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Conclusion

Dans le document Fantasmes fin-de-siècle (Page 42-96)

CHAPITRE I: SPECTACLE ET ANTI SPECTACLE DE LA

1.6 Conclusion

La critique d'art de Huysmans, entre 1879 et 1882, telle que rassemblée dans L'Art moderne, offre plus qu'un simple jugement esthétique: elle se veut avant tout polémique, donc agressive et décapante, lorsqu'il s'agit de mettre au jour les manoeuvres des peintres habitués des salons annuels. Si Huysmans se porte avec enthousiasme dans le camp des impressionnistes, et plus largement encore dans celui des indépendants, c'est qu'il existe, entre 1'écrivain et ces peintres, une communauté d'esprit, une vision partagée de ce que doit être la modernité. Le

symbole de cette communion intime entre Huysmans et les

peintres qu'il affectionne s'incarne dans la parution des Croquis parisiens, publiés en mai 1880, illustrés par des eaux-fortes de Jean-François Raffaëlli et Jean-Louis Forain. Huysmans, dans l'un de ces poèmes en prose, Vue de remparts du Nord-Paris, adresse un hommage direct à la peinture de Raffaëlli.

Mais 1'intérêt de Huysmans à la cause des indépendants va progressivement décroître à partir de 1882. Cette année-là, 1'écrivain constate avec amertume que "le cercle du modernisme s'est vraiment trop rétréci et l'on ne saurait assez déplorer cet amoindrissement apporté par de basses querelles dans 1'oeuvre collective, d'un petit groupe qui tenait tête jusqu'alors à 1'innombrable armée des officiels"1. Huysmans fait allusion aux multiples tensions qui nuisent à la cohésion du groupe impressionniste, dont la mort d'Edouard Manet, en 1883 va consacrer 1'éclatement. En 1882, Degas, Raffaëlli et Forain, entre autres, n'exposent pas. Huysmans flaire le danger de 1 'uniformisation de la production du groupe, analogue à celle qui sévit chez les officiels :

Puis, à vouloir interdire ainsi l'accès d'un groupe, sous prétexte d'obtenir une réunion d’oeuvres homogènes, à ne vouloir admettre que des artistes usant de procédés analogues [...] l'on aboutirait à la monotonie des sujets, à 1'uniformité des méthodes et, pour tout dire, à la stérilité la plus complète.2

Huysmans craint en fait la transformation du tableau impressionniste en marchandise. Il est significatif que cette angoisse de 1'écrivain se projette sur son propre

1 Joris-Karl HUYSMANS, ibid., p. 51. 2 Joris-Karl HUYSMANS, ibid., p. 231.

travail à l'époque. L'essoufflement observé chez les impressionnistes touche également le cercle littéraire des naturalistes que Huysmans songe à quitter. Il résume lui- même la situation dans sa préface à A Rebours. écrite vingt ans après la parution du roman, en 1904 :

Au moment où parut A Rebours, c'est-à-dire en 1884, la situation était donc celle-ci: le naturalisme s'essoufflait à tourner la meule dans le même cercle [...] Zola, qui était un beau décorateur de théâtre, s'en tirait en brossant des toiles plus ou moins précises ; il suggérait très bien 1'illusion du mouvement et de la vie; ses héros étaient dénués d'âme, régis tout simplement par des impulsions et instincts [...]. Ils remuaient, accomplissaient quelques actes sommaires, peuplaient d'assez franches silhouettes des décors qui devenaient les personnages principaux de ses drames. Il célébrait de la sorte les halles, les magasins de nouveautés, les chemins de fer, les mines, et les êtres humains égarés dans ces milieux n'y jouaient plus que le

rôle d'utilité et de figurants.1

On mesurera toute 1'importance de cette remarque si on confronte cette dernière à la critique de Huysmans des "faux modernistes". Zola est coupable, aux yeux de Huysmans, du même crime : animer le décor de la vie industrielle, du capital, au détriment de la vie humaine. L'être humain devient simple sujet d'expérience, dont on mesure les réactions par rapport à un milieu déterminé. La vision positiviste de Zola est profondément bourgeoise et s'insère parfaitement dans la conception bourgeoise du

1 Joris-Karl HUYSMANS, A Rebours, Paris, Garnier-Flammarion, 1978, p.47 .

travail, dans laquelle tout est question de calcul, de rationalisation, comme en témoigne Georg Lukaes :

