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LA REVOLTE DE L’OBJET

Dans le document Fantasmes fin-de-siècle (Page 96-132)

LA REVOLTE DE L'OBJET

3.1 Introduction

Le personnage de des Esseintes fait exception dans 1'oeuvre de Huysmans: c'est le seul aristocrate que 11 écrivain met en scène. Ce personnage, à la fois dandy, esthète et décadent, apparaît comme la synthèse de 1'ensemble des forces de résistance esthétique en lutte contre la vulgarité bourgeoise à partir de 1880. La parution d'A Rebours cristallise d'ailleurs le "mouvement" décadent, en constitue, selon le commentaire célèbre d'Arthur Symons, le bréviaire. A Rebours peut se concevoir comme l'étude clinique d'une névrose, déterminée par 1'envahissement de plus en plus critique de l'objet à la fin du XlXe siècle, envahissement rendu possible par les progrès de 1'industrie. Confronté à ce phénomène, des Esseintes choisit la voie d'une retraite stratégique: sa "thébaide raffinée" de Fontenay devient le théâtre d'une lutte contre le devenir-marchandise de l'objet; cette lutte, des Esseintes va en ressentir les effets jusque dans sa chair.

A Rebours n'est pas la seule ouvre de Huysmans où le thème de la retraite apparaît. En Rade et La retraite de M. Bouaran (1888) 1'exploitent sous des modalités différentes. Un point commun lie néanmoins ces trois textes, ainsi que les autres oeuvres de fiction de Huysmans: leurs principaux protagonistes ne sont que le reflet plus ou moins fidèle de leur créateur. Huysmans avoue lui-même son penchant pour 1'autobiographie dans une entrevue avec lui-même, signée du pseudonyme transparent d'A. Meunier (du nom de sa maîtresse d'alors, Anna Meunier), publiée en 1885 :

Un des grands défauts des livres de M. Huysmans, c'est, selon moi, le type unique qui tient la corde dans chacune de ses oeuvres. Cvorien Tibaille et André. Folantin et des Esseintes. ne sont, en somme , qu'une seule et même personne, transportée dans les milieux qui diffèrent. Et très évidemment cette personne est M. Huysmans, cela se sent [... ] .1

Dans sa biographie de Huysmans, Robert Baldick retient cette part autobiographique des romans de 1'écrivain comme un de leurs traits les plus originaux et le gage de leur succès :

On peut en effet les considérer comme les mémoires les plus pénétrants, et les plus sincères peut-être, qui soient sortis de la plume d'un écrivain moderne. Ils nous apportent un témoignage intime sur la vie matérielle et spirituelle d'un auteur dont 1'inébranlable détermination de se montrer à nous sous le jour le plus véridique possible, dont la

1 A. MEUNIER (Joris-Karl HUYSMANS), "Joris-Karl HUYSMANS" in Cahiers de 1 'Herne J. - K._iL., p. 28.

pénétration psychologique, dont 1'habileté et 11 honnêteté qu'il apporte à atteindre le but qu’il s'est proposé, continuent à susciter 1'admiration des lecteurs contemporains, habitués pourtant aux romans introspectifs du XXe siècle.1

Huysmans entretient avec des Esseintes un rapport fantasmatique, qu'il médiatise par 1'esthétique. Les goûts artistiques de des Esseintes sont sans conteste ceux de Huysmans. Des Esseintes appartient à la classe aristocratique, ce qui permet à Huysmans d'établir la distance nécessaire pour asseoir avec plus de force la virulente attaque qu'il adresse à la vulgarité essentielle de sa propre classe. Huysmans met en scène, significativement, un aristocrate déchu, dont les faiblesses physiques -- le duc Jean est un "grêle jeune homme de trente ans, anémique et nerveux, aux joues caves,aux yeux d'un bleu froid d'acier, au nez éventé et pourtant droit, aux mains sèches et fluettes"2 -- renvoient à 1'agonie sociale. Des Esseintes est présenté symboliquement comme le dernier rejeton de sa famille, et sa puissance sexuelle semble de surcroît mise en doute par Huysmans: des Esseintes n'organise-t-il pas, lors de sa vie mondaine parisienne, "le dîner de faire-part d'une virilité momentanément morte"3? C'est dire que le personnage de des Esseintes incarne jusque dans sa chair le processus de dégénérescence de 1'aristocratie, processus commandé et accéléré par la bourgeoisie. Au XIXe siècle il s'agit pour elle en effet de récupérer, utiliser et assimiler dans la représentation le faste de la vie aristocratique pour mieux cautionner et légitimer ses conquêtes sociales. Cette

