• Aucun résultat trouvé

A. Adhérence des plaquettes

1. Le complexe glycoprotéique GPIb-V-IX

Lors d’une brèche vasculaire, la première interaction entre le sous-endothélium et les plaquettes se fait par l’intermédiaire du complexe glycoprotéique GPIb-V-IX plaquettaire et le facteur von Willebrand (vWF). Cette glycoprotéine et son rôle ont été découverts grâce à l’étude de patients souffrant d’une maladie de Bernard-Soulier caractérisée par un syndrome hémorragique. La première purification de GPIb a été réalisée en 1969. Le lien entre la maladie de Bernard-Soulier et l’absence de GPIb est établi au milieu des années 1970 (Grottum and Solum 1969, Nurden and Caen 1975).

Le facteur von Willebrand est une glycoprotéine multimérique présente dans le sous-endothélium et dans le plasma. Il est stocké dans les corps de Weibel-Palade (WPB) des cellules endothéliales et dans les granules alpha des plaquettes. Le vWF constitutivement sécrété par les cellules endothéliales à leur face basale se lie par ses domaines A1 et A3 aux collagènes de type I et III du sous-endothélium permettant une interaction indirecte du collagène avec le complexe GPIb-V-IX (Bonnefoy, Romijn et al. 2006). Lorsque les cellules endothéliales sont soumises à un stress, le vWF est sécrété à la face apicale vers la lumière vasculaire. Sous l’effet des forces de cisaillement il acquiert une conformation permettant la liaison par son domaine AI à la sous-unité GPIb des plaquettes.

A la surface des plaquettes, le complexe GPIb-V-IX est présent à une densité d’environ 25 000 copies. Chaque complexe compte deux sous-unités GPIb (135 kDa), deux sous-unités GPIb (26 kDa), deux sous-unités GPIX (20 kDa) et une sous-unité GPV (82 kDa) (Figure 7). Chaque sous-unité de ce complexe appartient à la superfamille des leucine-rich repeat proteins (LRR), un motif essentiel à leur fonction (Broos, De Meyer et al. 2012, Bryckaert, Rosa et al. 2015).

33

Figure 7 : Représentation du complexe GPIb-V-IX. Ce complexe se compose de deux sous-unités GPIb, GPIb, GPIX et d’une sous-unité GPV. Il est ancré au cytosquelette d’actine par la filamine A et est associé à la protéine 14-3-3ζ et à la calmoduline (CaM). Ce complexe peut interagir avec de nombreux ligands (facteur von Willebrand, thrombine, P-sélectine, Mac-1) dont les sites de liaison à GPIbα sont indiqués sur le schéma (adapté de (Lanza 2008)).

Cette première interaction entre les plaquettes et le sous-endothélium se fait à des taux de cisaillement élevés. Elle est rapide et réversible permettant le roulement des plaquettes (rolling) et leur ralentissement avant une adhésion stable. La liaison du complexe GPIb-V-IX à son ligand déclenche une signalisation intra-plaquettaire complexe (Figure 8) mettant en jeu de nombreux effecteurs dont la phosphatidylinositol-3-kinase (PI3K), les kinases à tyrosine Src et Lyn et la phospholipase Cγ2 (PLCγ2). Ces voies aboutissent à la sécrétion des granules plaquettaires, à la synthèse de thromboxane A2 et à l’activation de l’intégrine αIIbβ3 notamment par le recrutement de la taline via la GTPase Rap1 (Bryckaert, Rosa et al. 2015).

Il est intéressant de remarquer que les kinases de la famille Scr (SFK), Src et Lyn, sont associées au complexe GPIb-V-IX. Elles contribuent à l’activation des récepteurs à ITAM (Immunoreceptor tyrosine-based activation motif ) par une signalisation inside-out (Senis, Mazharian et al. 2014).

34

Figure 8 : Signalisation plaquettaire en aval du complexe GPIb-V-IX. La liaison du facteur von Willebrand au complexe GPIb-V-IX conduit à l’activation de différentes voies de signalisation qui conduisent à la sécrétion des granules plaquettaires et à l’activation de l’intégrine αIIbβ3 par une

signalisation inside-out. Les SFK sont également recrutées et contribuent à l’activation des récepteurs à ITAM par une signalisation inside-out. La voie mettant en jeu la NOS (Nitric oxide synthase) et la PKG reste controversée (Bryckaert, Rosa et al. 2015).

Les principaux facteurs régulant la liaison vWF-GPIb sont les forces de cisaillement et l’activité de la métalloprotéase ADAMTS13 (A disintegrin and metalloprotease with thrombospondin type I repeats- 13). ADAMTS13 est une protéase (200 kDa) présente dans la circulation générale sous forme active qui clive spécifiquement les multimères de très haut poids de vWF sur des sites rendus accessibles en condition de cisaillement élevé, limitant ainsi son pouvoir adhésif (Veyradier and Coppo 2011). Le stress oxydatif peut à la fois modifier la conformation du facteur von Willebrand limitant son clivage par ADAMTS13 (Chen, Fu et al. 2010) et inhiber l’activité de ADAMTS13 (Wang, Chen et al. 2015). De plus, la partie extracellulaire de GPIbα peut aussi être clivée par la métalloprotéase ADAM17 (A disintegrin and metalloproteinase domain-containing protein 17) libérant un fragment nommé glycocalicine.