En conséquence de la rationalisation du processus du travail, les propriétés et les particularités humaines du travailleur apparaissent de plus en plus comme de simples sources d'erreurs, face au fonctionnement calculé rationnellement d'avance de ces lois partielles abstraites. L'homme n'apparaît, ni objectivement, ni dans son comportement à l'égard du processus de travail, comme le véritable porteur de ce processus,

il est incorporé comme partie mécanisée dans un système mécanique qu'il trouve devant lui, achevé et fonctionnant dans une totale indépendance par rapport à lui, aux lois duquel il doit se soumettre.1

A vouloir explorer le monde industriel et les mécanismes de la société bourgeoise, Zola tombe, selon Huysmans, dans un piège : sa propre production artistique s ' assimile de plus en plus à un produit industriel, standardisé, prévisible, totalement rationalisé dans sa phase de conception. Huysmans, quant à lui, refuse de subir le même sort, et amorce, à partir de 1883, un mouvement de retrait de la réalité, dont A Rebours (au titre évocateur) constitue la première étape. S’il sera question de ce roman en détail plus avant dans ce travail, il est néanmoins nécessaire d'approfondir au préalable la résistance de Huysmans aux pressions toujours plus formidables de la société industrielle, par le biais de ses réactions devant les manifestations concrètes de ces pressions: les transformations de la vie urbaine

CHAPITRE...!!

FANTASMAGORIES ARCHITECTURALES.;.

2.1 Introduction

Paris, à mesure qu'il se transforme et se modernise, devient de plus en plus étranger et suspect aux yeux de Huysmans. Profondément bouleversé à la suite des grands travaux entrepris sous le Second Empire, le visage de la capitale désespère 1'écrivain. Au cours de sa période naturaliste, il en vient néanmoins à souhaiter une utilisation intelligente et surtout esthétique en architecture des nouveaux matériaux offerts par 1 ' industrie, en particulier le fer. Mais en 1889, le constat de Huysmans est sombre devant les réalisations de 1'architecture moderne. Comment expliquer cette déception au regard de 1'évolution intellectuelle de 1'écrivain?

2.2 Le "Paris-Chicago"

Le protagoniste du court roman A vau-l’eau. Jean Folantin, dans lequel Huysmans, fidèle à sa méthode narrative autobiographique, s'est incarné, exprime sa détresse devant les transformations qui accablent le Vie arrondissement de Paris où il vit :

[...] tous ses souvenirs tenaient dans cet ancien coin tranquille, déjà défiguré par des percées de nouvelles rues, par de funèbres boulevards, rissolés l'été et glacés l'hiver, par de mornes avenues qui avaient américanisé 1'aspect du quartier et détruit pour jamais son allure intime

[.

.

.] -1

Plus loin dans le texte, Folantin éclate: Ah! décidément Paris devient un Chicago sinistre ! [...] profitons du temps qui nous reste avant la définitive invasion de la grande mufflerie du Nouveau-Monde !2

Benjamin évoque ainsi 1'oeuvre d'urbaniste du Baron Haussmann:

[...] elle fait de Paris, pour ses propres habitants, une ville étrangère.3

ville étrangère pour Huysmans, certainement. Les travaux entrepris sous la direction d'Haussmann étaient motivés par des buts politiques et idéologiques. Il s'agissait, pour la bourgeoisie du Second Empire, à la fois de marquer concrètement son triomphe et d'empêcher toute velléité de révolte de la classe ouvrière comme le précise Benjamin:

L'idéal de l'urbanisme haussmannien:des vues perspectives à travers de longues percées. Cet idéal correspond à la tendance qui se retrouve à travers tout le XIXe siècle; ennoblir des nécessités techniques par des finalités artistiques. C'est transposées dans le tracé des avenues que

1 Joris-Karl HUYSMANS, A Vau-l'eau, Paris, Plon, 1908, p. 186. 2 Joris-Karl HUYSMANS, ibid., p. 199.

devaient trouver leur apothéose les institutions où s1 affirme, séculier et spirituel, le règne de la bourgeoisie.1

Benjamin ajoute:

Le vrai but des travaux d'Haussmann était la protection de la ville contre la guerre civile. Il voulait rendre à jamais impossible 1'érection de barricades à Paris.2