1 Robert BALDICK, op. cit., p. 40.

2 Joris-Karl HUYSMANS, A Rebours, op. cit., p. 61. 3 Joris-Karl HUYSMANS, ibid., p. 71.

dissimulation de la bourgeoisie derrière le masque de l'aristocratie passe par la marchandise. Cette stratégie d'usurpation de prestige social par l'objet se met en place dès les années 1830, comme le souligne Rosalind Williams à propos de 1'ascension des moyens et petits-bourgeois; c'est à dire;

[...] those whose incomes derived from industry, trade, or governments securities, and the propertied shopkeepers, struggling professionals, and better-off urban craftsmen. In the 1830's this less affluent group was not challenging the political power of the notable group, thanks to a very high property requirement for voting rights. In the social sphere, however, the lower ranks of the bourgeois were asserting their rights to live like the upper classes. The specific legal status of nobility was far less important than it had been, but like the more general status of "living nobly" was as attractive as ever. The combination of low wages, long hours, and high tariffs enabled French workers to supply a growing domestic market for handmade but relatively unexpensive goods (machinemade goods are even less expensive, but failed to convey the desired prestige) that imitated aristocratic styles from the past. Calicos and cottons were treated to look like silk, while wallpaper with gold floral patterns and chairs upholstered in "Pompadour" style were made for the salons of the middle bourgeoisie.1

La bourgeoisie peut compter sur l'exploitation des travailleurs pour créer autour d'elle un univers factice

parce qu'il renvoie, avec une nostalgie hypocrite, à un passé qu'elle espère à jamais révolu. L'intérieur bourgeois se fonde sur une idée de "faux-vrai" où des objets à peine fabriqués doivent cependant aussitôt évoquer une ancienneté virtuelle, seulement représentée. La bourgeoisie fait subir à 1'héritage aristocratique ce que le Kitsch inflige à la tradition artistique: il s'agit dans les deux cas de les vider de leur substance pour n'en laisser subsister qu'une enveloppe, une trace résiduelle, dont le contenu mémoriel est oblitéré. Le phénomène va considérablement s'accentuer au cours du XIXe siècle, sous la poussée du machinisme, qui permet une véritable prolifération de l'objet en même temps que sa reproduction virtuellement infinie. L'objet devient marchandise: il ne lui suffit plus d'être utile, il lui faut de surcroît entretenir une illusion fantasmatique. L'homme perd son rapport immédiat avec l'objet, fabriqué industriellement, et en vient à le considérer avec inquiétude, comme le souligne Giorgio Agamben:

La dégénérescence qu'implique la transformation de l'objet artisanal en article de masse, se traduit, dans la vie quotidienne de l'homme moderne, par la perte de sa désinvolture à l'égard des choses. A 1'avilissement des objets, répond, comme l'a bien saisi la plume de Grandville, la gaucherie de l'homme qui redoute qu'ils ne se vengent.1

Agamben se réfère aux Petites misères de la vie humaine publié par Grandville en 1843, où le caricaturiste traduit la vie inquiétante des objets familiers, et surtout leur révolte. Baudelaire évoque l'art de Grandville en des termes éminemment révélateurs :

Quand j'entre dans 1'oeuvre de Grandville, j'éprouve un certain malaise, comme dans un appartement où le désordre serait systématiquement organisé , où des corniches saugrenues s'appuieraient sur le plancher, où les tableaux se présenteraient déformés par des procédés d'opticien, où les meubles se tiendraient les pieds en l'air, et où les tiroirs s'enfonceraient au lieu de sortir.1

Ce passage trouve son pendant dans A Rebours, où des Esseintes se remémore avec le plaisir pervers du voyeur la mésaventure d'un couple de ses amis dont l'échec du mariage est précipité par la révolte de leurs meubles, prévus pour un appartement en rotonde et transférés dans un lieu plus traditionnel:

