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3. ANALYSE ET THEMATISATION

3.4. LA RECONNAISSANCE FINALE

Au terme de la VAE, tous les candidats de l’étude ont obtenu le diplôme attendu certifiant leurs compétences pédagogiques. Chacun a cependant vécu ce moment de manière différente.

3.4.1.L’ACQUISITION IDENTITAIRE

Steve vit la reconnaissance institutionnelle comme un aboutissement personnel mettant un terme provisoire aux difficultés et carences de reconnaissance vécus auparavant.

Rappelons que son parcours montrait un grand déni de reconnaissance dans le poste préalable.

Il vit alors celle obtenue comme une preuve pour autrui de ses compétences.

(Ste) : Je pense que peut-être ce qui était important pour moi quand même de réussir cette formation, c’était plus par rapport au cursus précédent, comme j’avais fini dans mon poste de travail précédent, où j’avais eu, pour moi c’était un échec par rapport à ce que j’avais voulu amener. Mais j’étais plus dans l’enseignement là, hein, disons indirectement, c’était un échec par rapport à ce que je voulais amener et puis j’avais aussi vécu quelque chose où j’étais pas reconnu du tout dans le travail que je faisais. Bien au contraire. C’était les bâtons dans les roues à fond, dans le poste précédent à la direction générale à (nom d’école). […] Et là sur le plan reconnaissance personnelle, j’avais pris un coup plein la gueule comme on dit (rires). Et puis j’étais aussi sur une situation personnelle où j’en prenais plein la gueule quoi. Situation familiale et personnelle où j’en prenais plein la gueule. Donc c’était une période de mon existence qui

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était très négative où j’essayais de survivre carrément. Donc la VAE c’était quand même important que je réussisse pour démontrer que j’avais justement ces capacités et pour que ma démonstration soit effective.

A quelque part c’était comme repasser un deuxième examen. (l.351-364).

Ainsi qu’il le mentionne, la reconnaissance établie lui donne un sentiment de confort

« à plusieurs titres ». Par rapport à lui-même tout d’abord et à sa confiance en ses aptitudes à suivre un cursus de formation, par rapport à ses collègues et sa hiérarchie ensuite, puisqu’il peut dorénavant prouver qu’il a les compétences exigées et être complètement « accepté », comme il le dit lui-même, au sein de son école. Barbier (1996) explique à ce sujet :

Les dynamiques d’acquisition identitaire sont le fait d’individus ayant acquis des expériences qui ne font pas l’objet de reconnaissance sociale de l’environnement, et vivant sur un mode largement privatif leurs représentations identitaires. La formation a alors pour signification dominante de permettre l’appartenance à un groupe de référence. (p.23).

Non seulement cela permet à Steve d’intégrer un collectif de travail, un « groupe de référence », mais cela lui permet aussi de comparer celui-ci avec une autre école dans laquelle il aurait voulu être engagé auparavant, et qu’il considère dès lors moins attrayante. Il investit alors totalement le groupe de référence auquel il peut appartenir, n’étant plus considéré comme un « extraterrestre », puisque en adéquation avec la profession de ses collègues.

(Ste) : Ah je me suis senti bien. […] Là j’étais content à plusieurs titres. Pour moi ça me démontrait que j’étais encore capable d’avoir une démarche de formation continue et puis de ressortir quelque chose et puis peut-être par rapport à l’école. Quand je dis l’école c’est autant la direction que les collègues, de démontrer que les compétences je les avais, et de revaloriser peut-être mon ego par rapport à mon statut puisque j’étais en CDD et que là j’étais en CDI et j’étais entre guillemet « accepté » mais c’était une façon de parler, je l’étais, accepté par mes pairs, mais dans l’enceinte de l’école. Ah oui, il y avait peut-être aussi un petit truc qui était bien pour moi, c’est que à l’époque j’habitais à (nom de lieu), il y a quelques années et puis il y a (nom d’école) là-bas que j’ai fait et j’ai postulé plusieurs fois à (nom d’école) à l’époque où j’habitais (nom de lieu), et ils m’ont toujours refusé et j’ai jamais décroché un entretien chez eux. J’ai jamais compris pourquoi j’ai jamais eu aucun entretien dans cette école, alors qu’ils me connaissaient puisque j’y avais passé. Et puis le fait d’entrer à (nom d’école 2), pour moi c’était bien mieux qu’à (nom de lieu). Parce que déjà il y a une très bonne ambiance ici, je trouve dans l’école, dans la section puis le boulot qui est fait dans la section je le trouve vraiment extraordinaire, puis ça calque tout à fait à ma manière de penser, de m’organiser et de travailler, donc j’étais content. Voyez pour un (nom de profession) qui a travaillé des années avec une équipe pluri-disciplinaire, avec des (nom de profession 2), […], et puis qui, pendant des années aussi, a été considéré comme un extraterrestre (rires), par rapport à l’aspect (nom de profession), de se retrouver aussi dans une équipe où on parle la même langue, ça fait du bien. (l.489-510).

