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3. ANALYSE ET THEMATISATION

3.2. LA VAE : UNE TRANSITION ENTRE DEUX RECONNAISSANCES Une fois régulées les tensions relatives à l’entrée en VAE, les candidats se trouvent

3.2.2.3. La charge de travail

Deux difficultés supplémentaires sont évoquées par certains candidats. Elles concernent la charge de travail et le stress vécus lors de la VAE. Elles ne sont pas en lien direct avec le sentiment de reconnaissance mais déstabilisent les candidats tentant de démontrer leurs compétences.

Elias parle de cette charge de travail en la mettant en relation avec le temps qu’elle prend sur le reste de ses occupations, thème qui sera récurrent tout au long de son parcours.

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(Eli) : Puis parallèlement à ça30 ben on devait pondre notre dossier, notre bilan de compétences. Puis ça vous le faisiez principalement à la maison. Ca c’était du boulot. Ca c’était vraiment long, parce que c’était un dossier en tout je pense que j’ai rendu une centaine de pages parce que vous devez décrire là ces quatre expériences, comment ils appellent ça, sous la loupe, vous devez décrire. Puis il y avait une méthodologie à suivre. Alors c’était pas compliqué mais c’était long. (l.130-135)

Tristan évoque aussi la VAE comme un processus exigeant beaucoup de travail. C’est essentiellement à cause du manque de compréhension de ce qui est attendu par l’IFFP et du peu d’habitude qu’il présente face à l’écriture de rapports. Nous verrons plus tard que sa stratégie pour faire face au flou décrit auparavant, le place dans une situation d’autant plus difficile quant à la charge de travail.

(Tri) : comme je disais : c’est assez lourd, d’un coup c’est beaucoup de travail pour se plonger dedans.

C’est un travail on n’a plus l’habitude d’être de l’autre côté et puis d’être seul avec son travail. (l.379-381).

Sami est un candidat qui vit particulièrement difficilement le processus VAE, qu’il décrit comme étant « beaucoup de souffrances » (l.961). Chaque difficulté augmente sa sensibilité et son sentiment de solitude qu’il exprime de nombreuses fois au cours de l’entretien.

(Sam) : Quand ça a commencé, j’ai vraiment pris conscience du travail, parce que c’est un énorme boulot pendant une année quoi. C’est vraiment un gros boulot. D’accord ? Alors je me suis dit : mais de dieu mais t’es fou d’avoir fait ça, pourquoi t’as fait ça ? Tu risques ta peau, tu risques tout, ça sert à quoi ? (…) Mais c’est un moment pénible psychologiquement et il faut être soutenu je crois. Et puis une des manières de se soutenir c’est de discuter entre nous, pour pas abandonner. Parce que c’est assez facile d’abandonner hein ? (l.78-92)

(Sam) : Là on rentre un peu dans un autre sujet, moi je l’ai dit hein, mais c’est vrai qu’on est seul hein dans la VAE, totalement seul. (l.206-207)

(Sam) : C’est très compliqué, c’est très mélangé, c’est très confus, puis alors on est fatigué, et puis on a le boulot le reste du temps, on fait pas ça à la place de, on le fait en plus, donc il y a des tas de choses, et puis on a tous des vies de famille, vie en général qui nous préoccupe, donc tout ça se mélange, et tout ça fait qu’on est beaucoup plus sensible. Je crois que c’est un phénomène qui s’explique uniquement comme ça. On est dans une situation à risque, mais c’est vrai hein si je vous dis ça, on est dans une situation à risque, et puis tout prend des proportions qui devraient pas être mises de manière si importante, mais c’est comme ça. (l.393-400).

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30 Elias fait allusion aux cours et ateliers donnés à l’IFFP.

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3.2.2.4. Le stress

Le stress apparaît dans les discours comme étant lié à une modalité particulière. Il s’agit du séjour à Crêt Bérard, lieu où se vivent les mises en situation professionnelle. Celles-ci sont par tous ressenties comme un moment très stressant au cours de la VAE. Certains le vivent avec recul et expriment leur habitude de ces situations (Kim), d’autres expliquent que le stress est essentiellement dû au manque préalable d’informations données par l’IFFP, enfin certains vivent très difficilement le fait d’être constamment mis sous le regard évaluateur des experts.

