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III Les Fluides Supercritiques

7. Obtention d’énantiomères purs

7.1. La synthèse asymétrique

La synthèse asymétrique ou stéréosélective consiste à préparer un composé énantiomériquement pur en partant de matières premières achirales et en orientant la synthèse de telle manière à obtenir majoritairement ou totalement un seul énantiomère. Pour se faire il est nécessaire d’utiliser soit des auxiliaires chiraux soit des enzymes.

7.1.1. Auxiliaire chiral

La synthèse peut être orientée en utilisant un auxiliaire chiral qui est un composé énantiomériquement pur qui va être introduit dans la structure d’une molécule afin d’orienter l’addition d’un électrophile par exemple et ainsi favoriser un énantiomère par rapport à un autre. Cet auxiliaire peut être utilisé en quantité stœchiométrique ou catalytique (lorsqu’il est utilisé en très faible quantité) comme dans l’exemple ci-dessous (Schéma-I.1) décrivant la réduction énantiosélective d’une fonction cétone en une fonction alcool par action d’un sel de ruthénium.

H2(gaz)

RuCl2[CH3-BINAP] (0,05 mol %) MeOH O O O H O O O

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La synthèse asymétrique permet de préparer des molécules complexes. Par exemple, la synthèse totale du taxol comportant 12 centres d’asymétries, fut réalisée en 11 étapes à partir de matières premières relativement simples [90].

La synthèse asymétrique est également utilisée pour produire des composés à l’échelle de la production. Ainsi BASF a développé une méthode de synthèse asymétrique pour préparer le L-menthol en partant soit du nérole soit du géraniole (Schéma-I 2)

Ru((S)-Binap) Ru((R)-Binap (R) (+)-(R)-citrnolelol Géraniole Nérole -2H (R) (+)-(R)-citronellale catalyseur (S) (R) (R) (-)-isopulegole (S) (R) (R) O H O H O O H O H O H

Schéma-I 2: Synthèse asymétrique du menthol par le procédé développé par BASF [95]

7.1.2. Résolution enzymatique

Une autre voie de synthèse asymétrique consiste à utiliser des enzymes. Les enzymes sont des protéines c'est à dire des enchaînements d'acides aminés plus ou moins ramifiés. Dans cette structure tridimensionnelle, il existe des poches réactionnelles où les réactions biocatalysées se produisent. Parmi les nombreux types d’enzymes, les lipases sont les plus utilisées pour préparer des composés énantiomériquement purs car elles peuvent être recyclées et elles sont peu chères. Les lipases sont entre autres utilisées pour la séparation d’acides [91] et d’alcools racémiques par hydrolyse de l’ester correspondant.

Ainsi en faisant réagir de l’acétate de vinyle sur le 1-phényléthanol racémique en présence d’acylase issue de l’Aspergillus melleus, seul l’énantiomère R réagit donnant l’ester correspondant énantiomériquement pur. L’énantiomère S ne réagissant pas peut ensuite être isolé par chromatographie achirale [92] et l’énantiomère R peut quant à lui être isolé par hydrolyse de l’ester.

Quelle que soit la méthode utilisée, il est important de savoir qu’une synthèse asymétrique nécessite d’une part un long développement afin d’obtenir une méthode énantiosélective et d’autre part requiert 2 voies de synthèse afin d’obtenir les 2 énantiomères. C’est pourquoi cette méthode est très peu utilisée en recherche pharmaceutique notamment pendant l’étape de « hit to lead » voire celle de « lead optimization ».

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En revanche lors de l’étape de développement, où le composé est déjà sélectionné, l’eutomère a déjà été identifié et les quantités de produit nécessaires aux études d’activité et de toxicologie sont importantes, le développement d’une synthèse asymétrique peut être bénéfique.

L’autre voie permettant d’obtenir des énantiomères purs est d’utiliser une synthèse non énantiosélective soit en partant de « pool chiral » (auxiliaires chiraux) afin d’obtenir des composés optiquement purs soit en réalisant une synthèse non énantiosélective suivi d’une séparation des énantiomères.

7.2.« Pool chiral »

Par nature une réaction chimique n’est pas asymétrique et conduit logiquement à la synthèse de composés racémiques. En revanche en partant de composés énantiomériquement purs (pool chiral) et en réalisant différentes étapes de synthèse non racémisante, on peut parvenir à synthétiser un énantiomère pur. Il existe de nombreuses petites molécules qui peuvent servir de point de départ dans une synthèse. Notamment tous les acides aminés naturels qui sont tous énantiomériquement purs (S-valine, S-proline), des amino-alcools naturels ou des acides tels que l’acide tartrique, l’acide lactique ou l’acide malique ou encore à partir des sucres. Des molécules naturelles plus complexes peuvent également être utilisées comme le menthol, le camphre, ou la quinine.

