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Les lacunes de la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989 concernant la protection des enfants soldats

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 78-86)

Section I : Le cadre conventionnel de la protection des enfants soldats impliqués dans des conflits armés

A. Les lacunes de la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989 concernant la protection des enfants soldats

Consécutivement à l’adoption des deux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève, on a pu noter un glissement du droit international concernant le recrutement et l’utilisation des enfants soldats, vers celui du droit international des droits de l’homme. Ce déplacement s’est opéré premièrement par le biais de la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989. Cette Convention de 1989 est la première convention des Nations Unies sur les droits de l’homme à insérer à travers son article 38, une norme de droit international humanitaire, portant, plus particulièrement, sur le recrutement et la participation des enfants soldats aux conflits armés. Cette Convention est, par ailleurs, le traité qui réunit le plus grand nombre d’États parties dans le domaine du droit international des droits de l’homme. En réalité, seuls deux États ne l’ont pas ratifiée, la Somalie et les États-Unis. Cette convention d’ampleur internationale constitue le dispositif le plus important en ce qui concerne tous les droits fondamentaux de l’enfant. Au nom de «l’intérêt supérieur de l’enfant », l’Assemblée générale de l’ONU a agi évidemment pour une meilleure protection de l’enfant.

L’article premier de la Convention relative aux droits de l’enfant donne une définition générale de « l’enfant » aux termes de laquelle, « au sens de la présente Convention, un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable ». On peut dire que la convention complète sur ce point le droit international humanitaire, étant donné que les Conventions de Genève de 1949 et les Protocoles additionnels de 1977 ne fournissent aucune définition de l’enfant.

L’article 38 de la Convention 1989 se lit comme suit :

« 1. Les États parties s’engagent à respecter et à faire respecter les règles du droit humanitaire international qui leur sont applicables en cas de conflit armé et dont la protection s’étend aux enfants.

2. Les États parties prennent toutes les mesures possibles dans la pratique pour veiller à ce que les personnes n’ayant pas atteint l’âge de quinze ans ne participent pas directement aux hostilités.

3. Les États parties s’abstiennent d’enrôler dans leurs forces armées toute personne n’ayant pas atteint l’âge de quinze ans. Lorsqu’ils incorporent des personnes de plus de quinze

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ans mais de moins de dix-huit ans, les États parties s’efforcent d’enrôler en priorité les plus âgées.

4. Conformément à l'obligation qui leur incombe en vertu du droit humanitaire international de protéger la population civile en cas de conflit armé, les États parties prennent toutes les mesures possibles dans la pratique pour que les enfants qui sont touchés par un conflit armé bénéficient d'une protection et de soins.»

Le texte de l’article 38 de la Convention a cependant abouti à une dualité conventionnelle mettant en péril le droit international humanitaire. Tout le potentiel protecteur de la Convention de 1989 n’a donc pas été exploité en ce qui concerne les conflits armés. L’article 38 pose une limite minimale de 15 ans pour tout recrutement ou participation à un conflit armé. Le principe ainsi prévu, est le fruit de l’alignement des parties sur le plus faible standard juridique (art.77 du Protocole additionnel I), ce qui pourrait causer une incertitude à propos des textes conventionnels applicables, si bien que le CICR a voulu limiter cet article 38 à son alinéa premier, à savoir uniquement le rappel des normes de droit international humanitaire existantes.

Il résulte de l’article 38, en particulier de ses paragraphes 2 et 4, un amoindrissement de la protection réservée à l’enfant lors des conflits armés par les Protocoles de la Convention de Genève de 1977. En effet, contrairement aux dispositions du PAI qui restreignent la protection à la participation directe des enfants de moins de 15 ans, l’article 38 de la CDE, en raison d’une énonciation qui le caractérise, représente pour plusieurs domaines, un recul ou un amoindrissement du DIH.

Le CICR avait proposé de substituer l’expression « mesures nécessaires » à « celle de mesures possibles », mais cette proposition n’a pas été acceptée en raison du peu de volonté des États participants de se pencher sur une rédaction plus détaillée du texte conventionnel relatif à la participation volontaire des enfants aux conflits151.

Les paragraphes 2 et 3 de l’article 38 de la CDE reprennent l’essentiel de l’article 77 (2) PAI. On retrouve dans ces paragraphes une obligation de résultat pour ce qui est de l’interdiction d’enrôler des enfants soldats de moins de quinze ans, mais uniquement une obligation de moyens quant à la participation directe de ces enfants aux combats en raison des

151 SANDOZ (Yves), SWINARSKI (Christophe) et ZIMMERMANN (Bruno) (dir.),Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, Genève, CICR/ Martinus Nijhoff Publishers, 1986, paragraphe 3184. Ci-après Commentaire des Protocoles additionnels (1977).