Tristan s’exprime sur le manque de temps à disposition pour les mises en situation professionnelle :

(Tri) : donc là c’était un peu douloureux parce que je sentais la pression. D’autres ont pris ça très à la légère, moi j’étais assez tendu, et puis j’ai trouvé assez stressant au niveau du timing. Encore une fois, c’est à dire que je préfère prendre du temps pour préparer mes cours. Puis là, quand tout d’un coup on me dit : dans une heure faut me rendre un compte-rendu de la séance machin truc, je trouvais des fois assez difficile. (l.478-483).

Sami relate son séjour à Crêt Bérard et les tensions ressenties face au regard évaluateur des experts. Il est le candidat qui vit le plus mal ce moment d’observation. On peut voir dans son discours une maîtrise importante, révélée notamment par les termes : « on est toujours en train de s’auto préparer, censurer, quand il y a ça comme ça j’évite, puis je vais trouver ça comme ça, comme ça il peut penser... » et qui contraste fortement avec la façon dont Steve vit la VAE, comme nous le verrons plus loin.

(Sam) : on est sorti de là épuisé. Ben on est sous le feu de la rampe, j’allais dire, sous les objectifs tout le temps. Alors on est épié, on a l’impression d’être épié, parce que comme je vous ai dit, on a fait ce cours, on a fait une animation, on a fait des jeux de rôle. Et on a toujours les gens suivant les salles qui sont très près. Donc on se sent surveillé en permanence. (l.535-539)

(Sam) : Mais il y avait toujours autant d’experts que de candidats, donc on avait un cercle autour d’une table puis derrière des ordinateurs, des crayons et caetera qui crépitaient quelque part. Donc on est en train de se dire : de dieu faut pas que je dise ça. Quand on doit animer ou participer au groupe c’est terrible parce qu’on se dit : attends si je dis ça, il va penser peut-être que… Voyez, ça. Donc on se censure. On essaie d’être intelligent, puis on réfléchit à la formule, comment je le dirais pour pas que ça…, pour que ce soit du bon français. Bon c’est le jeu on sait, mais c’est éprouvant, parce qu’on est toujours en train de s’auto préparer, censurer, quand il y a ça comme ça j’évite, puis je vais trouver ça comme ça, comme ça il peut penser... Ou bien j’en sais rien hein, mais on est dans une situation où on

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n’est pas naturel quoi. Et ça, ce jeu c’est extrêmement fatiguant parce qu’on n’est pas nous-mêmes donc on n’est jamais détendu, on est toujours à l’affut de ce qui peut être interprété. Donc on se maîtrise. On est tendu aussi physiquement, on est tendu nerveusement, on est attentif à comment l’autre parle. Est-ce qu’on doit intervenir parce qu’on n’est pas d’accord, mais si on n’est pas d’accord comment le dire pour que bref. Des choses qui sont pas faites de manière naturelle. (l.547-561).

Pour Elias et Olivier, le stress vient essentiellement du manque d’informations données lors de la présentation de la VAE par les responsables de la filière. Ce sont les échos des anciennes volées et le fait de laisser place à leur imagination qui poussent les candidats à s’effrayer de ce moment.

(Eli) : Eux ils vous expliquent pas tout. J’ai l’impression que la manière dont c’est présenté à Lausanne, c’est pas fait pour forcément vous mettre en confiance. J’ai l’impression qu’il y a pas beaucoup d’infos qui étaient données au départ donc vous vous faites pas mal d’idées et vous avez les échos des anciennes volées qui vous disent : ah ouais, les mises en situation c’est horrible, pendant deux jours t’es sous la loupe. Alors c’est clair que, vous voyez, il y a un peu des bruits qui courent qui vous font un peu flipper mais bon. (l.89-95).