Lorsqu’une voie de synthèse non énantiosélective est utilisée en partant de synthons non énantiomériquement purs, le composé préparé est logiquement un mélange racémique. Il existe alors différentes méthodes pour les séparer telles que la cristallisation ou la chromatographie.

7.3. Cristallisation

7.3.1. Dédoublement par cristallisation de sels de diastéréoisomères

La méthode de résolution par cristallisation la plus répandue est la formation de sels de diastéréoisomères aussi appelée résolution Pasteurienne car développée par L. Pasteur pour la séparation des énantiomères de l’acide tartrique par ajout des amines quinicine ou de cinchonicine (figure-I 27) [93] .

56 1 2 3 N N O O N N H O O H O H O H O O H O H O H O O H O O H

Figure-I 27: acide tartrique 2: quinicine 3 : cinchonichine

Le principe est de mélanger en solution un énantiomère pur de l’agent de résolution et le mélange racémique à séparer pour former des sels diastéréoisomères qui ont des solubilités différentes. Cet agent est soit un acide ou une base selon que le mélange racémique est respectivement une base ou un acide afin de former un sel. Cette technique nécessite un développement assez long afin de déterminer : le meilleur agent de résolution, le solvant qui permettra à la fois de solubiliser le mélange et de cristalliser sélectivement un des 2 diastéréoisomères et enfin la concentration à la fois en agent de résolution et en mélange racémiques permettant d’obtenir le meilleur taux de récupération. La résolution par formation de sel de diastéréoisomère est la méthode de prédilection pour l’obtention d’énantiomères purs à l’échelle de la production. D’une part parce qu’elle permet de gérer de grandes quantités de mélange racémique par unité de temps et d’autre part parce qu’elle est moins coûteuse que la séparation par chromatographie chirale, l’agent de résolution étant régénéré après la séparation. En revanche cette méthode nécessite un agent de résolution ultra pur au niveau excès énantiomérique et mène à un rendement maximum de 50%. En effet seule la moitié du matériel engagé peut être récupéré contrairement à la synthèse asymétrique pour laquelle, une fois que la voie de synthèse a été développée, seul l’énantiomère ciblé est produit. Cet inconvénient peut être contourné en trouvant un moyen de racémiser l’énantiomère indésirable qui sera à nouveau mise en présence du l’agent de résolution. Cette opération peut être réalisée plusieurs fois afin de se rapprocher d’un taux de récupération de 100% en énantiomère désiré. De nombreux brevets de résolution d’énantiomères par formation de sels de diastéréoisomères ont été déposés car ce sont souvent des méthodes de productions de principes actifs [94-96].

7.3.2. Dédoublement par cristallisation d’énantiomères

Un mélange racémique peut cristalliser de différentes manières :

- soit les cristaux sont composés des 2 énantiomères : on parle alors de cristallisation hétérochirale. Dans ce cas seul le procédé d’enrichissement préférentiel permet d’obtenir les énantiomères purs. L’enrichissement préférentiel consiste à obtenir par cristallisation des cristaux ayant un excès énantiomérique très faible mais dont les eaux mères issues de cette cristallisation auront un excès

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énantiomérique proche de 100%. Des cristallisations successives permettent d’obtenir alternativement des eaux mères avec un excès énantiomérique très élevé de chaque énantiomère [97] ;

- soit les cristaux sont composés d’un seul énantiomère. Ce type de cristallisation est alors appelé homochirale.

Lorsque les cristaux sont composés d’un seul énantiomère on parle de conglomérat. La cristallisation homochirale [98] ne représente que 5 % des cristallisations des composés chiraux. Les cristaux de chaque énantiomère ayant des formes différentes, il est possible de séparer les énantiomères en triant les cristaux. C’est d’ailleurs ce qu’avait fait Pasteur pour séparer les énantiomères du tartrate d’ammonium sodium [99]. Il va de soi que la technique du tri ne peut être appliquée à l’échelle industrielle. En revanche, il est possible de cristalliser un des 2 énantiomères en utilisant la méthode de la cristallisation préférentielle, [100]. Il faut pour cela préparer une solution saturée en racémique et l’ensemencer avec des cristaux de conglomérat de l’énantiomère désiré. Pendant une période seul un énantiomère va cristalliser. La première observation de ce phénomène remonte à 1866 et fût réalisée par D. Gernez [101] et depuis a été développée et améliorée notamment avec le procédé Auto-Seeded Polythermic Programmed Preferential Crystallisation (AS3PC) développé par G. Coquerel [102] dans lequel la cristallisation d’un des 2 énantiomères est provoquée par un refroidissement de la solution saturée.