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La scène sélective formelle du recrutement

Hypothèse 3 : les politiques publiques d’emploi au service des jeunes, facteurs d’incertitude ?

4. LA VARIABLE DU JEUNE ÂGE DANS LE « JEU » DE RECRUTEMENT

4.1. La scène sélective formelle du recrutement

– c’est-à-dire qui n’est pas « théorisée » comme telle par les acteurs – entre deux sortes de scènes sur lesquelles se joue le recrutement.

Ils délimitent spontanément, tout d’abord, une sorte de périmètre formel du recrutement à l’intérieur duquel la variable jeune âge ne saurait être présente. Ce périmètre correspond à ce que nous pouvons appeler la scène sélective formelle du recrutement, qui recouvre l’ensemble des opérations formelles de recrutement (tri des cv, entretiens notamment) mises en œuvre dès lors que des candidatures effectives ont été reçues par les services RH, candidatures qu’il s’agit dès lors de départager. Sur ce premier type de scène, les discours collectés sont le plus souvent formels : le critère de jeune âge ne saurait y avoir cours en tant que tel. C’est là une exigence normative ou morale associée à cette scène sélective formelle du recrutement. C’est là également un impératif d’efficacité.

Dans ce cadre, seul compte le profil comme le souligne cette chargée de recrutement à la mairie d’une grande ville : « Mais pour moi, ce qui est important c’est le profil. Je m’arrête pas à l’âge du candidat (…). » Les recruteurs affirment, pour beaucoup d’entre eux, ce primat donné aux compétences

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Nous proposons d’avoir recours à la notion de scène pour désigner des configurations d’interactions et de relations sociales distinctes à travers lesquelles se déploie le recrutement. Une telle perspective procède de l’appui sur les travaux de Goffman (1973) et d’Elias (1991).

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Nous proposons ici de parler de scènes complémentaires et non pas de coulisses : l’enquête ne nous a effet pas permis d’accéder aux coulisses du recrutement stricto sensu.

INJEP NOTES & RAPPORT/ RAPPORT D’ÉTUDE

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et au jugement sur ces dernières, au regard bien sûr de leur adéquation aux prérequis du poste, comme fondement légitime et optimal de la sélection. Pour la DRH d’un conseil départemental, sur la scène sélective formelle du recrutement, les recruteurs, qui n’auraient d’autre choix que d’ignorer le jeune âge dans leurs pratiques, de facto ne prendraient jamais en compte le jeune âge en tant que tel : « Alors, préférer ne pas prendre un jeune parce qu’il est jeune, ça ne nous est jamais arrivé. Préférer prendre un vieux parce qu’il est vieux, ça ne nous est jamais arrivé non plus. C’est… c’est… comment vous dire ? C’est… on essaye vraiment de… on n’a pas d’idées préconçues sur le recrutement des jeunes ou le recrutement des vieux. C’est… c’est plutôt : on recrute les gens sur la prestation qu’ils font, le CV qu’ils ont et voilà, les compétences qu’ils nous semblent avoir acquises. »

Il en résulte, sur ce premier type de scène, une invisibilité du jeune âge, plus ou moins délibérée. En effet, si la primauté morale et économique donnée au jugement sur les compétences relève clairement de pratiques de recrutement RH, l’autocensure des candidats, lorsque par exemple un ou une jeune « s’interdit » de postuler à une offre d’emploi qui requiert une expérience d’encadrement, constitue un facteur qui, selon les recruteurs, échappe en grande partie à leurs pratiques et à leur volonté. Au total, lorsque le recrutement se tient sur la scène sélective formelle, au sens où nous l’avons définie plus haut, la variable jeune âge est évincée ou est invitée à s’effacer des pratiques. Pour d’aucuns, il s’agirait même d’une nécessaire indifférence à l’âge. C’est ainsi que la DRH d’une commune de taille moyenne affirme :

« Il y a également l’affirmation d’un principe d’indifférence à l’âge : en fait, la priorité, c’est l’emploi, les compétences que l’on peut trouver. Après, que ce soit un jeune ou un moins jeune, le tout c’est qu’on ait le candidat qui va être opérationnel. L’objectif est qu’il soit opérationnel. »

Il n’est pas jusqu’à ce responsable technique au sein d’un grand groupe d’audiovisuel qui, en dépit de son discours en apparence différent sur ce point, ne professe in fine, à sa manière, et avec son langage, ses mots, une sorte de doxa du recrutement, qui ne cherche pas spécialement à promouvoir le jeune âge. C’est là une déclinaison quelque peu spécifique de cette non-prise en compte de l’âge, dans la mesure où elle s’inscrit dans une volonté de diversifier les équipes. Simplement, la volonté de diversité assumée par ce responsable technique au sein d’un grand groupe audiovisuel ne concerne pas une éventuelle action spécifique sur telle ou telle variable, dont le jeune âge, entre autres, mais une politique générale agissant sur l’ensemble des variables dans un souci de composition des équipes. Un objectif de diversité générique se trouve ainsi préféré à un objectif de diversité spécifique, conduisant au non-affichage d’une promotion particulière de la variable du jeune âge :

« Néanmoins, dans mes recrutements je n’ai jamais fait de crise de jeunisme. C’est facile à prouver, c’est-à-dire que cette année, en début d’année, j’avais deux postes de monteur. Il y en a pour lequel il y a eu finalement un désistement et qui n’est pas pourvu, qui sera donc à pourvoir en septembre. Sur l’autre poste de monteur, j’ai pris quelqu’un qui a 60 ans. Donc aucune crise de jeunisme. »

Sur cette scène formelle du recrutement, les recruteurs agissent selon LE profil. Dans ces conditions, ils déclarent ne pas tenir compte de l’âge au nom à la fois de la justice et de l’efficacité. Pour autant, et dans le même temps, les recruteurs raisonnent également, non pas selon LE profil mais selon les profils. Ils peuvent alors être amenés, au regard notamment de la rareté des dits profils sur le marché du travail, à développer une action volontariste en direction du jeune âge ou a minima à se résoudre à confier des responsabilités de management importantes à des jeunes, autrement dit à réintroduire dans les deux cas évoqués la variable du jeune âge dans les pratiques de recrutement, sur un autre

type de scènes que la scène sélective formelle. C’est ainsi de sa propre initiative, sans même y avoir été invitée d’une manière ou d’une autre par l’enquêteur, que la chargée de recrutement à la mairie d’une grande ville évoquée plus haut ouvre une brèche dans sa doxa du recrutement indifférente à l’âge en soulignant que, dans les faits, l’application de ladite doxa dépend des situations et surtout des profils :

« Ça peut dépendre quand même… quand je vous dis ça, en même temps, je me dis qu’il y a peut-être des métiers sur lesquels les jeunes peuvent avoir des performances un peu meilleures ou il y a des métiers sur lesquels l’expérience peut apporter davantage. »