Ces travaux, de plus, permettent d'éloigner une population ouvrière jugée dangereuse vers les banlieues : les toiles de Raffaëlli et Pissarro évoquées dans le chapitre précédent rendent compte de ce phénomène. Le Paris médiéval disparaît sous le pic des démolisseurs, officiellement pour des raisons d'hygiène, justification que rejette Huysmans, avec violence:

L ' irrémédiable sottise des architectes, a, du reste, ardemment suivi 11 idéal casernier des ingénieurs ; le public est enfin satisfait car aucune oeuvre d'art n'offusquera plus jamais sa vue. Il est d'ailleurs convaincu que Paris est sain. Jadis, les rues étaient étroites et les logis vastes, maintenant les rues sont énormes et les chambres microscopiques et privées d'air; 1'espace demeure le même, mais se répartit de façon autre; il paraît qu'au point de vue de 1 'hygiène cela constitue un exorbitant bénéfice.3

1 Walter BENJAMIN, ibid., p. 50-51. 2 Walter BENJAMIN, ibid., p. 51

3 Joris-Karl HUYSMANS, Certains, Paris, Christian Bourgois, coll. "10/18", 1986, p. 275-276.

Pour Huysmans,les transformations du Paris urbain menacent l'intimité, si ce n'est l'impunité de l'individu perdu dans la grande ville. Tout se passe comme si Huysmans espérait prolonger dans la rue les mêmes conditions de retraite et de protection de la vie privée qui prévalent chez lui. Significativement à cet égard, Huysmans signale la compression de l'espace intérieur au profit de l'expansion de l'espace extérieur. Or la rue, les nouveaux grands boulevards, ont pour but, dans la vision bourgeoise, d'étaler les effets les plus immédiats de la conquête du pouvoir achevée par la bourgeoisie en 1830. Fernande Zayed reproduit dans son essai un extrait du Drageoir à épices, première oeuvre marquante de Huysmanns, qui est éloquent à ce point de vue:

Les intimistes éprouvent un indéfinissable malaise sur ces longs et larges boulevards qui ont remplacé les rues quiètes et serrées du temps jadis [...]. Où que l'oeil se pose, le sentiment d'une richesse factice et d'un goût faux s'affirme [...]. Et cette transformation s'est étendue à tous les commerces, à toutes les rues, et les quartiers pauvres ont, eux aussi, abattu leurs ruelles où les arbres passaient par dessus des murs, élevé de glaciales avenues nues, bâti des maisons neuves, maquillées du blanc de plâtre, fardées au rouge de brique emphatiquement coiffées de chapeaux à la mode, en zinc. 1

Si l'on confronte ces phrases de 1874 à celles de la citation précédente, d'une quinzaine d'années postérieures, on ne pourra que souligner la remarquable

stabilité des positions de Huysmans sur le problème précis des transformations du tissu urbain de la capitale.

Huysmans dénonce la naissance d'une architecture de série, aux immeubles tous identiques et interchangeables, d'une architecture conçue sur le principe de la production industrielle. Francis Loyer explique cette situation qui prévaut dans les premières années de la Ille République:

La promotion immobilière à grande échelle se généralise. Les investissements de la fin du XVIIle siècle disposaient déjà des moyens nécessaires à la réalisation de groupes d'immeubles [...] Avec 1'extention des groupes bancaires, ce sont maintenant des lotissements entiers qui seront réalisés [...] Cette extension de moyens financiers vulgarise les grands ensembles immobiliers formés de plusieurs îlots réalisés d'un seul jet en un temps très court [...].1

Au moment où Zola cartographie méthodiquement un monde industriel en constitution, au point où il impose à sa propre oeuvre des contraintes productivistes (tous les romans de la série des Rougon-Macquart sont construits sur le même modèle), Huysmans entreprend de conserver le souvenir d'un milieu urbain qui s'efface. Ses déambulations parisiennes à la recherche des rares endroits encore épargnés par le pic des démolisseurs n'ont pas d'autre but. Huysmans assume le rôle d'un détective dont la mission serait de rassembler les indices existant

