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La reconnaissance des standards techniques internationaux

TITRE II La neutralisation des exceptions par la reconnaissance sélective des normes

CHAPITRE 1. La reconnaissance des standards techniques internationaux

U

NE APPLICATION LIMITÉE DES EXCEPTIONS

ENVIRONNEMENTALES ET SANITAIRES SUR LE FONDEMENT DE L

ARTICLE

XX

DU

GATT

29. Des exceptions appliquées dans deux affaires. En dehors d’une première affaire

Essence, qui a permis une consécration purement théorique de l’exception

environnementale, les organes de règlement des différends ont effectivement admis dans deux autres dossiers, Crevettes et Amiante, la justification environnementale ou sanitaire de restrictions au commerce international de certaines marchandises. Ils relevaient de l’article XX du GATT, donc de son interprétation par les organes de règlement des différends. Ces deux affaires leur ont permis de se prévaloir d’un statut de régulateur mondial des échanges, prenant en compte les valeurs non commerciales que sont l’environnement et la santé.

30. Le caractère limité de l’application. Cette application des exceptions

environnementales et sanitaires apparaît néanmoins fort limitée, à la fois au regard du caractère contestable des raisonnements juridiques mis en œuvre, mais aussi au regard du bilan global qui peut être dressé de cette jurisprudence. Effectivement, en vingt ans de procédure, seules deux mesures environnementales et sanitaires seront réputées compatibles avec les règles du commerce international. Il s’agit donc ici de mettre en lumière, outre les faiblesses de ces raisonnements, les limites de la prise en compte des valeurs non-commerciales ; ces limites se manifesteront de manière plus prégnante encore dans les différends ultérieurs. L’interprétation de la réserve d’ordre public que constitue l’article XX1

se révèle ainsi décevante in fine.

1 Ou de l’échec de son rôle de défense des exceptions non-commerciales constituant autant d’intérêts

publics impérieux : en ce sens, v. RACINE J.-B.et BRÉGER T., « Ordre public », in COLLART DUTILLEUL F. et BUGNICOURT J.-P. (dir.), Dictionnaire juridique de la sécurité alimentaire dans le monde, op. cit., pp. 467-471.

Sur le fondement des exceptions générales comprises par l’article XX du GATT, les organes de règlement des différends ont appliqué de manière limitée l’exception environnementale (SECTION 1) puis l’exception sanitaire (SECTION 2).

SECTION 1. L’

APPLICATION LIMITÉE DE L

EXCEPTION ENVIRONNEMENTALE

31. Une consécration formelle. Les organes de règlement des différends ont

initialement consacré l’exception environnementale sur le fondement de l’article XX g) de l’Accord général dans les affaires Essence et Crevettes. Pour certains, cette consécration relève d’une tendance à la conciliation de deux types d’intérêts contradictoires1. Une analyse d’ensemble permet pourtant de mettre en lumière que ces décisions ne peuvent être regardées comme ayant été l’amorce d’une réelle politique jurisprudentielle, tendant à laisser une véritable place aux mesures protectrices de l’environnement, au sein des grands principes du libre-échange2

. Cette consécration d’une exception environnementale par les organes de règlement des différends semble donc avant tout formelle, notamment au regard de l’interprétation restrictive par les organes de règlement des différends de l’article XX.

32. Une consécration sur le fondement de l’article XX g) de l’Accord général. Dans

les affaires Essence et Crevettes, il s’agissait de légitimer des mesures restrictives pour le commerce international pour des motifs environnementaux sur le fondement de l’article XX g) du GATT, selon lequel

1

La notion de conciliation était alors entendue comme une démarche tendant à « rapprocher des choses

opposées, contraires, pour les faire coexister harmonieusement, les rendre compatibles » : JOURDAIN- FORTIER C., « Le règlement des différends de l’OMC et la protection des valeurs non-marchandes », in BLIN O., Regards croisés sur le règlement des différends de l’OMC, Bruylant, Bruxelles, 2009, pp. 83-110.

