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Les enseignant-e-s interrogé-e-s avancent aussi que ce sont les parents de milieux socio- socio-économiques favorisés qui les remettent le plus facilement en question et auprès desquels

elles ou ils doivent justifier le plus fréquemment leurs choix pédagogiques. Jacques ajoute que

ce sont aussi les parents de ce milieu qui vont vérifier les contenus du PER. Selon cet

enseignant, ce serait dû au fait que ces parents ont plus de temps que ceux d’un milieu

socio-économique défavorisé. Alexandra va même plus loin en précisant que les parents de milieux

socio-économiques favorisés parlent du programme, des objectifs, de la LEO, du PER, tandis

ceux des milieux défavorisés se focalisent plus sur le bien-être de leur enfant. Tinembart

(2015), après avoir expliqué que l’enfant occupait désormais une place centrale dans la

famille, indique justement qu’aujourd’hui, les familles s’intéressent « aux contenus

d’enseignement. Elles s’impliquent dans le suivi de l’enfant et surveillent les résultats »

(Tinembart, 2015, p. 73). En effet, l’enjeu de cette pression de la réussite scolaire exercée sur

les familles n’est peut-être pas perçu correctement par les enseignant-e-s. Au travers de nos

entretiens, nous comprenons bien que ce sont les familles de milieux socio-économiques

favorisés qui exercent également le plus de pression sur les enseignant-e-s, car ce sont aussi

elles qui comprennent le mieux les attentes implicites et explicites de l’école. Cet aspect

touche à la norme de l’excellence scolaire de Perrenoud (1995). Cette norme ne peut donc être

saisie par des parents éloignés de la culture scolaire. Bouveau et al. (1999) avancent aussi que

les classes favorisées exercent une pression directe sur l’école, qu’elles cherchent à

l’instrumentaliser. Nous en retrouvons un exemple dans l’entretien de Célia qui dit « Ah

clairement [les parents sont plus sur son dos s’ils sont de milieu favorisé] ! Ouais beaucoup

plus et du coup quand tu rends un test t’es toujours là « ah j’espère que c’est bon » [à Forel]

alors que là [à Moudon] t’as pas trop le cas en fait. » Rappelons que Glasman (2011) indique

qu’en fonction du milieu des parents, tous ne sont pas égaux face au système, à la culture et

aux attentes scolaires. Les parents développent donc différentes stratégies afin d’aider leur

enfant à réussir, ce qui crée des inégalités profondes entre les élèves.

5.4.2. Rôle d’instructeur ou d’éducateur ?

La majorité des enquêté-e-s affirment déborder de leur rôle d’enseignant. Par exemple,

Pauline dit qu’elle a « totalement » l’impression de sortir de son rôle d’enseignante en devant

adopter une posture « d’éducatrice ». Elle ajoute que les parents essaient de faire adopter un

rôle aux enseignant-e-s qui n’est pas le leur. Jacques annonce : « mais ça ça m’agace toujours

parce qu’en même temps c’est pas mon boulot [de faire de l’éducation en classe]. C’est pas

mon boulot mais je dois y arriver. » Sabine, quant à elle, débordait surtout de son rôle

d’enseignante durant ses premières années de travail, en étant très à l’écoute des parents qui

venaient chercher des conseils. Elle dit qu’elle avait plus de temps et qu’elle était plus naïve.

Elle pense que ce n’était cependant pas forcément dû au fait que les parents provenaient d’un

milieu socio-économique défavorisé, mais que c’était plutôt dû à sa personnalité.

Aline précise que pour elle, elle devrait pouvoir « s’appuyer sur l’éducation des parents »

pour pouvoir enseigner. Elle ajoute que ce n’est pas toujours le cas et qu’elle sent qu’elle n’a

parfois « pas toutes les ficelles » pour éduquer l’élève et que ce n’est pas complètement son

rôle. Kristina avance que les familles de milieux socio-économiques défavorisés ou de culture

étrangère ont tendance à reléguer à l’enseignant-e des rôles qui ne sont pas les leurs ou qu’ils

n’ont pas envie et ne sont pas en mesure d’endosser. Elle appuie ses propos en mentionnant

des parents qui lui ont accordé le droit de « donner des fessées » ou de « tirer les oreilles. »

Nous pouvons mettre ceci en lien avec les travaux de Montandon (1994), qui avance que les

parents de milieux défavorisés ont plus tendance à avoir une attitude de délégation.

Pietro est cependant l’enseignant le moins animé par ce sujet, il est évident pour lui d’avoir un

rôle dans l’éducation des élèves, car « on fait de l’éducation à l’école. Mais y a cette

ambivalence, ça dépend les points de vue, pour certains on est des enseignants et pour

d’autres on est des instit-éducateurs. Moi c’est plutôt cette version-là. Surtout avec des élèves

plus jeunes, parce que y a tout ce côté éducatif qui fait partie de la vie de tous les jours. » Il

ajoute que « les petites choses, ce qu’on fait à 4 heures, le nettoyer, le balayer, le se lever...

C’est toute l’éducation. Et là, pour moi, c’est la collaboration avec les parents, parce qu’on va

dans le même sens qu’eux. »

5.4.3. Liens entre l’éducation et le milieu socio-économique

Rappelons que selon Durkheim (1922), l’éducation peut être ou non en adéquation avec la

société et le milieu. Nous voyons que les enseignant-e-s font référence à l’idée de la « bonne »

ou de la « mauvaise » éducation, des parents qui ont éduqué ou non leurs enfants en fonction

des attentes de notre société et du milieu scolaire. Une partie des enseignant-e-s interrogé-e-s

affirment qu’il n’y a pas forcément de lien entre l’éducation et le milieu socio-économique.