En effet, d'Aigurande acheta des meubles façonnés en rond, des consoles évidés par derrière, faisant le cercle, des supports de rideaux en forme d'arc, des tapis taillés en croissants, tout un mobilier fabriqué sur commande. Il dépensa le double des autres, puis, quand sa femme, à court d'argent pour ses toilettes, se lassa d'habiter cette rotonde et s ' en fut occuper un appartement carré, moins cher, aucun meuble ne put ni cadrer ni tenir. Peu à peu,

cet encombrant mobilier devint une source d'interminables ennuis ; 1 ' entente déjà fêlée par une vie commune, s'effrita de semaine en semaine, ils s'indignèrent, se reprochant mutuellement de ne pouvoir demeurer dans ce salon où les canapés et les consoles ne touchaient pas aux murs et branlaient aussitôt qu'on les

1 Charles BAUDELAIRE, "Quelques caricaturistes" in Oeuvres complètes, op. cit., p. 711.

frôlait, malgré leurs cales. Les fonds manquèrent pour des réparations du reste presque impossibles. Tout devint sujet à aigreur et à querelles, tout depuis les tiroirs qui avaient joué dans les meubles mal d'aplomb jusqu'aux larcins de la bonne qui profitait de l'inattention des disputes pour piller la caisse, bref, la vie leur fut insupportable; lui, s'égaya au dehors; elle, quêta, parmi les expédients de l'adultère, l'oubli de sa vie pluvieuse et plate. D'un commun avis, ils résilièrernt leur bail et requérirent la séparation de corps.1

D'Aigurande paye de la dégradation de son rapport amoureux l'illusion qu'il avait entretenue dans la marchandise. Celle-ci prélève son tribut sur les rapports humains, elle se nourrit de leur dégénérescence et s'anime malicieusement pour accélérer le processus. Elle détourne l'énergie d'un lien organique, vivant, à son avantage, le vampirise. Si les meubles détruisent le couple de d'Aigurance, ils s'opposent implicitement à son éventuelle reproduction, au moment même où les progrès de la technologie commencent à rendre possible une reproduction en théorie infinie d'une marchandise. Ce phénomène s'inscrit d'ailleurs, à la fin du XIXe siècle, concrètement dans le "modem style", qui, comme le rappelle Giorgio Agamben, exploite l'inquiétude de l'homme confronté à l'animation de l'objet:

Le "modem style", qui transforme la matière morte en créature organique, érige ce malaise en principe stylistique ("Avec ses membres cartilagineux et renflés",

écrit en 1905 un critique favorable à l'art nouveau, "un

lavabo de Pankok nous paraît être un organisme vivant. Lorsque Hermann Obrist dessine un fauteuil, les accoudoirs apparaissent comme des bras musculeux qui saisissent et immobilisent") [...].1

Il n'est pas indifférent que le "modem style" utilise à profusion des motifs végétaux. Le végétal, vivant et pourtant apparemment mort parce qu'immobile, réalise la parfaite médiation entre le monde inorganique de la marchandise et la vie humaine. Dans sa retraite de Fontenay, des Esseintes contemple, fasciné, les plantes bizarres qu'il a commandées pour son intérieur. Ces plantes renvoient, par leur aspect, au monde mort des objets. Tout se passe comme si, aux yeux de des Esseintes, la nature, asservie, reflétait aux objets manufacturés leur propre image:

Ces plantes sont tout de même stupéfiantes, se dit-il; puis il se recula et en couvrit d'un coup d'oeil l'amas: son but était atteint ; aucune ne semblait réelle; 1'étoffe, le papier, la porcelaine, le métal, paraissaient avoir été prêtés par l'homme à la nature pour lui permettre de créer ses monstres. Quand elle n'avait pu imiter 1'oeuvre humaine, elle avait été réduite à recopier les membranes intérieures des animaux, à emprunter les vivaces teintes de leurs chairs en pourriture, les magnifiques hideurs de leurs gangrènes.2

Pour des Esseintes, (par lequel s'exprime Huysmans), ces plantes sont monstrueuses car elles ne peuvent que renvoyer à des images de mort : mort ambiguë du monde