2

Cette problématique d’une consécration de principe, à l’application pratique limitée, se retrouve également en droit de l’Union européenne. C’est ainsi, par exemple, que le juge européen a pu affirmer dans l’affaire des Huiles usagées que la protection de l’environnement constituait un objectif d’intérêt général, justifiant que des restrictions puissent être apportées aux libertés économiques fondamentales (CJCE, arrêt du 7 février 1985, Association de défense des brûleurs d’huiles usagées, 240/83, Rec., p. 531) et déclarer dans l’affaire des Bouteilles danoise, que « la protection de l’environnement constitue une

exigence impérative pouvant limiter l’application de l’article 30 du traité » (devenu l’article 34 TFUE, et

posant le principe de libre circulation des marchandises) (CJCE, arrêt du 20 septembre 1988, Commission c.

Danemark, 302/86, Rec., points 8 et 9). Ces déclarations de principes sont néanmoins largement nuancées

en réalité, notamment par l’application par les juges des principes de proportionnalité et de nécessité. Sur cette question sur le plan européen, v. MALET-VIGNEAUX J. etMARTIN G. J., « L’intégration substantielle des préoccupations environnementales dans le système juridique », in BOY L., RACINE J.-B., SUEUR J.-J. (dir.), Pluralisme juridique et effectivité du droit économique, Larcier, Bruxelles, 2011, pp. 245-273, spéc. pp. 262-267.

« Sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international, rien dans le présent Accord ne sera interprété comme empêchant l’adoption ou l’application par toute partie contractante des mesures […]se rapportant à la conservation des ressources naturelles épuisables, si de telles mesures sont appliquées conjointement avec des restrictions à la production ou à la consommation nationales ».

L’Organe d’appel a fait de cet article XX g) une interprétation restrictive, qui explique que la consécration de l’exception environnementale n’ait été que théorique dans son rapport Essence (§1). Il semblerait que ce n’est que parce qu’il s’est ponctuellement éloigné de cette interprétation, en cantonnant sa solution au cas d’espèce, qu’il a pu, pour la seule et unique fois, mettre en œuvre l’exception à l’issue de la longue et laborieuse procédure de l’affaire Crevettes (§2).

LA

CONSÉCRATION THÉORIQUE D’UNE EXCEPTION

§ 1.

ENVIRONNEMENTALE PAR LE RAPPORT ESSENCE

33. Un différend posant les jalons de la dialectique entre commerce et environnement. Le premier différend tranché par l’Organe d’appel est de toute

importance puisqu’il pose les jalons1

de la dialectique entre le droit de l’OMC et les préoccupations d’ordre autre que commercial 2 . S’il n’est ici question que

1 Expression employée initialement par Hélène R

UIZ-FABRI dans son article « Chronique du règlement des différends 1996-1998 », JDI, 1999, n° 2, p. 455.

2

Cette affaire a d’ailleurs fait l’objet de nombreux écrits doctrinaux : v. BEHBOODI R., “Legal Reasoning and the International Law of Trade – The First Steps of the Appellate Body of the WTO”, JWT, 1998, vol. 32, N°4, pp. 55-99, spéc. pp. 70-75 ; CAMERON J., CAMPBELL K., Dispute Resolution in the World Trade

Organization, Cameron May, London, 1998, pp. 90-91 ; CAMERON J., CAMPBELL K., “Challenging the Boundaries of the DSU Through Trade and Environmental Disputes”, inCAMERON J., CAMPBELL K. (eds.),

Dispute Resolution in the World Trade Organization, Cameron May, London, 1998, pp. 204-231, spéc. pp.

