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1-1-2- La variation linguistique au Gabon : les « gabonismes »

PARTIE II : PROBLEMATIQUE ET METHODOLOGIE

II- 1-1-2- La variation linguistique au Gabon : les « gabonismes »

Concernant le français parlé au Gabon, nous allons présenter ici l’ensemble des variations qui construisent sa spécificité, et qu’on rassemble pour cette raison sous le vocable « gabonismes ».

II-1-1-2-1- La variation temporelle

Elle est bien entendu observable dans toute langue, et le français du Gabon y est soumis comme les autres langues. Il est certain que les gabonais du siècle présent parlent français avec quelques différences par rapport à celui de leurs compatriotes des temps de la colonisation. À ce titre, elle ne constitue pas en soi un « gabonisme », mais il est important de comprendre que la situation de colonisation a fait que ces variations temporelles ont été étroitement conditionnées par l’attitude « politique » des locuteurs face à la domination linguistique du français « standard » : de ce fait, au lieu de se produire régulièrement dans le temps, en suivant l’évolution naturelle de la vie, les variations ne sont apparues qu’à partir des indépendances. Avant celles-ci, les gabonais parlaient le français dit « standard ». Le colon blanc, par l'entremise non seulement de la religion, mais aussi de l'éducation, enseignait aux populations la « langue de Molière ». La fragilité politique et intellectuelle des populations due à la colonisation, fait qu'elles n'avaient pas encore acquis la capacité de s'approprier cette nouvelle langue importée. C'est donc une époque marquée essentiellement par une attitude passive de simple « mimétisme linguistique » et de « soumission » aux règles de cette langue venue d'ailleurs, qui était aussi celle de l'oppresseur. Mais quelques décennies plus tard, nous assisterons à un changement de situation : les locuteurs vont commencer à y imprimer leurs spécificités environnementales et culturelles et le français gabonais va pouvoir émerger.

II-1-1-2-2- La variation sociale

Elle est aussi très importante au Gabon, avec là encore ses spécificités : comme nous l’avons déjà souligné, le français « standard » est utilisé à des fins officielles, que ce soit au plan de la législature (débats parlementaires, rédaction et promulgation des lois), de la justice, des services publics ou de l’éducation, le français est l’unique langue utilisée... du moins à l’écrit. Selon les régions, les langues gabonaises sont assez largement employées dans les communications verbales entre les employés de l’État et les citoyens parlant la même langue locale. Cette situation vaut aussi dans les cours de justice où le juge peut s’exprimer dans la langue de l’accusé. Évidemment, il ne s’agit pas d’un droit dûment reconnu, mais d’une pratique de bon sens : lorsque tous les interlocuteurs parlent la même langue, ils s’expriment normalement dans cette langue. Ainsi par exemple, dans les hôpitaux et autres établissements de santé, les médecins et les infirmières utilisent largement le

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français gabonais local avec leurs patients. Cet état de fait montre que le français gabonais est certes utilisé, mais son domaine de compétence reste encore à définir. Il fait encore l'objet d'une discrimination face au français officiel, même s'il est vrai que le français gabonais est parlé de nos jours dans nombre de lieux où, il y a encore quelques années, sa référence était purement et simplement proscrite. C'est ainsi que même dans les écoles et voire même dans les universités, on trouve ça et là des mots et des expressions issus de la gabonité. On entend régulièrement aussi bien à l'Université que dans les Collèges et Lycées, des phrases suivantes : « J'ai attendu mon rappel durant

des années, et comme il ne venait toujours pas, j'ai fait appel à mon long bras ». Ici l'expression long bras (est un gabonisme qui désigne « la capacité à solliciter les faveurs ou l'intervention d'une

personne haut-placée, afin d'obtenir des passe-droits » ; il s’agit en fait d’une réfection de l’expression du français de France « avoir le bras long » qui signifie « bénéficier d’appuis en haut-lieu »). Ou encore des phrases comme celle-ci, lancée comme dernier conseil par un enseignant d'université à l'endroit de ses étudiants qui s'apprêtaient à partir en vacances : « Soyez prudents, vous qui partez au

village, on y lance des missiles ». Le mot missile est un gabonisme qui désigne un « sort jeté » (voir infra, Partie III). Ces exemples montrent que le français gabonais, certes toujours dominé par le

français dit standard, gagne cependant du terrain dans plusieurs milieux réglementaires du quotidien des gabonais.

Au soir de ce chapitre consacré à la variation linguistique dans le français gabonais, il ressort qu’elle manifeste des spécificités qui contribuent à son caractère unique. Nous avons vu tour à tour ses spécificités dans la variation temporelle, liées aux conditions politiques d’évolution de la langue ; ensuite, celles de la variation spatiale liées à la présence des langues locales ; enfin, la variation

sociale, liée à la hiérarchie entre français « standard » et français parlé, porteur des « gabonismes ».

