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Pietro prend l’exemple des classes en plein air à Lausanne pour expliquer le fait que les parents de milieux socio-économiques défavorisés sont de manière générale moins présents

aux réunions. « Alors là, sur ces parents-là, moi j’avais 12 élèves, et à la soirée de parents, sur

les 12 parents donc 12 élèves j’aurais pu en avoir 24, j’ai eu 2 parents. Représentés. » Il

explique cela par un désintérêt de la part de ces parents qui ont été avertis. Il émet l’hypothèse

qu’ils sont préoccupés par d’autres aspects que l’école ou par leur propre enfant. Il est

cependant aussi possible, comme Auduc (2004) le déclare, que ces parents, de par leur

situation familiale, leur niveau d’instruction, leur culture, etc. ne s’estiment pas prêts à

rencontrer les enseignant-e-s. Par la suite, Pietro explique que par conséquent, il allait jusqu’à

frapper à la porte des familles, même si cela lui paraissait intrusif. Ce qu’il se passe à la

maison, une situation difficile peut avoir un effet mais pour lui le milieu socio-économique a

quand même un fort impact. Il explique qu’avec des parents qui ont un « certain niveau de

formation », il y a une autre discussion, une autre prise en compte de ce qui est dit par les

enseignant-e-s. Par conséquent, il confirme que ces parents comprennent l’intérêt de venir à

l’école, ce qui n’est pas forcément le cas pour d’autres. Ces propos peuvent être mis en lien

avec ce qu’avance Richoz (2015), qui explique que les conflits peuvent survenir à cause des

différentes fonctions des enseignant-e-s et des parents. Nous pouvons également les mettre en

lien avec Asdih (2012), qui pointe que la manière dont les parents répondent aux attentes des

enseignant-e-s va permettre à ces dernières ou ces derniers de se représenter l’intérêt qu’ont

les parents pour l’école – représentations qui peuvent être faussées.

Ensuite, Aline explique avoir pu compter sur la présence des parents, qu’elle considère

comme étant de milieux socio-économiques favorisés cette année, lors de la réunion. Pour

elle, le fait d’être présent est relié au milieu et les milieux plus défavorisés auraient donc

moins tendance à se présenter lors de ce genre de réunions.

Sabine dit aussi que l’implication au niveau des réunions est totalement différente. A

Lausanne et à Yverdon il y avait environ quatre enfants représentés sur une classe, tandis qu’à

Cully, où le milieu socio-économique est généralement plus favorisé, les parents sont tous là,

ou du moins un des deux parents est présent, ce qui était un véritable choc pour elle en

arrivant à Cully. Elle émet l’hypothèse que pour ceux qui ne parlent pas français c’est inutile

de venir, ce que l’on peut à nouveau mettre en lien avec Pecorella (2011) et la barrière de la

langue. Elle dit que parfois, les enseignant-e-s et les parents faisaient venir les enfants pour

traduire. Néanmoins, elle pense que c’est une démarche dangereuse, en prenant l’exemple des

entretiens durant lesquels des sujets sérieux peuvent être abordés ; on n’est jamais sûrs de ce

que l’enfant traduit. Alexandra et Kristina partagent le même avis que Sabine par rapport à la

langue. En effet, pour Alexandra, le statut socio-économique n’a pas réellement d’influence

sur la présence à la réunion des parents, d’autant plus que de manière générale, les parents

voient l'intérêt de venir à la réunion de 5

ème

HarmoS, celle-ci étant la première du cycle 2.

Kristina appuie les dires de Pecorella (2011) en disant que la langue est une barrière qui prend

beaucoup de place et qui rend les familles « défavorisées ». Elle ajoute que les parents qui

parlent une langue étrangère seraient « mal à l’aise. »

Pauline n’est cependant pas tout à fait du même avis que les autres enseignant-e-s. Elle pense

que les parents de milieux socio-économiques favorisés sont moins présents aux réunions.

Elle explique cela par le fait que ces derniers sont occupés et que par conséquent, un seul des

deux est présent. Ainsi, selon Pauline, l’absence des parents traduit un désintérêt de leur part.

Il est aussi possible qu’ils fassent le « doublon » car ils ont déjà eu des enfants de cet âge-là et

qu’au final les réunions de parents, c’est « toujours la même chose » d’après cette

enseignante. « Mais on voit l’attitude de certains parents qui sont là au final que pour

rencontrer les autres parents, ça c’est plutôt les parents des milieux aisés, [...] finalement ils

sont là pour voir la tête des profs. » Nous pouvons rappeler ici ce que Jacobs et al. (2015)

avancent quant aux raisons de la présence des parents aux réunions. Ils expliquent que oui, ils

viennent pour rencontrer l’enseignant-e mais qu’en réalité ils ont des attentes bien plus

précises.

5.6.2. Intervention pendant les réunions

Nous avons demandé aux enseignant-e-s s’ils ressentaient une différence au niveau de la

participation active des parents pendant les réunions. Par participation active, nous entendons

prendre la parole, intervenir, poser des questions, etc. La plupart des enseignant-e-s

interrogé-e-s affirment que ce sont les parents de milieux socio-économiques favorisés qui participent le

plus activement lors des réunions. Pauline ajoute que ceux de milieux défavorisés posent

plutôt leurs questions à la fin. Pietro met cette participation active en lien non seulement avec

leur milieu socio-économique mais aussi avec leur niveau de formation. Pour lui, c’est

justement ceux qui ont un niveau de formation égal ou supérieur à lui qui vont le remettre le

plus facilement en question pendant ces réunions.