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Comme nous pouvons le constater, Steve vit une « résolution » (Boutinet, 1995) de crise importante. S’il reconnaît un poids important à la reconnaissance institutionnelle, c’est non seulement parce qu’elle permet une restauration du sentiment identitaire brimé par le passé, mais aussi parce qu’elle se place en soutien de la reconnaissance des pairs. Cette dernière ne suffisait en effet pas à Steve pour se sentir complètement intégré dans son milieu.

Grâce à la validation institutionnelle de ses compétences, les deux reconnaissances se marient pour permettre à une identité professionnelle cohérente d’émerger. L’intensité de la

« résolution » vécue ici contraste dès lors fortement avec le parcours en VAE puisque la stratégie adoptée précédemment semblait révéler une tranquillité ne laissant pas présager les carences identitaires en termes de reconnaissance. Il est alors très intéressant de noter à quel point la stratégie choisie par Steve a été bénéfique pour lui. Au vu des conditions d’entrée en VAE, on aurait en effet pu s’attendre à une transition très pénible à vivre. Or, de par sa décision d’être zen, il a su se maintenir dans un certain confort.

3.4.2.LA FIERTÉ

Deux candidats font mention d’un sentiment de fierté ressenti lors de la certification.

Pour Sami, la reconnaissance finale est très importante. Tout d’abord parce que ses compétences pédagogiques sont reconnues puisqu’« il y a pas grand-chose qu’on » lui ait

« reproché » et qu’elles sont validées à un degré proche de la perfection, ensuite parce qu’elles lui permettent une reconnaissance réassurée de la part de ses collègues. En effet, contrairement aux autres candidats, Sami craint, tout au long de la VAE, que l’échec de la démonstration de ses compétences le prive de la reconnaissance de ses pairs. Il estime que le manque de certification institutionnelle risquerait de le faire passer pour un « usurpateur ». La reconnaissance de l’IFFP se doit donc de coïncider avec celle vécue auparavant, grâce à un résultat positif qui permettrait de justifier la reconnaissance de ses pairs.

(Sam) : Et moi j’ai trouvé évidemment, moi j’ai eu (nombre élevé) % des points possibles donc j’ai bien réussi, mais je me dis : ben j’ai beaucoup bossé aussi. Alors je suis très content parce que je me dis : je suis pas à côté de la plaque ici quand je fais mon boulot. Parce que dans le fond, (nombre élevé) % des points, je veux dire il y a pas grand-chose qu’on m’a reproché, ou qui n’allait pas. Mais ça m’a rassuré personnellement de dire : même si je donne peu de cours ici, je peux le faire. J’ai pris ce risque, j’ai essayé de voir où j’en étais et j’ai appris plein de trucs sur moi-même (l.667-673).

(Sam) : Je pense que plus on a de responsabilités dans une institution comme moi j’en avais, plus l’enjeu est grand pour moi. Imaginez si je dois dire à mes collègues, non mais c’est idiot, mais si je dois dire à mes collègues : j’ai pas réussi. C’est quoi, c’est un usurpateur.

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(Ie) : Vous avez l’impression qu’ils vous considéreraient différemment ?

(Sam) : Ben c’est ce qu’on s’imagine. Puis en même temps moi j’ai jamais rien fait pour avoir de la reconnaissance, mais quand même, ça travaille l’esprit jusqu’à la fin, jusqu’à ce qu’on ait le résultat.