209-212 ; CANAL-FORGUES E., « La procédure d’examen en appel de l’Organisation mondiale du commerce », AFDI, 1996, vol. XLI, pp. 845-863, spéc. pp. 853-863 ; FLORY Th., « Chronique du règlement des litiges de l’OMC », Revue du Marché commun et de l’Union européenne, 2000, N° 442, pp. 609-619 ; HOEHN T., “United States – Standards for Reformulated and Conventional Gasoline: Legal and Economic Commentary”, in FIJALKOWSKI A., CAMERON J. (eds.), Trade and Environment: Bridging the Gap, The Hague, T.M.C. Asser Institute, 1998, pp. 162-174; MARCEAU G., “A Call for Coherence in International Law – Praises for the Prohibition Against ‘Clinical Isolation’ in WTO Dispute Settlement”, JWT, 1999, vol. 33, N°5, pp. 87-152., spéc. pp. 95-98 ; MAVROIDIS P.C., “Trade and Environment after the Shrimp – Turtles

d’environnement, ce sont pourtant bien les mêmes raisonnements qui façonnent les solutions données à l’ensemble du contentieux des exceptions environnementales et sanitaires, que les solutions soient fondées sur le GATT, l’Accord SPS ou l’Accord

OTC. Preuve en est que ces derniers rapports s’appuient largement sur le premier par

le biais de nombreuses références.

Outre la mise en place de plusieurs règles techniques, le rapport Essence annonce toute l’ambivalence de ce contentieux : à la recherche de l’équilibre entre commerce et environnement, l’Organe d’appel reconnait aux États Membres « une large autonomie

pour déterminer leurs propres politiques en matière d’environnement (y compris la relation entre l’environnement et le commerce), leurs objectifs environnementaux et la législation environnementale qu’ils adoptent et mettent en œuvre »1

. Cette marge de manœuvre reconnue aux États membres de l’OMC reste toutefois limitée d’après l’interprétation de l’Organe d’appel par « la nécessité de respecter les prescriptions de

l’Accord général et des autres accords visés »2

. En effet, malgré la reconnaissance expresse que « l’article XX de l’Accord général contient des dispositions visant à

permettre que d’importants intérêts des États – y compris la protection de la santé des personnes et la conservation des ressources naturelles épuisables – trouvent leur

Litigation”, JWT, 2000, vol. 34, N°1, pp. 73-88., spéc. pp. 79-84 ; NOGUEIRA G., “The First WTO Appellate Body Review: United States – Standards for Reformulated and Conventional Gasoline”, JWT, 1996, vol. 30, N°6, pp. 5-29 ; PETERSMANN E.-U., The GATT/WTO Dispute Settlement System:

International Law, International Organizations and Dispute Settlement, Kluwer Law International,

London/The Hague/Boston, 1997, pp. 106-117 ; PIGNY P., « États-Unis – Normes concernant l’Essence nouvelle et ancienne formules », in STERN B.et RUIZ-FABRI H. (dir.), La jurisprudence de l’OMC– The

Case-Law of the WTO (1996-1997), Leiden, Boston, M. Nijhoff, 2004, pp. 1-26 ; RESTANI J.A., BLOOM I., “The Quick Solution to Complex Problems: the Article II Judge”, Forham International Law Journal, 1994/95, vol. 18, pp. 1668-1678 ; ROBERT E., « L’affaire des normes américaines relatives à l’Essence : le premier différend commercial environnemental à l’épreuve de la nouvelle procédure de règlement des différends de l’O.M.C. », RGDIP, 1997, N°1, pp. 91-140 ; SCHULTZ J., “The Demise of ‘Green’ Protectionism: The WTO Decision in the US Gasoline Rule”, Denver Journal of International Law and

Policy, 1996/1, vol. 30, N°6, pp. 1-24 ; SCHENK M.D., “US – Standards for Reformulated and Conventional Gasoline: First Ruling of WTO Appellate Body, Construing GATT 1994 Exception on Conservation of Exhaustible Natural Resources”, AJIL, octobre 1996, vol. 90, N°4, pp. 669-674 ; STROM T.H., “Pouring Fuel on the Fire? The WTO’s Reformuling Gasoline Case”, ACDI, 1996, pp. 249-271 ; TRACHTMAN J., “Decisions of the Appellate Body of the World Trade Organization”, EJIL, 2000, vol. 11, N°1, pp. ?? ; WAINCYMER J., “Reformulated Gasoline: Under Reformulated WTO Dispute Settlement procedures: Pulling Pandora Out of a Chapeau?”, Michigan Journal of International Law, 1996/97, vol. 18, pp. 141-181.

