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5 Diversité, stabilité et productivité

5.2 La stabilité temporelle

L’effet de la diversité sur la stabilité temporelle à l’échelle de l’écosystème se base principalement sur l’hypothèse d’assurance écologique. Cette hypothèse soutient que le fonctionnement associé aux communautés plus riches en espèces est plus stable dans le temps que celui des communautés moins riches. Selon l’hypothèse d’assurance, plus grande est la richesse fonctionnelle, plus grande sont les probabilités qu’au moins une espèce réponde différemment aux perturbations et aux évènements stressants. Une diversité spécifique élevée augmente les chances d’avoir une richesse fonctionnelle élevée.

Sur un plan théorique, il a déjà été montré que les changements de diversité peuvent affecter la stabilité des écosystèmes (Ives & Carpenter, 2007). Au niveau expérimental, en ce qui concerne la stabilité temporelle, certaines expériences menées au cours des deux dernières décennies sur les écosystèmes prairiaux ont montré une relation positive entre diversité et stabilité de la productivité (Hector et al., 2010; Tilman, Reich, & Knops, 2006), confirmant les

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attendus théoriques basés sur l’hypothèse d’assurance écologique (Yachi & Loreau, 1999). Les différentes espèces ont des réponses contrastées au climat, ce qui conduit à l'émergence de dynamique compensatoire de leurs productivités, stabilisant la productivité à l'échelle de la communauté. Plusieurs mécanismes ont été mis en avant pour expliquer cette hypothèse (Loreau & de Mazancourt, 2013; Tilman, 1999), parmi eux: l’asynchronie temporelle de réponse des espèces aux fluctuations environnementales, et la stimulation de productivité, ou « overyielding ».

Figure 5 : Schéma simplifié, expliquant l’effet compensatoire de l’asynchronie. Le graphique représente les variations du processus écosystémique en fonction du temps de la part représentée par l’espèce a (en vert) et l’espèce b (en rouge) dans un peuplement en mélange à deux espèces. Les variabilités sont très fortes pour chacune des deux espèces. La courbe bleu représente les variations du processus écosystémique en fonction du temps de l’ensemble du peuplement mélangé. La variabilité est beaucoup moins forte, par compensation mutuelle des niveaux faibles et forts du processus étudié des deux espèces a et b.

Les individus d’une même espèce, comme ils partagent la même niche (Encadré 1), ont des besoins similaires simultanément, ce qui est moins probable pour des individus d’espèces différentes. Ainsi, un peuplement avec une diversité plus forte abrite plus d’espèces ayant des besoins non simultanés et des sensibilités différentes aux conditions climatiques. La perte de productivité des individus d’une espèce, due à un stress climatique par exemple, peut être ainsi compensée par l’augmentation de la productivité des individus d’une autre espèce moins sensible à ce même événement stressant. Les deux espèces sont dit asynchrones. En effet, les réponses physiologiques de deux espèces sont différentes et donc peuvent entrainer un temps

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et une intensité de réponse différente. Dans ce cas le niveau d’asynchronie entre les espèces a une influence directe sur l’écart type de la productivité et donc sur la stabilité (voir Fig. 5).

L’overyielding décrit le fait que la productivité d’un écosystème en mélange est plus élevée que la somme des productivités des communautés monospécifiques associées, (pondérée par les proportions de chaque espèce dans le mélange), c’est-à-dire en l’absence d’interactions entre espèces dans le mélange. L’overyielding a un effet mathématique sur la stabilité temporelle, puisqu’il correspond à une augmentation de la moyenne de la productivité d’un mélange donné, tout en conservant la variance constante. Il est basé sur la complémentarité de niche entre espèces et sur le fait qu’en moyenne la compétition interspécifique est plus forte que la compétition intraspécifique. Plus les espèces ont des besoins différents et plus l’effet d’overyielding peut être fort. Cela laisse supposer que l’effet de la diversité sur la stabilité va énormément dépendre de la composition spécifique de la communauté.