C’est pour ça que je dis que j’ai eu (chiffre élevé) % des points. Je le dis maintenant. Parce que ça m’a assez coûté. Donc à qui veut bien l’entendre je le dis. Voilà. Ca a coûté de l’énergie mais voilà j’ai eu (chiffre élevé )% des points. (je ris). Non non mais c’est pour dire : voilà moi j’aborde plus. Je veux dire si on m’interroge pas. Mes collègues, au début ils m’ont demandé : alors je disais. J’ai pas été frapper au bureau pour dire : j’ai réussi, d’ailleurs j’ai rien dit du tout. Etonnamment. Mais après forcément, on doit dire : j’ai fini et ouais c’était bon. (l.908-921).

Pour Tristan, par contre, la fierté est liée au fait de ne pas avoir besoin de faire des modules supplémentaires. Ni comparaison aux pairs, ni fierté par rapport à sa hiérarchie n’entrent dans son raisonnement. Il n’avait pas de formation pédagogique, il est donc ravi de ne pas avoir à en suivre une.

(Tri) : Bon j’étais assez content de pas avoir besoin de refaire, j’étais assez fier parce que je me suis dit : ben voilà je suis passé du premier coup. Et puis c’est à peu près tout. Ben voilà c’était quand même un peu champagne, ouais, j’étais assez content. (l.725-727).

3.4.3. L’ABOUTISSEMENT DU PROJET DE CONFIRMATION DE SOI ET LA MATURITÉ VOCATIONNELLE

Comme Tristan, les autres candidats vivent relativement tranquillement la reconnaissance obtenue. Pour certains, il s’agit d’un soulagement, comme Elias qui est, au même titre que Tristan, ravi de ne pas avoir à faire la formation pédagogique prévue au départ :

(Eli) : Donc une fois que j’avais le diplôme j’étais super content. J’étais surtout content de pas avoir de compléments de formation à faire. Parce que j’en avais vraiment…. Ouais au bout d’un moment vous en avez un peu marre de l’IFFP, vous avez envie de pouvoir tourner la page et puis de vous dire que c’est bon, c’est fini. Donc c’était cool ouais.

(Ie) : Et par rapport à ce que ça vous a amené de vous dire : j’ai cette reconnaissance-là, c’est validé maintenant.

(Eli) : Rien. J’étais content, je veux pas faire le blasé, j’étais content de pas avoir eu besoin de faire la formation. (l.401-410).

Pour d’autres, il s’agit presque d’une formalité. C’est notamment le cas pour Olivier qui le vit plus comme un « soulagement » face à une démarche administrative réglée :

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(Oli) : Ben non parce que c’était un peu ce qu’ils attendaient de moi, puis je me suis dit : ok je vais le faire. Vous voyez, c’était plus par dépit. C’était pas par volonté que j’ai fait ça, c’était plus parce qu’on reconnaissait pas ce que j’avais fait avant puis si j’ai des trucs à prouver ben ok, je vais vous le prouver.

Vous voyez c’était un petit peu par… c’était pas un choix de faire la VAE, c’était parce que vu que mes titres étaient pas reconnus et que ce que j’avais fait au niveau didactique pédagogie n’était pas suffisant, ok alors je ferai la VAE, j’aurai le DFAP et puis comme ça, tout le monde sera content. C’était un peu ça plutôt. Donc j’étais content de l’avoir mais j’étais pas aussi content que quand j’ai reçu mon Master en (nom de la matière enseignée). C’était un soulagement puis un : ben voilà j’ai fait ce qu’ils attendaient de moi, j’espère qu’ils seront contents vous voyez. (l.358-367).

et pour Kim qui se dit juste heureux que cela soit terminé, pour avoir à nouveau du temps pour faire d’autres activités.

3.4.4.SYNTHÈSE

Comme nous pouvons le constater, l’intensité de la reconnaissance finale est corrélée à l’attente préalable à l’entrée en VAE. Si Sami et Steve nourrissaient de forts espoirs face à cette reconnaissance institutionnelle, Tristan et Elias espéraient qu’elle leur permettrait de suppléer à la formation sur deux ans. Olivier quant à lui, attendait une reconnaissance de ses compétences pédagogiques que nous qualifions d’administrative et Kim ne nourrissait aucune attente vis-à-vis de la VAE. Toutefois, pour tous, la reconnaissance institutionnelle ne se substitue pas à celle octroyée par les pairs avant la VAE. Si Sami et Steve lui donnent une forte importance, c’est parce que, corrélée à celle des pairs, elle permet à leur identité professionnelle de retrouver une cohérence.