1

Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Normes concernant l'essence nouvelle et anciennes formules

(« États-Unis - Essence »), WT/DS2/AB/R, adopté le 20 mai 1996, p. 33. 2 Rapport de l'Organe d'appel « États-Unis - Essence », p. 33.

expression », l’issue du différend Essence révèle d’ores et déjà la prépondérance

effective des principes du libre-échange : le Groupe spécial et l’Organe d’appel parviennent à la même conclusion, quoique par des raisonnements différents, en décidant que la mesure en cause entraîne une discrimination injustifiable et constitue une restriction déguisée au commerce international.

34. Le cas d’espèce. L’affaire Essence est issue d’une plainte du Venezuela, plus tard

suivi par le Brésil, concernant la mesure d’application de la loi américaine dite « Loi

de 1990 sur la lutte contre la pollution atmosphérique » (Clean Air Act, la « CAA »).

Cette mesure, intitulée « Réglementation concernant les combustibles et les additifs

pour combustibles – Normes pour l’essence nouvelle et ancienne formules », avait été

adoptée par l’Agence pour la protection de l’environnement (APE) des États-Unis. Les deux États contestaient la compatibilité de la mesure avec l’article III.4 de l’Accord

général, qui pose le principe de traitement non moins favorable des produits importés

par rapport aux produits nationaux. L’objectif de la mesure en cause était de réduire le rejet de substances toxiques émises dans l’atmosphère lors de la combustion de l’essence. Pour ce faire, la mesure prévoyait la mise en place de « niveaux de base » de toxicité de l’essence, qui ne pouvaient être dépassés. Le litige résidait en particulier dans le fait que la détermination de ces niveaux de base était différente selon qu’il s’agissait des raffineurs américains ou des importateurs étrangers. Les premiers pouvaient établir leurs niveaux de base « individuellement », quand les seconds devaient se conformer aux niveaux de base « réglementaires » établis par l’APE.

35. Le rapport du Groupe spécial. Dans son rapport, le Groupe spécial a rejeté

l’argumentaire des États-Unis qui trouvait une justification de la mesure dans les paragraphes b), d) et g) de l’article XX du GATT1

. Le panel concluait à l’incompatibilité de la mesure avec l’article III.4 du GATT, au motif que l’essence

1

Paragraphes de l’article régissant les « exceptions générales », respectivement relatifs à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux (b), au respect des lois et règlements compatibles avec l’Accord général (d) et à la conservation des ressources naturelles épuisables (g).

importée bénéficiait de conditions moins favorables que l’essence nationale1

. Les États-Unis ont fait appel de cette décision, en se fondant exclusivement sur l’article XX g) du GATT.

36. Le rapport de l’Organe d’appel. L’Organe d’appel parvient à la même

conclusion que le Groupe spécial, en infirmant toutefois certaines de ses affirmations2. Il consacre ainsi théoriquement l’exception environnementale par son interprétation de l’article XX g) du GATT, mais en l’encadrant si strictement que la mesure américaine sera jugée comme n’y étant pas conforme. Le rapport Essence doit être lu comme le premier différend traité par l’Organe d’appel et l’amorce d’une politique jurisprudentielle spécifique aux exceptions environnementales et sanitaires. L’Organe d’appel prend une décision politique appréhendant l’exception environnementale de manière extrêmement restrictive, tout en justifiant cette solution par un raisonnement juridique apparemment objectif. La décision finale d’incompatibilité n’est pas contestable sur le fond : l’imposition aux seules importations de coûts supplémentaires ne semble effectivement pas justifiable par un motif environnemental3. Si l’Organe d’appel fait montre de sa volonté d’ouverture aux préoccupations non commerciales, en particulier environnementales, dans ce rapport, il pose la limite du respect des prescriptions du GATT. Les États-Unis, en adoptant des mesures environnementales unilatérales génératrices de discriminations à l’encontre des raffineurs étrangers, ont dépassé cette limite. D’après certains, c’est cet unilatéralisme qui a été l’objet d’une