1 Giorgio AGAMBEN, op. cit., p. 93

inorganique -- ambiguë parce que la vie peut parfaitement 1'exprimer--, et décomposition active de la vie organique. Ces plantes, de plus, sont exotiques, proviennent d'un ailleurs lointain et fabuleux. De fait, Huysmans réalise dans l'image du végétal exotique et bizarre dont la vie organique supporte l'idée d'un animation insidieuse de l'objet, la parfaite synthèse de la fantasmagorie marchande. La marchandise entame en effet dans la seconde moitié du XlXe siècle 1'établissement d'une dictature sur 1'ensemble des conditions de la vie humaine qu'elle détermine. La marchandise suscite en elle la négation de sa valeur d'usage dans 1'affirmation séductrice d'un ailleurs ilusoire, promis mais jamais réalisé. L'individu, dès ce moment, entreprend une course dont le point d'arrivée où 1'attend la marchandise s'éloigne sans cesse, à mesure qu'il avance : 1'acquisition d'une marchandise portant en elle la déception commande déjà la recherche d'une marchandise plus prometteuse ; ce processus n'a virtuellement pas de fin et chacune de ses étapes est marquée par une dégradation de la vie humaine : la marchandise tient en effet à prélever son dû. Balzac, dès 1830, pressent assez ce phénomène, pourtant encore latent pour le mettre en scène dans La Peau de chagrin qui symbolise la marchandise dans son essence. Elle réalise les souhaits de Raphaël de Valentin, devient 1'instrument de son ascension sociale, mais en hypothéquant toujours un peu plus le capital de temps à vivre du jeune homme: le processus apparaît d'autant plus vicieux que la révolte de Raphaël contre la peau de chagrin ne peut 1'empêcher d'y avoir recours.

Le thème de l'objet monstrueux, intermédiaire entre le vivant et le non-vivant, avait été exploité quatre

siècles auparavant par Jérôme Bosch, à propos duquel Giorgio Agamben écrit :

En un sens, le Jardin des Délices de Bosch peut être vu lui aussi comme une image de 11 univers transfiguré par la marchandise. Comme Grandville quatre siècles plus tard (et comme, à son époque, les auteurs des innombrables livres d1 emblèmes et de "blasons domestiques" qui, face à la première apparition massive de la marchandise, représentent les objets en les rendant étrangers à leur contexte), Bosch transforme la nature en "spécialité"; le mélange d’organique et d'inorganique qui caractérise ses créatures et ses architectures fantastiques semble curieusement évoquer par avance la "féerie" de la marchandise à 1'Exposition universelle.1

Huysmans en évoquant Jérôme Bosch et les Breughel dans son article "le Monstre", consacré à la tératologie artistique, soulève cette hybridation, réalisée par les Flamands, et curieusement lui refuse son caractère effrayant :

[...] c'est une réunion d'êtres hybrides, légumineux et masculins, un mélange d'objets industriels et de cul-de-jatte. Avec 1’intrusion de 1'ustensile de ménage et de la plante dans la sructure des monstres, l'effroi prend fin; la beauté de 1'épouvante meurt avec ces créatures burlesquement agencées, par trop fictives.2

1 Giorgio AGAMBEN, op. cit., p. 83.

Huysmans semble ici refouler ce qu'il exprime poourtant avec force dans A Rebours, dans 11 épisode des plantes exotiques. Tout se passe comme si, parlant en son nom propre dans sa critique d'art, il devenait incapable de saisir tout ce que la greffe de 1 ' inorganique sur 1'organique peut avoir d'inquiétant, surtout si on la confronte au contexte industriel de la fin du XlXe siècle; par contre, Huysmans, à l'abri derrière des Esseintes, laisse ce dernier absorber le choc de cette image monstrueuse et la goûter pleinement, en esthète. En s'incarnant en des Esseintes, Huysmans désamorce sa propre inquiétude face à 1'animation de l'objet. Ce que le petit- bourgeois refuse de considérer, 1'aristocrate décadent, lui, est en mesure de le saisir et d'en tirer une jouissance morbide.