Par exemple, Jacques indique que « de tous les côtés il y a des personnes qui savent élever

leur enfant ou pas. Les familles ont des valeurs d’autres pas, certaines ont de l’argent et

d’autres pas ». Il donne cependant un exemple de « parents portugais qui triment au travail »,

qui peuvent en effet être absents, d’où l’enfant pourrait avoir un manque d’éducation. Kristina

précise que pour elle, l’éducation dépend plutôt de « l’implication des parents avec leurs

enfants » et que nous pouvons trouver des différences dans l’éducation des parents sans tenir

compte du milieu socio-économique. Pauline avance cependant que ceux de milieux favorisés

ont des contextes riches qui peuvent avoir une influence favorable sur l’éducation des enfants.

Ces contextes riches peuvent être mis en lien avec Bourdieu (1979) et le capital culturel sous

ses trois états.

Néanmoins, Sabine et Aline pensent qu’il existe un lien entre le milieu socio-économique et

l’éducation. Sabine compare à nouveau Cully et Yverdon. Dans la première commune, elle

estime que les enfants sont bien éduqués, elle ne sait pas si c’est le « drill » des petites classes

ou de la maison. Dans la deuxième commune, en précisant que le collège était situé dans un

quartier solidaire et par conséquent défavorisé, elle devait faire beaucoup plus d’éducation.

Elle avait l’impression de devoir faire le travail des parents de milieux défavorisés. Aline

prend comme exemple des parents de milieux socio-économiques favorisés qui auraient, selon

elle, tendance à donner une éducation plus stricte à leurs enfants. En contraste, elle avance

que des parents de milieux socio-économiques défavorisés ne peuvent, par exemple, pas se

permettre d’offrir à leur enfant une inscription dans un club de sport. Selon cette enseignante,

le fait d’être confronté à ce type d’activités cadrées apporte aux enfants une richesse dans leur

éducation. Elle met donc en avant que l’éducation ne se transmet pas uniquement par le biais

des parents et celui de l’enseignant-e mais bien par rapport à tout ce qui entoure l’enfant

lorsqu’il grandit. Nous pouvons mettre ses propos en lien avec les styles éducatifs de

Baumrind (1971).

L’avis de Pietro est cependant plus partagé. Il dit que des enfants éduqués trop librement

peuvent prendre trop de place, sans pour autant être issus d’un milieu socio-économique

défavorisé. « C’est que l’éducation elle est pas nécessairement attachée au milieu, parce

qu’on pourrait avoir l’inverse, dans certains milieux plutôt défavorisés financièrement par

contre les enfants sont très bien éduqués, respectueux, ils te serrent la main. Et des choses

qu’on n’a pas appris nous. Donc c’est pas que le milieu social. » Pour lui, l’éducation est

aussi rattachée aux valeurs familiales. A nouveau, nous pouvons mettre ce propos en regard

de la recherche de Baumrind (1971). Le style structurant favorise le développement de

l’enfant et correspond plutôt au style des familles de milieux favorisés selon les recherches

de Lautrey (1980). Il peut donc effectivement y avoir un lien entre éducation et milieu

socio-économique. Il est important de soulever que le style éducatif peut être à la base d’inégalités

scolaires. En effet, rappelons que Dornbusch et al. (1987) ont constaté que le style autoritaire

et permissif des familles était en lien avec de faibles performances scolaires des enfants, ce

qui est le cas opposé pour les familles de style structurant.

5.4.4. Confiance et éducation

Nous savons qu’une confiance mutuelle est la base d’une bonne relation

parents-enseignant-e-s (Richoz, 2015). Selon Pietro, le rôle éducatif que lui accordent les parents n’est pas

directement en lien avec le milieu socio-économique mais avec la confiance mutuelle. Tandis

que s’il y a un doute, une suspicion, une révolte de parents contre un collègue « tout va être

bon pour faire du feu. » Cela peut être une attitude, une remarque, etc. Ce qui va notamment

aider à construire cette confiance mutuelle, c’est pour les parents de savoir que « le maître, il

a une famille [...] ça donne une sorte de collaboration. Ils comprennent qu’on travaille dans

le même sens qu’eux. » Il explique que cette situation, où les parents et les enseignant-e-s

vont dans le même sens, favorise le bien-être de l’enfant. Lorsqu’il y a un travail en

commun, l’espace familial et scolaire sont cohérents. Il est possible ici de faire un parallèle

avec le concept de go-between de Perrenoud (1987), qui concerne la double appartenance de

l’élève à sa famille et à l’école, qui circule entre ces deux mondes sociaux.

Pauline, par rapport à la question de confiance, dit que les parents de milieux

socio-économiques favorisés vont plus observer l’enseignant-e, regarder son expérience, son âge,

sa façon de parler, sa façon de s’habiller tandis que ceux de milieux défavorisés vont à peu

de choses près se dire que « c’est toi l’enseignant, tu évalues, ils vont respecter souvent cette

responsabilité. » Elle précise bien que ce n’est pas un manque d’intérêt pour autant. En effet,

Bouveau et al. (1999) indiquent que les familles socio-économiquement défavorisées

expriment leurs attentes de manière particulière et qu’elles restent plus en retrait. Elles font

davantage confiance aux enseignant-e-s, auxquel-le-s elles reconnaissent des compétences et

des savoir-faire qu’eux-mêmes ne possèdent pas. Elles s’interdisent d’intervenir dans la vie

scolaire.

Alexandra semble dire que la coopération et la confiance ne dépendent que des parents et de