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mots « prennent toutes les mesures possibles dans la pratique » présents à l’article 38 (2)152. Le paragraphe 4 de l’article 38 pose quant à lui une protection de l’enfant lors des conflits armés, que l’enfant soit actif ou passif dans ces conflits. Cependant, cette disposition ne prévoit également qu’une obligation de moyens (« Les États prennent toutes les mesures possibles dans la pratique »), alors qu’à l’opposé, les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels édictaient une liste d’obligations « nécessaires », c'est-à-dire contraignantes.

Une partie de la doctrine considère que le recul normatif mentionné est gommé par la clause de sauvegarde de l’article 41 de la Convention de 1989 énonçant qu’« aucune des dispositions de la présence Convention ne porte atteinte aux dispositions plus propices à la réalisation des droits de l’enfant qui peuvent figurer : a) dans la législation d’un État partie, ou b) dans le droit international en vigueur pour cet État. », clause de sauvegarde complétée par le paragraphe 1 de l’article 38 qui renvoie au plus haut degré de protection juridique existant153.

Par ailleurs, il découle de l’article 39 de la Convention de 1989 que les États ont pris l’engagement de mettre en œuvre tous les moyens adéquats pour soutenir le rétablissement physique et psychologique ainsi que la réintégration sociale des enfants victimes de guerre. Cet article dispose que « les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour faciliter la réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale de tout enfant victime de toute forme de négligence, d'exploitation ou de sévices, de torture ou de toute autre forme de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou de conflit armé. Cette réadaptation et cette réinsertion se déroulent dans des conditions qui favorisent la santé, le respect de soi et la dignité de l'enfant »154.

S’agissant du paragraphe 2 de l’article 39, ses termes semblent similaires à ceux de l’article 77 du Protocole additionnel I. Cependant le défaut de différenciation entre conflits armés internationaux et conflits armés non internationaux préjudicie à l’avancée faite par le Protocole additionnel II [art.4§3c)] qui édicte une interdiction absolue de la participation des enfants aux conflits internes. L’article 38 ne distingue pas entre catégories de conflits armés, il vise tant les conflits armés internationaux que les conflits armés non internationaux155. L’article 38§2 de la

152 BUGNION (François), « Les enfants soldats, le droit international humanitaire et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant », art. cit.,p. 264.

153 DAVID (Eric), Principes de droit des conflits armés, 4e éd., Bruxelles, Bruylant, 2008, pp. 448-449. (1117)

154« La protection des populations civiles en période de conflit armé », XXVIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, 15 octobre 1995.

155 BUGNION (François), « Les enfants soldats, le droit international humanitaire et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant », art. cit.,p. 268.

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Convention 1989, a été une source de discussions durant les négociations, en particulier s’agissant de l’interdiction de la participation directe aux hostilités des enfants de moins de quinze ans, étant donné que la Convention distingue – comme dans le cas des conflits armés internationaux –entre participation directe et indirecte aux hostilités et n’interdit que le premier type de participation. Bien que le CICR et de nombreux participants proposaient que cette interdiction vise toute participation aux hostilités, seule la participation directe est concernée dans le libellé de l’article 38156. C’est pourquoi son texte fut donc adopté dans la plus grande controverse. Le CICR a d’ailleurs exprimé maintes fois l’idée qu’en ce qui concerne la protection des enfants de moins de quinze ans l’article 38 de la CDE a représenté un recul par rapport au droit international humanitaire existant157.

La CDE, ne représente pas en soi un progrès, en ce qu’elle ne revoit pas à la hausse l’âge limite de la protection réservée aux enfants soldats, et cela même si l’âge minimum de quinze ans a été fortement critiqué durant les négociations de la CDE et que certaines délégations souhaitaient le faire monter à dix-huit ans158. Cette tentative d’élever l’âge limite a échoué en raison du fait que les États-Unis d’Amérique et l’ex-Union soviétique annoncèrent leur appui à un deuxième projet de texte reproduisant l’article 77 (2) PAI au cours des négociations et que les États-Unis précisèrent qu’ils ne participeraient pas à un consensus sur le premier projet de texte élevant l’âge à dix-huit ans.

