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De la jeunesse aux jeunes candidats à l’embauche : la création de stéréotypes ?

Hypothèse 3 : les politiques publiques d’emploi au service des jeunes, facteurs d’incertitude ?

4. LA VARIABLE DU JEUNE ÂGE DANS LE « JEU » DE RECRUTEMENT

5.2. De la jeunesse aux jeunes candidats à l’embauche : la création de stéréotypes ?

Un manque de fiabilité ?

Quatre des recruteurs enquêtés relatent les départs soudains de jeunes salariés récemment recrutés, intégrés et longuement formés en interne. Ils ont alors éprouvé un sentiment d’incompréhension, voire de déception, au regard de l’investissement placé dans l’intégration de ces « jeunes ». Ces échecs en matière de recrutement les amènent à décrire les « jeunes » comme étant « moins fidèles » à leur structure employeuse et n’hésitant pas à la quitter brutalement, parfois même sans prévenir. Ici, le risque perçu de la jeunesse est celui de sa mobilité (démission ou rupture conventionnelle) dans des trajectoires de vie perçues comme moins linéaires que celle des générations précédentes. Cela induit pour l’organisation des risques économiques liés au turn-over, alors même que l’embauche d’un jeune est présentée par les interviewés comme un investissement supplémentaire en matière d’encadrement, de formation et de fidélisation.

INJEP NOTES & RAPPORT/ RAPPORT D’ÉTUDE

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commencez à le faire monter, il commence à monter à la même vitesse que l’entreprise et puis du jour au lendemain, il plaque tout, sans préavis.

– Il plaque tout, c’est-à-dire, il s’en va ?

– Oui, il plaque tout, il s’en va sans préavis, en sous-entendant que potentiellement, en essayant de se décharger en disant que potentiellement la boîte, elle va grossir trop vite et qu’il va se trouver lésé alors que ce n’est pas le cas. » (Directeur d’une entreprise informatique.)

« Les jeunes, vous leur proposez un CDI, vous leur fournissez un emploi du temps, et du jour au lendemain, ils ne viennent plus travailler.

– Sans prévenir ?

– Sans prévenir. Ils gèrent de l’humain, ils vont chez des gens, ils doivent les lever le matin ou des choses comme ça, on n’a ni les clés, ni rien du tout [..] Alors, là, vous vous dites : “J’ai loupé un truc dans le recrutement. ”

– Ah oui ?

- Oui. Euh… et plutôt sur des personnes jeunes. Elles ont un engagement qui est moins fort, en fait, que si vous… demain vous deviez engager une personne qui est maman… qui peut avoir…. mmh… ben, elle sait qu’il faut qu’elle ramène à manger à la fin du mois, des sous, donc pour…. Donc, l’investissement n’est pas le même. » (DRH des cadres de l’entreprise, société prestataire de services à la personne.) Dans la veine des résultats de l’étude commanditée par la DARES sur les manières de recruter (Mélo, et al., 2012), ces quatre recruteurs s’accordent sur « une sorte d’individualisme flirtant avec l’égocentrisme [qui] rendrait les jeunes générations peu fiables car soucieuses avant tout de la réalisation de leurs envies et aspirations dans le travail » (Cortesero et al., 2018). Ici, les recruteurs associent clairement la jeunesse des candidat·e·s présenté·e·s à des attributs négatifs.

Des savoir-être qui laissent à désirer…

Quatre autres recruteurs relatent également des expériences malheureuses en matière de recrutement de « jeunes ». Ces échecs sont reliés à des comportements jugés inacceptables sur le marché du travail : des retards injustifiés et répétés, des absences injustifiées et répétées, un manque de respect envers la hiérarchie, etc. Une fois recrutés, les jeunes incriminés ont présenté des comportements qui ont amené leurs recruteurs, devenus leurs employeurs ou managers, à prendre des mesures radicales : non titularisation, mise au placard, licenciement, etc.

« Une autre personne, elle n’a pas intégré non plus nos valeurs, je pense, de façon plus large.

– C’est-à-dire “elle n’a pas intégré nos valeurs” ? [...]

– La personne n’avait pas un comportement adéquat, le respect du supérieur hiérarchique, elle ne comprenait pas, justement, la place des uns et des autres, quel devait être son positionnement par rapport à un supérieur. [...]

– Ça se traduisait par quoi ?

– Ah, par des remarques, par des affirmations du genre : “Je sais faire ton travail, je le ferai… Je sais faire ton travail.” Le tutoyer d’abord ! (Rires) Oui, le tutoiement. Quand on arrive quelque part, je pense qu’on a… Enfin moi, ce n’est pas ma pratique, dans mon éducation, je ne suis pas du tout dans… Après, il était jeune, il y en a qui tutoient facilement. Aussi, c’était peut-être le fait… en lien avec l’âge.

[...] Et puis, ne pas respecter les règles, faire de l’intimidation. Un jour, je le convoque à un entretien, il vient accompagné de deux copains. J’ai dit : “Non, les copains restent dehors.” Je ne connais pas les copains, moi. À jouer, vraiment, enfin, bon. » (Assistante RH, collectivité territoriale d’une commune de

41 000 habitants.)

« J’ai une fille qui avait 23 ans, qui était systématiquement en retard, mais de 15-20 minutes donc forcément vis-à-vis des autres collaborateurs, c’était quand même quelque chose qui posait problème, parce que pourquoi tolérer quelque chose à une collaboratrice et ne pas le tolérer aux autres ? Donc on lui a dit à plusieurs reprises, sauf que sa réponse était : “Je n’arrive pas à me lever le matin, parce que ben je sors et autres. –Mais si tu n’arrives pas à te lever, il ne faut pas travailler, il faut reprendre tes études.” Ça, j’ai eu du mal avec une personne comme ça, c’est une personne qui a démissionné au final d’elle-même, puisqu’on lui a dit : “Tu ne respectes pas tes collègues, donc finalement on va te donner des tâches qui ne sont pas sympas. Tu vas faire des photocopies, tu vas classer et tu vas…” » (Directeur d’une agence de crédits.)

On retrouve de nouveau, dans ces extraits choisis d’entretiens, « les caractères du risque et du manque » que les recruteurs associent majoritairement à la jeunesse (Cortesero et al., 2018, p. 1), à savoir un « manque de recul, de calme, peu compatible avec la nécessaire pondération requise par la vie dans un collectif de travail avec ses différends ou ses conflits, avec la diversité des points de vue à l’intérieur des équipes dont il faut savoir s’accommoder ». Faute d’explication rationnelle à ces expériences malheureuses, ces recruteurs pensent trouver dans la « jeunesse » des candidats sélectionnés une explication « naturelle ». Mais, fait intéressant, les discours recueillis ne résultent pas de représentations infériorisantes et généralisantes, une forme de jeunisme qui viendrait doubler le processus de stigmatisation observé par ailleurs (Lima, 2010). Au contraire, ils trouvent leur origine dans l’expérience singulière vécue par le recruteur. La création de stéréotypes liés à la jeunesse procède ici par expérience. Aucune définition « commune » des jeunes candidats à l’embauche donc, mais des définitions hétérogènes et mouvantes, car particulièrement ancrées dans la réalité des expériences éprouvées par les recruteurs.

5.3. Stéréotype et discrimination : deux cas de figure