1 François LOYER, Paris XIXe siècle- l'immeuble et la rue, Paris, Fernand Hazan, 1987, p. 378.

autour d'un crime : son expérience d'écrivain naturaliste l'y prédispose. Walter Benjamin souligne que le "contenu social primitif du roman policier est l'effacement des traces de l'individu dans la foule de la grande ville"1. Il est possible de modifier quelque peu cette affirmation pour l'appliquer à l'entreprise de Huysmans: l'écrivain, par ses évocations des lieux pittoresques de Paris lutte contre l'effacement des traces de l'histoire. Cet effacement de l'histoire profite à la bourgeoisie dont l'intérêt fondamental est de présenter son ordre comme immuable et allant de soi, pour mieux masquer à elle-même ses propres contradictions:

Car, la rationalisation capitaliste qui repose sur le calcul économique privé, réclame dans toute manifestation de la vie, ce rapport mutuel entre détail soumis à des lois et totalité contingente, elle présuppose une telle structure de la société, elle produit et reproduit cette structure dans la mesure où elle s'empare de la société.2

Huysmans est totalement dépassé par ce phénomène, sa condition et son idéologie de petit-bourgeois l'empêchent d'en mesurer toute la portée. Il en pressent néanmoins les manifestations les plus extérieures et immédiates dans la mesure où elles entrent en conflit avec ses préoccupations d'esthète. Mais il tire de cette prise de conscience partielle un sentiment de jouissance masochiste destinée à nourrir son pessimisme, et justifier son inadaptation aux transformations du siècle, comme le souligne, à juste titre, Fernande Zayed:

1 Walter BENJAMIN, Baudelaire...f op. cit., p. 67. 2 Georg LUCKAS, op. cit., p.131.

Cette jouissance se double enfin pour lui d'un plaisir moral: celui de savourer une vengeance en étalant la hideur de la société en la stigmatisant, et d'éprouver un sentiment de victoire pour avoir vaincu cette hideur par la plume en la transposant en oeuvre d'art. Il arrive ainsi, par ce double triomphe, à exorciser sa misanthropie et sa répugnance de vivre.1

Les excursions de Huysmans sur les fortifications lui fournissent les preuves matérielles des tentatives de la bourgeoisie (qu'il vomit) de transformer Paris à son image, en enseigne triomphale de sa conquête du pouvoir. Les tableaux de Raffaëlli et Pissarro représentant les scènes désolées de la vie quotidienne de la nouvelle "ceinture rouge" font figure de pièces à conviction photographiques. A la lumière de ce qui précède, le commentaire de Huysmans à propos d'une remarque de Théophile Gautier, inclus dans son Salon de 1879, prend tout son sens:

Théophile Gautier a écrit quelque part que les ingénieurs gâtaient les paysages ; mais non ! ils les modifient simplement et leur donnent, la plupart du temps, un accent pénétrant et plus vif. Les tuyaux d'usines qui se dressent au loin, marquent le Nord, Pantin par exemple, d'un cachet de grandeur mélancolique qu'il n'aurait jamais eu sans eux.2

Cet extrait n'est pas une apologie de 1'industrialisation. Huysmans trouve en la présence des tuyaux d'usines dans le paysage des banlieues matière à confirmer ses soupçons. L'évocation de ces usines 1 Fernande ZAYED, op. cit., p. 76.

entretient la mélancolie de Huysmans. Lorsque Benjamin, en parlant du flâneur, voit dans la transformation de ce dernier en détective sa justification sociale1, il est possible de le paraphraser pour affirmer que Huysmans, en assumant un rôle de détective, justifie socialement son pessimisme. Huysmans n'est animé, dans ses pérégrinations, par aucune conscience sociale: sa conception de la misère est chrétienne, non marxiste. Pour Huysmans, le crime de la bourgeoisie est de défigurer Paris:

Paris [pour Huysmans] n'est ni la capitale artistique, ni littéraire, ni scientifique, mais un foyer de laideur, un Paris- Chicago prétentieux et sans âme.2

L'entreprise d'enregistrement de la mémoire urbaine menacée d'effacement selon Huysmans, s'accompagne pour 1'écrivain d'une critique acerbe des grands monuments dont s'enorgueillit la bourgeoisie du Second Empire et de la Ille République naissante. Les termes de cette critique apparaissent riches en implications.