Les parties n’étant pas parvenues à un compromis, le président du Groupe de travail chargé d’élaborer la convention opta pour le deuxième projet de texte, qui comportait la protection maximale pour laquelle les parties étaient parvenues à un consensus. Bien que cette décision fût très mal vue, elle fut finalement admise. En fin de compte, si l’article 1erde la CDE définit l’enfant comme tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, comme nous l’avons déjà vu, l’article 38, seule disposition de la CDE indiquant un âge inférieur à dix-huit ans, ne proscrit pas le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats âgés de quinze à dix-huit ans. Cette incohérence donne l’impression que les enfants soldats seraient moins dignes de protection que les autres enfants159. Une telle incohérence est regrettable, ces enfants nécessitant d’autant plus

156Document ONU E/CN.4/1988/28, par.72-74

157 KRILL (Françoise), « Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. Article 38 sur les enfants dans les conflits armés contesté », Revue international de la Croix-Rouge, n° 829, août 1989, p. 11 (disponible sur : www.icrc.org/fre/documents/misc/5fzeqh.htm, consulté le 22 août 2011).

158 BRETT (Rachel), « Child soldiers: law, politics and practice », International journal of children’s rights, vol. 3, 1996, p. 116.

159 HACKENBERG (Mrsha L.), « Can the optional protocol for the convention on the rights of the child protect the Ugandan child soldier », Indiana international journal review, n° 2, vol. 10, 2000, p. 429.

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une protection, qu’ils sont dans des conditions de très grande fragilité. Sur le fond, l’article 38 CDE n’accorde donc pas une protection plus concrète que ne le font les protocoles additionnels. Au contraire, il suscite plutôt d’importantes réserves, du fait qu’il prévoit une protection moindre que celle offerte par le droit international existant applicable aux conflits armés non internationaux.

Se pose alors une interrogation, celle de savoir si la faible protection accordée par l’article 38 CDE a un impact sur les dispositions applicables aux conflits armés non internationaux, notamment sur l’article 4 (3) (c) PAII.

Il semblerait que la réponse soit négative pour trois raisons. Tout d’abord, il y a une application du droit international humanitaire, en tant que lex specialis par rapport au droit international des droits de l’homme160. Ensuite, l’article 38 (1) renvoie aux dispositions de droit international humanitaire – et, par la même occasion, à l’article 4 (3) PAII – et exige des États le respect de ces dernières. Enfin, l’article 41 (b) de la CDE joue le rôle d’une clause de sauvegarde et énonce qu’« aucune des dispositions de la présence Convention ne porte atteinte aux dispositions plus propices à la réalisation des droits de l’enfant qui peuvent figurer : a) dans la législation d’un État partie, ou b) dans le droit international en vigueur pour cet État. » Pour les États parties aussi bien à la CDE qu’au PAII, c’est la règle prévoyant la protection la plus élevée pour l’enfant qui devra s’appliquer, à savoir, ici, l’article 4 (3) (c) PA II161.

S’agissant de sa portée, l’article 38 CDE trouve à s’appliquer en tout temps, que ce soit en temps de conflits armés ou en temps de paix. De ce fait, la protection offerte par la CDE est plus étendue que les règles des deux PA. Un autre aspect positif, dont la portée est cependant encore difficile à mesurer, doit être mentionné. La CDE pose une exigence à l’encontre des États parties, celle de présenter au Comité des droits de l’enfant un rapport sur les dispositions qu’ils auront prises pour mettre en œuvre les droits reconnus dans la CDE, ainsi que sur les progrès accomplis162.

Le Comité est, depuis peu, compétent pour examiner les communications émanant de particuliers, c’est-à-dire de personnes (les représentants d’un enfant) alléguant la violation à leur encontre par un Etat partie d’un droit reconnu par la Convention. Il est donc nécessaire

160CIJ, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, Avis consultatif, 9 juillet, 2004, C.I.J, Recueil 2004, p. 178, § 106.

161 ARZOUMANIAN (Naïri) et PIZZUTELLI (Francesca), « Victimes et bourreaux », art. cit., pp.834-835.

162Article 44(1) CDE : « Les États parties s’engagent à soumettre au comité des droits de l’enfant, des rapports sur les mesures qu’ils auront adoptées pour donner effet aux droits reconnus dans la présence Convention et sur les progrès réalisés dans la jouissance des ces droits ».