GPIb a de nombreux autres partenaires que le facteur von Willebrand. Les plus importants sont indiqués dans le tableau ci-dessous (Tableau 2).

35

Ligands de GPIb-V-IX Fonction

Domaine A1 du vWF Liaison des plaquettes au sous-endothélium ou à l’endothélium activé

Collagène Liaison indirecte par les domaines A1 et A3 du vWF

Thrombine Activation plaquettaire par les faibles doses de thrombine

Mac-1 Liaison des plaquettes aux leucocytes

P-sélectine Liaison des plaquettes à l’endothélium activé ou aux leucocytes

Thrombospondine Liaison au sous-endothélium des petits vaisseaux en condition de haut shear

Tableau 2 : Les principaux ligands du complexe GPIb-V-IX et leurs fonctions. (adapté de (Clemetson 2007)).

Trois polymorphismes de GPIbα ont été décrits. Le premier polymorphisme appelé VNTR (Variable

number of tandem repeat) est localisé dans le domaine extracellulaire de GPIbα, dans sa partie O-glycosylée (macro-glycopeptide). Quatre variants ont été décrits selon le nombre de répétition en

tandem d’une séquence de treize acides aminés entre la sérine 399 et la thréonine 411 : VNTR-A (quatre répétitions), VNTR-B (trois répétitions), VNTR-C (deux répétitions), VNTR-D (une répétition) (Moroi, Jung et al. 1984, Lopez, Ludwig et al. 1992 , Ishida, Furihata et al. 1995). Un cinquième variant très rare VNTR-E ne comportant pas cette séquence de treize acides aminés a aussi été rapporté (Muckian, Hillmann et al. 2000). Ce polymorphisme modifie la distance entre le site de liaison de GPIbα et la membrane plaquettaire ; les variants les plus longs pourraient être plus sensibles aux forces de cisaillement, favorisant la liaison de GPIbα avec le facteur von Willebrand (Moroi, Jung et al. 1984).

Un second polymorphisme HPA-2 (Human platelet antigen-2) a été décrit dans la partie N-terminale du domaine extracellulaire de GPIbα avec l’expression d’un résidu thréonine (HPA-2a) ou d’un résidu méthionine (HPA-2b) en position 145 au sein des motifs LRR. HPA-2 constitue un antigène plaquettaire susceptible de déclencher la synthèse d’allo-anticorps impliqués par exemple dans le purpura post- transfusionnel ou l’allo-immunisation antiplaquettaire fœto-maternelle (Kuijpers, Faber et al. 1992, Kuijpers, Ouwehand et al. 1992). Ce polymorphisme modifie la conformation de la région N-terminale et le variant HPA-2a a une meilleure affinité de liaison pour le facteur von Willebrand que le variant HPA-2b. Aucune différence d’affinité de liaison pour la thrombine entre les deux variants n’a été mise

36 en évidence (Ulrichts, Vanhoorelbeke et al. 2003). Des HPA ont aussi été identifiés sur GPIbβ (Curtis and McFarland 2014).

Dans la séquence Kozak non codante de GPIbα (une séquence consensus dans le promoteur des gènes contrôlant l’efficacité de la traduction), un dimorphisme T/C a été décrit à la position -5. Le variant -5C est associé à une meilleure efficacité de traduction de la protéine et à une augmentation de l’expression de GPIbα à la membrane (Afshar-Kharghan, Li et al. 1999). Ce polymorphisme serait associé à une augmentation des risques cardiovasculaires (Baker, Eikelboom et al. 2001).

La fréquence de ces trois polymorphismes est variable selon les populations étudiées (Simsek, Bleeker et al. 1994, Corral, Gonzalez-Conejero et al. 1998, Aramaki and Reiner 1999, Ozelo, Costa et al. 2004). De plus, un déséquilibre de liaison entre les polymorphismes VNTR et HPA-2 a été observé (Simsek, Bleeker et al. 1994).

La GPIbα humaine est composée de 626 résidus tandis que la forme murine compte 734 résidus. Cette différence de 108 acides aminés chez la souris se traduit par un domaine extracellulaire plus long comparé à l’humain. Les domaines transmembranaire et intra-cytoplasmique humain et murin partagent 95% d’identité. La région N-terminale humaine, contenant le site de liaison au facteur von Willebrand et à la thrombine, partage 75% de similarité avec la séquence murine homologue. Les séquences riches en leucine (LRR) sont conservées entre les deux espèces. Des différences significatives entre humain et souris sont observées au niveau du site de liaison de GPIbα au vWF, avec notamment l’absence de plusieurs résidus chargés négativement et de tyrosines chez la souris comparée à l’humain. Ces différences expliqueraient la spécificité de liaison intra-espèce observée entre GPIb et ses ligands (Ware, Russell et al. 1997, Fujita, Hashimoto et al. 1998, Uff, Clemetson et al. 2002).