2.3 Les palais de fer

Huysmans ménage, au sein de sa critique d'art, une place non négligeable à des remarques concernant 1'architecture. Les Salons officiels de 1879 et 1881 et deux articles recueillis dans Certains en 1889 permettent de juger de 1'évolution de la pensée de 1'écrivain quant aux réalisations architecturales de son époque. Le Huysmans des Salons est encore un naturaliste, épris de modernité et désireux de voir cet idéal concrétisé dans

1 Walter benjamin, Baudelaire..•, op, cit., p. 63. 2 Fernande ZAYED, op. cit., p. 135.

les nouveaux édifices appelés à transformer Paris ; par contre, en 1889, Huysmans apparaît d'ores et déjà comme un mystique dont le combat pour le modernisme appartient au passé. Il convient donc de nettement distinguer les références huysmansiennes à 11 architecture selon que l'on s'adresse à l'une ou l'autre de ces deux périodes : elles permettent de juger de sa propre évolution intellectuelle.

Il est significatif que Huysmans, en 1879, constate les tentatives concertées de la peinture, de la littérature et de 1 ' architecture en faveur d'une expression plus franche de la modernité. Huysmans, encore épris de naturalisme, conçoit le domaine artistique comme totalité et sa vision de 1'héroïsme de la vie moderne (au sens baudelairien du terme) investit toutes les formes artistiques, sans considération de médium. Huysmans reproduit à cette époque dans sa critique de 1 'architecture, la même mise en cause de la pratique artistique bourgeoise, idéologiquement orientée, évoquée ci-dessus dans 1'exemple de la peinture. Huysmans, dont le sentiment religieux n'est alors pas encore explicite (comme il le deviendra dix ans plus tard, après la publication de Là-Bas), dénonce néanmoins avec vigueur la contamination de 1'architecture religieuse par 1'esprit bourgeois, comme 1'exemple de 1'église de la Trinité le lui suggère:

Tout l'art maladivement élégant du Second Empire est là. La cathédrale érigée par les peuples croyants est morte. Notre-Dame n'a plus de raison d'être.Le scepticisme et la corruption raffinée des temps modernes ont construit la Trinité, cette église-fumoir, ce prie-Dieu sopha, où l'ylang et le moos-rose se mêlent aux fumées de l'encens, où le bénitier sent le saxe parfumé

qui s'y trempe, cette église d'une religion de bon goût où l'on a sa loge à certains jours,ce boudoir coquet où les dames de M. Droz flirtent à genoux et aspirent à des lunchs mystiques, cette Notre- Dame de Champaka, devant laquelle on descend de voiture comme devant la porte d'un théâtre.1

Il flotte autour de cette église comme un parfum de décadence. Cette évocation de la Trinité annonce déjà A Rebours. Huysmans distingue un autre danger: celui de l'évacuation de l'histoire par la bourgeoisie, qui substitue, aux édifices anciens dont l'architecture affirme franchement leur époque, des réalisations suspectes par leur éclectisme. A cet égard, la cible favorite de Huysmans reste l'Opéra de Garnier:

[...] j'ai volontairement passé sous silence l'Opéra, qui n'est qu'une marqueterie de tous les styles, un raccord de toutes les époques [...]. Cela n'a rien à voir, au point de vue de l'ordonnance extérieure surtout, avec l'art nouveau dont les deux types sont tranchés ; l'un morbidement distingué et corrompu,

l'autre, puissant et grandiose, enveloppant de son large cadre la grandeur superbe des machines ou abritant de ses vaisseaux énormes et pourtant aériens et légers comme des tulles, la houle prodigieuse des acheteurs ou la multitude extasiée des cirques.2

Si la Trinité a du moins la franchise pour Huysmans d'exposer à la vue de tous la décadence de l'époque, parce qu'elle est historiquement identifiable au Second Empire, le Palais Garnier constitue une authentique manipulation

1 Joris-Karl HUYSMANS, L'Art..., op. cit., p. 88. 2 Joris-Karl HUYSMANS, ibid., p. 89.

idéologique de l'Histoire : la bourgeoisie tente, par 1'entremise de cet édifice, de faire sien 1'héritage des siècles.

Toute la faveur de Huysmans se tourne dans ses Salons de 1879 et 1881 vers 1'architecture du fer, dont il relève les acquis mais surtout dont il espère les développements. Parmi les réussites achevées, Huysmans relève notamment la gare du Nord, les Halles, le marché

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