Certaines études (Caldeira, Hector, Loreau, & Pereira, 2005; May, 2000) montrèrent que la diversité pouvait avoir un effet déstabilisant sur la productivité des espèces prises individuellement. Tilman et al. (2006) unifièrent ces deux séries de résultats en montrant que l’effet de la diversité était différent en fonction de l’échelle considérée : stabilisant pour les communautés mais déstabilisant pour les populations individuelles.

D’autres hypothèses se basent sur l’effet portfolio pour expliquer le lien qu’il existe entre diversité et stabilité. L'effet portfolio fait référence à l’augmentation de la stabilité avec le nombre d’espèce liée au fait que plus le nombre de constituants du système augmente, plus la variance d’un système sera faible et donc stable (Doak et al., 1998). Toutefois Isbell, Polley, & Wilsey (2009) ont montré que cet effet n’expliquait souvent qu’une faible part de la relation entre la diversité et le niveau moyen d’un processus ou de sa stabilité.

Les écosystèmes prairiaux sont des écosystèmes composés majoritairement d’espèces herbacées annuelles, ce qui en fait des écosystèmes à la composition potentiellement changeante de manière interannuelle. De plus les plus vieux dispositifs expérimentaux ayant une 20aine d’années, la validation des tendances décrites ci-dessus à long terme est limitée (Cardinale, Hillebrand, Harpole, Gross, & Ptacnik, 2009; Hooper et al., 2005). Pour résoudre ce problème et tester l’effet stabilisant de la diversité sous une large gamme de conditions environnementales, il est nécessaire de généraliser les études à d'autres écosystèmes comme les forêts (Scherer-Lorenzen et al., 2005).

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A ce jour, peu d’études se sont intéressées directement à l’effet de la diversité sur la stabilité temporelle de la productivité forestière. De plus, ces quelques exemples ont souvent porté sur des peuplements localisés, comme par exemple les peuplements résineux de Sierra Nevada (DeClerck et al., 2006), les mélanges de montagne dans les Vosges (Lebourgeois, Gomez, Pinto, & Mérian, 2013), ou le gradient européen sur le mélange hêtre-pin sylvestre (Pretzsch et al., 2015). Pour sa part, DeClerck et al. (2006) n’observent pas de relation entre la diversité des conifères et la stabilité temporelle de la productivité de peuplements forestiers de la Sierra Nevada. Selon les auteurs, cette absence de relation pourrait être due au faible gradient de richesse spécifique considéré et une forte ressemblance de réponse des espèces face aux fluctuations environnementales. del Río et al. (2017) and del Río, Schütze, & Pretzsch (2014) observent un effet positif de la diversité sur la stabilité temporelle de la productivité, à travers un gradient climatique, à l’échelle de l’Allemagne ou de l’Europe. Le travail sur des cas particuliers limite la généricité des résultats trouvés. D’autres études plus récentes, via un travail sur plus d’espèces, permettent d’obtenir un message plus générique. Jucker, Bouriaud, Avacaritei, & Coomes (2014), avec une approche semi expérimentale, et Morin et al (2014), grâce à une approche de modélisation par gap-model, incluent plus d’espèces et de types de mélange dans leurs études. Ils montrent, conformément à la théorie et aux études empiriques menées dans d’autres écosystèmes, que la diversité a tendance à stabiliser la productivité des peuplements forestiers au cours du temps, mais que cela peut dépendre de la composition ou des conditions climatiques (Jucker et al., 2014). Jucker et al. (2014), à l’échelle d’une 20aine d’années, et Morin et al. (2014), à l’échelle de plusieurs centaines d’années, expliquent les patrons trouvés en s’appuyant eux aussi sur l’hypothèse d’assurance écologique (Yachi & Loreau, 1999).

Cette thèse a pour originalité d’allier à la fois une approche centrée sur l’utilisation de simulations, issues d’un gap modèle intégrant l’influence du climat comme (Morin et al., 2014), et une approche semi expérimentale, grâce à un dispositif de terrain alliant une disposition sous forme de triplet comme Pretzsch et al. (2010) et un gradient climatique comme Jucker et al., (2014).

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