II-1-1-2-3- La variation géographique

Dans la perspective culturelle de notre problématique, la variation géographique est particulièrement intéressante à observer dans la mesure où, dans le cadre spécifique des langues gabonaises, cette variante géographique est nécessairement représentative d’un contexte ethnique et culturel particulier. Cette particularité est opérante dans l’analyse du français du Gabon à deux niveaux.

a. La distinction entre français de France et français du Gabon

D’abord au niveau de la distinction entre français de France et français du Gabon, du fait que le premier s’est imposé avec son substrat culturel sur un territoire qui avait son propre substrat culturel : les deux cultures sont nécessairement entrées en conflit, avec des « victoires linguistiques » dans un sens et dans l’autre. D’un côté, le fait que le français s’est globalement imposé comme langue officielle sur le territoire du Gabon, représente une victoire politico-culturelle de la colonisation. D’un autre côté, il est évident que ce français originellement de France n’est pas sorti indemne de cette implantation : le substrat culturel local lui a fait connaître des modifications tant lexicales que grammaticales, qui font la spécificité du français gabonais.

On trouve d’abord des variantes par rapport au français de France :

- Des mots issus du français de France, dont la morphologie reste identique, mais dont le sens a été modifié. C’est par exemple le cas du mot « Malien », qui en Français de France, désigne un ressortissant du Mali (Pays ouest-africain) ; en français gabonais, « malien » désigne un commerçant, un boutiquier qui commercialise des vivres (du pain, de la sardine etc.) dans un quartier. Les variations de ce type sont très nombreuses ;

- Des créations lexicales, comme l’expression « retrait de deuil », renvoyant à une coutume locale ;

- Des créations lexicales et morphosyntaxiques comme l’expression « librairie par terre » (voir Partie III, Les Résultats), renvoyant à la fois à une coutume locale et à une perception culturelle propre au Gabon.

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- Des calques morphosyntaxiques comme « un peu un peu », sur le modèle de dongo-dongo ; - De nombreux mots directement issus des langues locales, qui constituent bien entendu la

partie la plus importante des variations par rapport au Français de France, mais aussi la principale spécificité de la variété « français gabonais » par opposition aux autres variétés de français de la Francophonie. Citons-en quelques-uns : « musonfi, iboga, odika, nkoumou,

mbolo, tchouoo, bonami(e), mouza, mangamba, dongo-dongo, foufou, tchang, gari, nganga, mapanes, matitis, cabangondo, yamba, mwanas, malamba, toutou, malamba, moussoungou, nyemboue, kanguer, ngounda-ngounda, gépéen, mougoye, bedoum, etc » (Bé, 2011 : 55). Ces

mots sont empruntés à diverses langues locales africaines (tsogo, fang, punu, etc.). On trouve aussi des emprunts à l'éwé (langue kwa du Ghana ou du Togo) et au lingala (Congo-Brazzaville et Congo-Kinshasa), ainsi qu’à des langues non africaines telles que l'arabe, l'espagnol, le portugais et l'anglais.

Ce phénomène est dû à l’abondance des interférences qui se manifestent sous diverses formes : transferts, analogies ou calques entre les langues gabonaises et le français. Les langues gabonaises les plus perméables aux emprunts sont assurément celles utilisées couramment par un grand nombre de personnes. Comme les langues gabonaises, le français subit une transformation fluctuante. Au Gabon, il est impossible de parler d’une forme unique du français mais plutôt de diverses formes du français qui naissent avec les locuteurs des nombreuses langues. Dans un même pays, il peut y avoir plusieurs formes concurrentes. Cette grande variété du français au Gabon ne facilite pas une description scientifique d’une forme unique du français. Cependant quelques variétés semblent émerger du flot. Il existe en général dans chaque pays, une variété reconnue du français qui diffère du français standard par des particularités ou des traits caractéristiques. C’est aussi le français, mais avec une singularité : c'est le français gabonais, le français territorial.

Ces modifications effectuées au contact de cultures et de conditions locales, font que le français parlé au Gabon peut en effet être considéré, à l’instar des autres français de la « Francophonie », comme une variété régionale de français.

b. La distinction entre différentes variétés de français gabonais

Comme on l’a déjà souligné dans la présentation du cadre linguistique du Gabon (voir supra, Partie I), ce pays se caractérise aussi par une abondance de variations linguistiques du français parlé sur l’ensemble de son territoire. Le contact des langues fait que, construisant autant de français parlés différents que d’ethnolectes avec lesquels il est en contact ; de telle sorte que le français parlé par les gabonais du groupe ethnique fang est quelque peu différent de celui parlé par les Téké. De ce fait, dans un même pays, il peut y avoir plusieurs formes concurrentes pour désigner la même chose. Cette grande variété du français au Gabon, quoique perceptible par les gabonais eux-mêmes, s’apparente à des variations régionales, mais elle est liée à de nombreux facteurs, parmi lesquels l’importance de la présence d’ethnophones de ce fait, elle n’est pas facile à observer net requiert d’importants moyens d’investigation qui ne sont pas à notre portée : c’est pourquoi elle ne sera pas abordée dans notre travail.

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