(Eli) : c’est clair que vous avez envie de savoir. Parce qu’eux ils vous disent rien. Ils vous disent : ben voilà, c’est deux jours où il y a des jeux de rôle mais vous savez rien. Vous savez le jour en arrivant là-bas. Au fur et à mesure ils vous donnent des consignes et puis vous faites vos trucs quoi.

(Ie) : Et puis ça c’était un peu stressant ?

(Eli) : Ah ouais ouais. (…) Ouais mais c’était speed parce qu’en plus vous arrêtez pas, ils vous font des trucs le premier jour je me souviens encore le soir, de huit à dix on était sur l’ordi à pondre des textes pour eux quoi. C’était hyper intensif. Mais ça va, on en est ressorti vivant, mais on était content que ce soit pas plus que deux jours. (l.285-298).

(Oli) : Mais à Crêt Bérard, c’était de nouveau la même chose où on sait pas ce qu’ils attendent de nous, où on est un peu jeté en pâture, où en plus on a tous l’ambiance des autres qui paniquent, où il faut vraiment réussir à se mettre dans une bulle. Crêt Bérard c’était pas forcément très agréable. (l.681-271).

Le stress vécu à Crêt Bérard contribue au fait que cet endroit soit perçu de façon particulièrement dramatique par les candidats. Entre prison et lieu de crimes atroces, Crêt Bérard apparaît comme un endroit quelque peu maudit.

(Sam) : Et puis d’ailleurs quand on arrive, le premier jour, mais c’est comme si on allait en prison. C’est vrai c’est un endroit isolé, c’est un endroit où on va passer deux jours ensemble, c’est un endroit qui est un ancien couvent ou un ancien monastère, donc c’est assez austère malgré tout. Mais moi je déteste ces endroits où il y a que des feuilles mortes, des arbres, des machins, puis il faisait froid. J’aime bien la nature mais pas dans ce contexte-là (rires). Puis on avait des chambres c’était vraiment des cellules,

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c’était confort mais enfin voilà. Donc on est quand même sous l’éteignoir, on est mis à l’épreuve là.

(l.563-570).

(Eli) : Puis en plus vous savez à Crêt Bérard on était dans, c’est une sorte de maison de retraite pour des trucs de prières. Donc on était dans des chambres style de moines avec la croix en bois, la bible à côté du lit. Il y avait un côté un peu glauque je trouvais d’être là-bas (rires). C’était pas… moi c’était un drôle de contexte. (l.292-295).

(Oli) : Puis en plus on était à Crêt Bérard, c’est assez (rires), vous dormez dans des petites chambres, avec des petits lits, vous êtes un petit peu isolé quoi. Vous avez l’impression d’être dans les Rivières Pourpres (rires). (l.289-292).

Comme nous le découvrons, Crêt Bérard se vit au rythme d’une évaluation soutenue et stressante pour la plupart. Excepté pour une personne, Kim, qui lui a l’habitude des formations vécues sous stress. Pour lui, Crêt Bérard est ce qu’il y a « de plus pertinent » dans la VAE et permet d’évaluer l’aptitude qu’a chaque enseignant à réagir au stress.

Il est évident que la gestion du stress contribue au fait de vivre ce moment plus ou moins sereinement. Toutefois, malgré le fait que certains candidats le subissent de façon dramatique, l’intention de l’IFFP est plutôt de mettre les enseignants dans un environnement permettant une certaine spontanéité des réponses. Pour l’Institut, il n’existe pas de critères d’évaluation liés à la gestion du stress.

3.2.3.LES STRATÉGIES IDENTITAIRES

Dans cette partie, nous allons aborder divers degrés de ressentis quant au manque de reconnaissance et tenter de mettre à jour les stratégies élaborées par les candidats afin de réguler leurs tensions. Face aux difficultés présentées ci-dessus, les écarts entre les réactions des candidats se creusent. L’un d’eux, profondément déstabilisé, développe une stratégie défensive affective évidente, alors que d’autres investissent des stratégies plus rationnelles et montrent un certain degré de maîtrise du « métier d’élève » (Perrenoud, 2000).