2.4 Théories de la perception
2.4.3 Le concept d’affordance
Selon Gibson, les affordances existent en elles‐mêmes, elles sont comprises dans l’environnement. Cette notion est introduite dans le champ du design par Donald Norman, psychologue de la perception qui s’intéresse à la conception d’objets. Il est aussi acquis pour Norman que l’affordance est comprise dans le monde et que par extension, l’objet, par son apparence, fournit les informations nécessaires à son usage. Mais il distingue les « affordances perçues » des « affordances réelles ». Les premières
peuvent être des conventions, des signes, manipulés par le designer, alors que les affordances réelles peuvent échapper à son action. Norman propose d’aider à la maîtrise des affordances en suggérant de distinguer trois sortes de contraintes : physique, logique et culturelle [NORMAN, 1999] : • la contrainte physique est l’affordance réelle (exemple du curseur de la souris qui ne peut pas sortir de l’écran),
• la contrainte logique est liée à la cohérence entre ce qui est vu/visible par l’utilisateur et comment le système fonctionne (information d’un clic possible sur cinq boutons alors que seuls quatre sont visibles, l’utilisateur comprend qu’il en manque un), la contrainte logique est liée au modèle conceptuel que l’utilisateur se fait du système et qui lui permet de l’utiliser,
• la contrainte culturelle est l’ensemble des conventions partagées par un groupe culturel, d’utilisateurs par exemple.
La contrainte physique ‐ ou l’affordance réelle ‐ est plus forte que les deux autres contraintes, car il est impossible de l’ignorer ou de la contourner. Les contraintes logiques et culturelles peuvent être transgressées ou ignorées, et sont en cela plus faibles. Néanmoins, quand elles sont mobilisées à bon escient par le designer, elles peuvent devenir une aide précieuse pour l’utilisateur. Norman propose 4 caractéristiques spécifiques d’une interface bien conçue [NORMAN, 2004]. . Elle doit : • être évidente, (elle doit permettre l’identification des actions qui sont possibles à tout moment, par l’utilisation des contraintes). • faciliter la formation du modèle conceptuel la représentant, • offrir un bon système de relation entre l’interface et les fonctions, (l’information doit être évidente pour l’interprétation de l’état du système) • présenter un feedback (relation entre actions et l’effet résultant) Overbeeke propose de redéfinir le concept d’affordances et de l’étendre non seulement aux capacités percepto‐motrices de l’utilisateur et à l’environnement, mais aussi à son intention et à ses sentiments [OVERBEEKE and WENSVEEN, 2003], car selon l’auteur, le concept d’unité du sujet inclut ses intentions et n’importe laquelle des actions qui lui sont possibles, action d’imaginer incluse.
[GREENO, 1994] souligne l’origine sociale des représentations mentales. Les gens ne pensent pas et n’agissent pas seuls mais en tant qu’éléments de la communauté sociale et culturelle. Les concepts évoluent hors du discours des communautés des praticiens dans un certain domaine particulier. Par exemple, le concept de rayon de braquage d’une voiture a été construit en réponse à certaines conditions éprouvées par des conducteurs et des ingénieurs automobile. Il peut être employé très différemment par différents groupes de personnes. Ce peut être un concept implicite ‐ affordance plus la capacité d’un conducteur expérimenté. Ou ce peut être un concept symbolique explicite ‐ par exemple, pour l’instructeur qui doit l’expliquer aux étudiants, ou pour l’ingénieur qui le décrit avec la formule mathématique. Et si l’ingénieur conduit également une voiture, ce peut être un concept implicite et explicite en même temps.
Norman invite à considérer, dans son ouvrage « Emotional Design », le rôle de l’esthétique dans la conception de produits, en tant que résultante de l’ensemble des contraintes. Selon lui, un objet attractif rend l’utilisateur détendu, ce qui le rend plus disposé à constituer un modèle conceptuel du système et à être créatif dans la résolution d’un problème qui pourrait survenir, et donc l’amène à considérer le produit comme plus facile à utiliser [NORMAN, 2004]. Ces éléments peuvent aider les concepteurs à distinguer les affordances (réelles) des conventions ou signes (affordances perçues), toutes finalement perçues par l’utilisateur, mais avec un degré d’influence différent pour le concepteur selon qu’il peut concevoir un système ou un élément de système.
[RASMUSSEN and VICENTE, 1989] ont proposé à la fin des années 80 le modèle de conception d’interfaces écologiques s’appuyant aussi sur la Psychologie Écologique de James J. Gibson [GIBSON, 1986]. Ce modèle invite le concepteur à rendre perceptibles et donc compréhensibles par l’utilisateur les contraintes et les relations complexes de l’environnement dans lequel est utilisé le système.
La figure 27 illustre la taxonomie SRK20 mettant en relation les 3 niveaux impliqués dans la perception: les habiletés, les niveaux de règles et les niveaux de connaissances (Skills, Rules, Knowledge) [RASMUSSEN and VICENTE, 1989]. Ce modèle permet au concepteur d’anticiper et de définir les comportements des utilisateurs basés sur les
habiletés (comportement de niveau sensori‐moteur, ne requérant que très peu ou
aucun contrôle conscient pour exécuter une action routinière), les signes ou niveaux de
règles (comportement basé sur l’utilisation de règles sans forcément connaître les principes qui les soutiennent) et les signes ou les connaissances (comportement basé sur un raisonnement, induisant une charge mentale plus importante pour l’utilisateur, sollicité lors de situations nouvelles ou impliquant de résoudre un problème). La distinction entre les comportements basés sur les habiletés et les comportements basés sur les signes ou niveaux de règles dépend de l’attention et du niveau de formation de chaque individu.
Concevoir un système qui sollicite les fonctions de type « sensori‐motrices», a pour conséquence d’alléger la charge mentale de l’utilisateur et de lui permettre d’allouer plus de ressources cognitives à des processus cognitifs de haut niveau tels que la résolution de problème et la prise de décision.
Le concept d’interfaces écologiques proposé par Rasmussen et Vicente pour concevoir des systèmes de contrôle et commande propose un couplage direct entre la structure conceptuelle du système contrôlé et les caractéristiques cognitives des opérateurs humains, comme indiqué sur la figure 27 ci‐dessous.
Figure 27. Taxonomie SRK mettant en relation les niveaux impliqués dans la perception