Par contre, pour Sabine, les interventions pendant les réunions relèvent principalement de la

personnalité, du niveau de formation et du milieu social des parents. Cependant, elle souligne

également que la facilité des parents de s’exprimer dans la langue est d’une importance

non-négligeable pour oser intervenir pendant les réunions, ce qui peut être mis en lien avec

Pecorella (2011) et la barrière linguistique. Kristina mentionne le fait que les parents de

milieux socio-économiques plus défavorisés auraient tendance à avoir plus de demandes. Elle

explique cela en émettant l’hypothèse que ces parents souhaiteraient compenser ce à quoi ils

n’auraient potentiellement pas eu droit lorsqu’ils étaient eux-mêmes élèves. « Alors ils

veulent tous toujours plein de choses. Même je pense encore plus dans les milieux défavorisés

parce qu’ils aimeraient tout ce qu’ils ont pas eu. »

Jacques n’est pas du même avis que les autres enseignant-e-s. Pour lui, avoir des

représentations différentes quant aux interventions des parents en lien avec leur milieu durant

les réunions relève du stéréotype. Cela dépend du caractère des personnes, de leur éducation

et de leur situation personnelle. De plus, ce dernier dit essayer de rendre les réunions

agréables pour tous les parents, il s’adapte. Il s’agit d’organiser une réunion très courte et

compréhensive pour tout le monde avec une partie récréative à la fin pour justement valoriser

ces parents qui « ont plus de peine. »

5.6.3. Parents de profession enseignante

Certain-e-s enseignant-e-s interrogé-e-s ont mentionné, en lien avec les réunions, les parents

qui sont eux-mêmes enseignants. Selon Sabine, ce sont ceux qui vont plus « chercher la petite

bête. » Pauline suppose qu’étant donné qu’ils ont le même niveau de formation, c’est comme

s’ils animaient la réunion avec le maître de classe. Quant à Pietro, « le plus difficile » pour lui

reste les parents eux-mêmes enseignants, qui précisent qu’ils le sont également, montrent

qu’ils sont là et qu’ils « savent aussi. » En même temps, ces actrices et acteurs partagent le

même habitus culturel des classes dominantes véhiculé à l’école (Crahay, 2000), ce qui peut,

à notre avis, être une possible source de tensions et de conflits. En effet, Richoz (2015)

explique que le conflit survient lorsqu’il y a « désaccord, opposition, rivalité entre les

protagonistes en présence, pour des questions d’opinions, de valeurs, de choix, de priorités,

mais surtout d’intérêts, de compétence et d’autonomie » (p. 47).

5.6.4. Interventions pendant les entretiens

Les enseignant-e-s ne convoquent pas les parents pour des raisons différentes en fonction de

leur milieu. Cependant, Pauline remarque qu’avec ceux de milieux socio-économiques

favorisés, si l’enfant va bien, le sujet va basculer et ils ne vont plus du tout parler de l’école.

En contrepartie, ceux des milieux socio-économiques défavorisés vont plus se concentrer sur

l’école. Alexandra appuie les propos de Pauline en disant que « de toute façon on va pas

parler des mêmes choses. De toute manière. Ce ne sera pas sur le même plan. » Pour

expliquer cela, nous émettons l’hypothèse que les parents d’un milieu socio-économique

élevé et les enseignant-e-s partagent le même habitus culturel de la classe bourgeoise qui est

véhiculé par l’école (Crahay, 2000) et ces actrices et acteurs sont sur la même « longueur

d’onde. »

Par ailleurs, Sabine aborde encore un autre aspect. En effet, en se référant à ce qu’elle a vécu

à Yverdon et dans le centre Lausannois avec des parents de milieux socio-économiques

défavorisés, la mère prenait très peu la parole, si les deux parents étaient là. Le père adoptait

selon elle une « figure patriarche » dans ces familles de milieux défavorisés ou de culture

éloignée. Par contre, à Cully, elle remarque que les parents de milieux favorisés sont tous

deux présents dans la discussion, ce que nous pouvons mettre en lien avec ce que

Bergonnier-Dupuy (2005) avance quant à l’implication de la mère et son niveau d’études.

5.6.5. Organisation des entretiens

Jacques, pour ne pas faire de différences, va toujours proposer des entretiens au-delà de 18

heures. De plus, il estime qu’en tant qu’enseignant, il a assez de temps pour que ce soit lui qui

s’adapte aux parents et non l’inverse.

Sabine explique qu’entre Yverdon et Cully, il existe une grande différence au niveau de

l’organisation des entretiens. Elle remarque que les entretiens étaient moins réguliers avec

familles de milieux socio-économiques défavorisés mais beaucoup plus organisés et

compliqués. En effet, elle ne fait pas de différences à Cully, où elle « croise » les parents en

fin de journée et « en une demi-heure tout est réglé. » Tandis qu’à Yverdon, il fallait

fréquemment convoquer des traducteurs, des doyens, etc. Elle en retient que les entretiens y

étaient moins réguliers mais plus organisés qu’à Cully, dans un milieu socio-économique plus

favorisé. Elle ajoute également qu’à Yverdon, au contraire de Cully, il y avait des dossiers à

disposition avec les informations sur les élèves, car une partie d’entre eux venaient aussi de

classes d’accueil ou de foyers et qu’il était donc difficile de voir les parents ou la tutrice ou le

tuteur. En somme, elle explique qu’il faut effectivement s’adapter en fonction du milieu

duquel est issu l’élève pour des questions d’organisation. Elle exemplifie encore en ajoutant

qu’elle a vécu des situations difficiles avec des parents allophones, de cultures différentes et

ayant d’autres croyances. Parfois, elle devait convoquer la doyenne ou le doyen pour

notamment faire face au père. Le conflit survenait du fait qu’il ne voulait pas s’adresser à des

femmes et qu’elle perdait en crédibilité. Cependant, elle effectue ici plusieurs parallèles avec

le contexte socio-culturel des familles.