« condamnation feutrée »4 par l’Organe d’appel, qui n’aurait fait que remplir sa mission de contrôle5. Il reste néanmoins notable que la mise en place d’un raisonnement juridique sert à légitimer la solution adoptée 6 (A), ainsi qu’une

1 Rapport du Groupe spécial États-Unis – Normes concernant l'Essence nouvelle et anciennes formules (« États-Unis - Essence »), WT/DS2/R, adopté le 20 mai 1996, modifié par le rapport de l'Organe d'appel

WT/DS2/AB/R.

2 Rapport de l'Organe d'appel États-Unis – Normes concernant l'Essence nouvelle et anciennes formules (« États-Unis - Essence »), WT/DS2/AB/R, adopté le 20 mai 1996.

3

V. en ce sens RUIZ-FABRI H., « Chronique du règlement des différends 1996-1998 », JDI, 1999, N°2, p. 458.

4 Ibid. 5 P

IGNY P., « États-Unis – Normes concernant l’Essence nouvelle et ancienne formules », op. cit., p. 26.

6

Dans le même sens, v. PIGNY P., « États-Unis – Normes concernant l’Essence nouvelle et ancienne formules », op. cit., p. 26 : « il apparaît donc que l’Organe d’appel a éprouvé le besoin de développer assez

interprétation restrictive de l’article XX du GATT (B), donc des exceptions générales au libre-échange des marchandises.

L’amorce d’une juridicité du système de règlement des différends A.

37. La survenance des questions environnementales et sanitaires dans le système de

règlement des différends de l’OMC semble aller de pair avec une juridicisation des solutions rendues, permettant de légitimer les solutions. C’est ainsi que dans son rapport Essence, l’Organe d’appel adopte ostensiblement une démarche juridique (1), tranchant avec l’ancien pragmatisme des panels, selon laquelle il positionne pour la première fois l’OMC comme un droit spécifique au sein du système juridique plus général du droit international (2).

1.

L’adoption ostensible d’une démarche juridique

38. L’Organe d’appel, diseur de droit. Pour la première fois, un rapport rédigé par

un Groupe spécial est réexaminé par la seconde instance qu’est l’Organe d’appel1. Il fait montre, dès ce rapport, de sa fonction de juge de droit. Pour autant, la conclusion générale du rapport de l’Organe d’appel rejoint celle du Groupe spécial en ce qu’il recommande la mise en conformité de la mesure américaine avec les dispositions du

GATT2. Mais l’Organe d’appel amène cette conclusion par un raisonnement juridique complet et rigoureux, qui le mène à constater différentes « erreur[s] de droit » 3 commises par le Groupe spécial. Les structures argumentatives relèvent du discours juridique et juridictionnel. En témoignent certaines règles générales explicitement posées, telles que celle sur la charge de la preuve dans l’invocation d’une exception4.

1

L’affaire Essence étant la première soumise à l’Organe d’appel, elle démontre l’esprit de transition entre le GATT de 1947 et l’OMC de 1995. La plainte initialement déposée sous l’égide de l’ancien GATT, en fut retirée pour être redéposée sous le nouveau. On peut ainsi apprécier la continuité entre les deux systèmes par cette illustration que des faits antérieurs à la nouvelle organisation peuvent être examinés par l’ORD sous réserve que la plainte soit déposée postérieurement à l’entrée en vigueur de la Charte : v. MONNIER P. et RUIZ FABRI H., « OMC. – Règlement des différends » , op. cit., n° 28.

