, les femmes, particulièrement si elles sont mères monoparentales ou peu scolarisées, les jeunes décrocheurs, les jeunes familles, les personnes âgées de 65 ans et plus, les nouveaux immigrants et les autochtones (Ulysse et al., 2009 ; Gardes, Langlois et Bibi, 2010 dans Bonneau et Langlois, 2015, p. 14).

Ces mutations sont surement la conséquence des « changements démographiques et économiques [qui] surviennent au sein des sociétés industrielles et [dont] la protection sociale n’est plus adaptée à ces nouvelles réalités. » (Bonneau et Langlois, 2015, p. 14)

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