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que la personne souhaitant déposer plainte soit ressortissante d’un Etat ayant ratifié ce Protocole. Néanmoins, la possibilité de plainte collective n’a pas été encore retenue.

Désormais donc, le Comité des droits de l’enfant est en mesure d’examiner les plaintes concernant les enfants, y compris leur implication dans des conflits armés (art. 5), de demander aux États concernés de prendre des mesures provisoires nécessaires afin d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé aux enfants, victimes des violations alléguées (art. 6), d’examiner la plainte et de transmettre aux États concernés ses constatations au sujet des plaintes accompagnées de ses recommandations (art. 10). En effet, si le Comité constate des violations des droits de l’enfant par les États mis en cause, ces Etats sont obligés d’adopter des mesures de politique générale pour mettre en œuvre les droits économique, sociaux ou culturels prévus par la CDE afin de remédier aux violations alléguées dans les plaintes examinées et de soumettre au Comité une réponse écrite l’informant sur les mesures qu’ils auront prises. Autant dire que les constatations du Comité des enfants se voient reconnaître dès le départ davantage de poids, sinon carrément de valeur juridique, que n’en est reconnu aux constatations que le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, pourtant organe autrement plus prestigieux, adopte en vertu du Protocole facultatif de 1966.

Le 14 janvier 2014 le Costa Rica a été le dixième État (après l’Albanie, la Bolivie, le Gabon, l’Allemagne, l’ Monténégro, le Portugal, l’Espagne, la Thaïlande et la Slovaquie) à ratifier le Protocole facultatif à la CDE établissant une procédure de présentation de communications (19 décembre 2011)163 qui a renforcé et complété les mécanismes nationaux et régionaux permettant aux particuliers de présenter devant le Comité des plaintes pour violations des droits de l’enfant.

Pendant les discussions à propos de l’article 38 de la Convention relative aux droits de l’enfant, la question du recrutement volontaire a été une nouvelle fois évoquée par le CICR, qui soutenait l’idée que le terme « recruter » comprend aussi bien le recrutement obligatoire que l’engagement volontaire. Cela se comprend parfaitement, étant donné que, bien que l’engagement soit volontaire, la nécessité d’accomplir une acte formel de recrutement subsiste, or c’est justement cet acte qui est proscrit par le droit international humanitaire164.S’il y a un

163 Voir la Résolution 66/138 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 19 décembre 2011, doc. ONU A/RES/66/138 (2011).

164Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, Revue internationale de la Croix-Rouge, n° 829, mars 1998, p.113-132.

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fort consensus à propos du fait que le recrutement forcé d’enfants est illégal, la question de la légitimité du recrutement volontaire de jeunes en dessous de l’âge de 18 ans, suscite quant à elle de vives discussions parmi les dirigeants politiques, avocats et activistes internationaux.

Au centre de cette discussion, on a l’idée du libre choix. Le passage de l’enfance à l’âge adulte est un processus continuel, de même que l’est l’aptitude de toute personne à faire des choix libres. Il vaudrait mieux mettre en place des normes pour le recrutement volontaire qui colleraient parfaitement aux définitions préconçues de l’enfant, contrairement à ce qui est très souvent le cas comme, par exemple, dans la Convention relative aux droits de l’enfant (1989) et dans d’autres traités internationaux, où il est admis un engagement volontaire avant 18 ans. A l’opposé, les critiques de cette position reposent sur l’argument qu’une telle fixation de l’âge serait discrétionnaire, parce que, en effet, un jeune âgé de 17 ans est aussi apte à décider de façon libre qu’une personne de 18 ans de s’engager ou non dans l’armée.

En fin de compte, comme l’a souvent mentionné la doctrine, l’article 38 CDE ne constitue pas au fond une évolution ou un progrès dans le droit international existant. Cependant, ainsi que nous l’avons relevé, les dispositions du droit international humanitaire sont applicables pour les États parties aussi bien aux PA qu’à la CDE, en tant que lex specialis. S’agissant des États qui n’ont pas ratifié les Protocoles additionnels, cet article 38 semble constituer un passage informel vers des obligations de droit international humanitaire. Cela n’est en réalité pas vrai, compte tenu des obligations des auteurs non étatiques pendant les conflits armés non internationaux. Si un État est partie à la CDE mais pas au PAII, les troupes armées contre lesquelles il combat ne sont pas tenues par l’interdiction de recrutement ou d’utilisation des enfants de moins de quinze ans dans les conflits armés.

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B. La protection insuffisante du Protocole facultatif concernant

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