2 Rapport de l’Organe d’appel « États-Unis - Essence », p. 33. 3

Rapport de l’Organe d’appel « États-Unis - Essence », pp. 32 et 33.

4 Rapport de l’Organe d’appel «États-Unis - Essence », p. 25 : « Il incombe à la partie qui invoque l’exception de démontrer qu’une mesure provisoirement justifiée du fait qu’elle entre dans le cadre de l’une

Il applique ici à la lettre l’article 3 du Mémorandum d’Accord qui voit dans le

« système de règlement des différends de l’OMC […] un élément essentiel pour assurer la sécurité et la prévisibilité du système commercial multilatéral. Les membres reconnaissent qu’il a pour objet de préserver les droits et les obligations résultant pour les membres des accords visés, et de clarifier les dispositions existantes de ces accords conformément aux règles d’interprétation du droit international public ».

Certains observateurs ont alors souligné le poids des rapports de l’Organe d’appel, en tant qu’organe diseur de droit 1

. Cette juridicisation des litiges commerciaux internationaux reste toutefois largement teintée de pragmatisme.

39. La nuance pragmatique. Le rapport Essence est particulièrement audacieux en

ce qu’il pose certains grands principes, qu’il s’agisse des règles d’interprétation des textes ou d’une méthodologie d’application de l’article XX. Le compromis semble pourtant se trouver dans le pragmatisme des décisions prises : ce rapport amorcerait une combinaison de la démarche empirique qui prévalait sous l’empire du GATT2

et de la démarche juridique qui tend à s’affirmer dans le cadre de l’OMC3

. Ce rapport hybride, entre juridicisation et pragmatisme, caractérise ainsi les décisions prises par les organes de règlement des différends, concernant les mesures environnementales et sanitaires : c’est le raisonnement juridique qui sert à légitimer la décision pragmatique. Dans le rapport Essence, la conclusion d’incompatibilité de la mesure

des exceptions énoncées dans les différents paragraphes de l’article XX ne constitue pas, dans son application, un abus de cette exception au regard du texte introductif. »

1 En cherchant à éclaircir le contenu des droits et obligations contenus dans les accords, le juge met

nécessairement en place une sorte de précédent fiable sur lequel les États membres chercheront à s’appuyer. Pourtant, ce sera toujours prudemment que l’Organe d’appel édictera des règles générales, par peur de se voir reprocher d’excéder sa mission ou de faire preuve d’« activisme judiciaire » : v. MONNIER P. et RUIZ FABRI H., « OMC. – Règlement des différends » , op. cit., n° 90.

2 Les Groupes spéciaux établis sous l’égide de l’ancien GATT avaient avant tout le souci de rétablir les

avantages commerciaux annulés ou compromis. Ils privilégiaient dès lors la recherche d’un accord entre les parties, quitte à s’écarter des modes classiques d’interprétation des traités. Cette pratique présentait l’avantage de faciliter le rétablissement de l’équilibre, mais l’inconvénient de ne pas toujours s’effectuer selon des critères objectifs. Sur ces questions, v. CANAL-FORGUES E., L’institution de la conciliation dans

le cadre du GATT, Bruylant, Bruxelles, 1993, pp. 482-504 ; PACE V., L’OMC et le renforcement de la

réglementation juridique des échanges commerciaux internationaux, Paris, L’Harmattan, 1999, pp. 111-128. 3 V. D

UPRAT J.-C., « États-Unis – Essence », in CANAL-FORGUES E., et FLORY T., GATT/OMC – Recueil

des contentieux (du 1er janvier 1948 au 31 décembre 1999), Bruylant, Bruxelles, 2001, p. 554 ; PACE V.,

L’OMC et le renforcement de la réglementation juridique des échanges commerciaux internationaux, op. cit., p. 128.

environnementale américaine est légitimée par le raisonnement juridique mis en place par l’Organe d’appel.

Dans le cadre de sa démarche formelle de juridicisation de sa décision, l’Organe

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