La révolte de l'objet, son animation suspecte, s'accompagne d'un phénomène tout aussi inquiétant : sa capacité à être reproduit. Le machinisme permet, au XlXe siècle, une véritable prolifération de l'objet, processus qui également s'attaque à 1'oeuvre d'art. Le développement simultané de la chromolithographie, de la photographie et de la grande presse permet la diffusion massive de reproductions. Huysmans fait allusion à ce phénomène dans Certains. à propos d'une exposition consacrée à Delacroix à la Salle des Etats, au Louvre;

Delacroix possède là quelques-uns de ses grands tableaux : le

Mfts.s..a.ers_de__Scio, la Barque__de

Dante, les Femmes d'Alger. Ces oeuvres sont trop polluées par la vue pour que je les décrive; elles ont figuré depuis un temps immémorial dans les musées et récemment encore, à propos de 1'exposition du quai Malaquais, elles ont été reproduites dans

tous les journaux à images et pilonnées par toute la presse.1

Le tableau par définition unique est ramené par sa reproduction dans la presse au niveau de la marchandise, ou plus exactement de son spectacle dont il constitue en quelque sorte la réclame. Reproduire une oeuvre d’art revient à nier son contenu historique, comme le souligne Walter Benjamin:

A la plus parfaite reproduction il manque toujours quelque chose: 1'ici et le maintenant de 1'oeuvre d’art, - -1'unicité de sa présence au lieu où elle se trouve. C'est à cette présence unique pourtant, et à elle seule, que se trouve liée toute son histoire. En parlant d'histoire, nous songeons aussi bien aux altérations matérielles qu'elle a pu subir qu'à la succession de ses possesseurs. La trace des altérations matérielles n'est décelable que grâce à des analyses physico-chimiques, impossibles sur une reproduction; pour déterminer les mains successives entre lesquelles 1'oeuvre d'art est passée, il faut suivre toute une tradition à partir du lieu même où 1 ' oeuvre fut créée.2

Lorsque Benjamin décrit l'écart séparant 1'oeuvre d'art de sa reproduction, il renvoie implicitement aux différences entre l'objet artisanal et l'objet manufacturé. Ce dernier trouve, dans la seconde moitié du XlXe siècle un support idéal à sa diffusion dans les grands magasins. L'objet manufacturé en série se voit offrir le don effectif d'ubiquité (il se trouve

1 Joris Karl HUYSMANS, Certains, op. cit., p. 364.

2 Walter BENJAMIN, "L'oeuvre d'art à 1'ère de sa reproductibilité technique" in Essais..., op. cit., p. 91.

littéralement en de multiples endroits en même temps, puisque les concepts d'"original" et de "copie" ne peuvent le définir). La production de masse assure donc le règne de l'objet, objet devenu d'autant plus inquiétant qu'il ne peut renvoyer à une tradition, à un passé, autrement que par un spectacle, un simulacre de ce passé. Huysmans contemple cette multiplication de l'objet, obscène à ses yeux, dans une fascination horrifiée, à propos d'un projet de Musée des Arts décoratifs :

Il en sera de cela comme des anciens fers forgés qu'une armée de lampistes reproduit sans trêve, comme des antiques cuivres dont les déplorables imitations emplissent les resserres du Bon Marché et du Louvre; ce sera l'art japonais pour 1'exportation, 1'imprimerie sur faience et sur étoffe, la cartonnerie des cuirs de Cordoue en papier pâte, ce sera le luxe à bon compte, la pacotille qui dégoûte des originaux qu'elle simule [...]

Ah! si ce projet se réalise, nous en verrons de belles ! - - Ce n'est donc pas assez que le premier venu puisse copier à la grosse les meubles du Musée du Cluny! Je sais bien que l'on est pas obligé de les acheter, mais il faut bien les voir puisqu'ils emplissent des boulevards entiers et des rues ! - - Et que sont ces boutiques à côté de ces magasins de faux Sèvres et de faux Saxes dont le boulevard Saint-Germain regorge? [...] L'horreur de cette vaisselle est incomparable et, quoi qu'on fasse, même en changeant de trottoir, il faut qu'on la subisse, car l'oeil attiré par cette couleur crue

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