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Chapitre 4 — Épistémologie et méthodologie

3. La recherche qualitative

En commençant cette thèse, la recherche qualitative s’est imposée à nous pour « dégrossir » notre compréhension du terrain, en particulier celui du Business Lab, et positionner notre recherche théoriquement et empiriquement. La recherche qualitative qui diffère de la recherche quantitative de par ses objectifs (Dumez,2016) prend ses racines dans la démarche compréhensive (Dumez, 2016). La recherche qualitative se focalise sur les mécanismes, les relations et les processus qui se jouent entre les acteurs. La recherche qualitative s’appuie sur « les discours, les intentions (le pourquoi de

l’action), les modalités de leurs actions et interactions (moment de l’action). » (Dumez, 2016, p. 12).

Au départ, nous nous sommes intéressés au Business Lab – en tant que dispositif de corporate

entrepreneurship –, ses acteurs – c’est-à-dire son équipe managériale et les corporate entrepreneurs

– et aux relations qu’il entretient avec le reste de l’organisation. Pour appréhender et renseigner ce terrain, nous avons produit et cumulé de nombreux types de matériaux : des prises de notes (de réunion, de présentation, de discussions formelles ou informelles, de conférences interprofessionnelles), des entretiens (enregistrés ou non, retranscrits ou non), des observations, des

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documents (de présentation, des mails, de communication, des rapports…), des matériaux typiques de la recherche qualitative (Dumez, 2016). En plus, de ces documents, nous tenions un journal de bord, où prises de notes, réflexions, récits de faits, impressions, idées, ressentis…étaient consignés. Au fur et à mesure, l’étude de l’individu qui vivait les processus de corporate entrepreneurship — son ressenti, son expérience, son vécu — s’est imposée comme une évidence pour deux raisons (1) l’intérêt intrinsèque du sujet et (2) la question de la performance organisationnelle — par le prisme du bien-être au travail. C’est ainsi, que nous avons décidé d’un commun accord avec les parties prenantes de la thèse CIFRE, d’ouvrir notre recherche à d’autres organisations françaises dotées de ces mêmes dispositifs de corporate entrepreneurship et donc d’interroger d’autres corporate entrepreneurs d’autres entreprises.

La première étape a été de spécifier notre cadre d’analyse (cf. Chapitre 3) — rendu possible par le premier travail exploratoire engagé de prises de notes et d’observations sur le terrain. Ensuite, nous avons ciblé les acteurs que nous souhaitions interroger : les corporate entrepreneurs. Toujours dans une démarche « compréhensive » (Dumez, 2016), nous souhaitions sincèrement comprendre et appréhender cette expérience de corporate entrepreneurship grâce aux discours et récits des

corporate entrepreneurs. Nous souhaitions, dans cette seconde étape de recherche, nous focaliser sur

un type de matériau (Dumez, 2016) pour éviter l’aspect hétérogène et lacunaire du matériau récolté (Dumez, 2016). Ainsi, l’entretien s’est imposé comme une évidence méthodologique pour appréhender et recenser l’expérience de ces acteurs, via le prisme du bien-être au travail. L’entretien est une méthode d’observation non participante (David, 1999; Gavard-Perret et al., 2012) et également la méthode la plus utilisée en sciences de gestion (Gavard-Perret et al., 2012). Nous nous sommes appuyés sur un guide d’entretien (Gavard-Perret et al., 2012) réalisé a priori à partir de la littérature scientifique et théorique sur le bien-être au travail (cf. Annexe 1). Pour limiter le risque de circularité défini par Dumez (2016) et pour ne pas limiter les réponses des corporate entrepreneurs, lors de l’entretien, nous laissions un temps de parole libre à l’acteur sans le couper dans un premier temps. Dans un second temps, nous procédions à des relances différées (Gavard-Perret et al., 2012) et des questions directes (Gavard-Perret et al., 2012), lorsque l’acteur n’avait pas évoqué une des thématiques qui constituent notre guide d’entretien. Lors de ces entretiens semi-directifs (Bobillier- Chaumon & Sarnin, 2012 ; Gavard-Perret et al., 2012), nous adoptions une posture empathique (Gavard-Perret et al., 2012). Nous n’étions pas dans le jugement, juste dans la compréhension des faits relatés et des émotions exprimées, par l’acteur. De plus, nous assurions l’anonymat de l’identité de l’acteur et de son entreprise, pour nous permettre d’avoir un discours le plus authentique possible. Tous les entretiens réalisés — soixante-dix au total — ont été enregistrés et retranscrits. Les entretiens

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duraient entre trente minutes et deux heures. Après avoir consolidé tout ce matériel empirique, nous décidions d’analyser les entretiens, grâce au logiciel NVivo 9. La méthode de codage que nous avons utilisée se rapproche fortement de la méthode de codage multithématique élaborée par Magali Ayache et Hervé Dumez (2011). Après avoir importé les entretiens retranscrits, nous avons créé quatre « nœuds » principaux qui reprenaient les quatre thématiques de notre guide d’entretien – les rapports aux collègues, managers, temps et à l’environnement physique au travail. Nous avions pour discipline de coder l’entretien en entier, chaque phrase et mot. Ainsi, par entretien d’une heure, il nous fallait six à sept heures pour coder l’entretien. Au fur et à mesure de l’analyse, nous rajoutions des « sous- nœuds » ou des nouveaux nœuds. En tout plus de trois mille nœuds et sous-nœuds ont été créés. Les soixante-dix entretiens codés, nous avons recoupé certains codes entre eux (Dumez, 2016). Ce « nettoyage » a permis de réduire à mille cinq cents nœuds et sous-nœuds. Cette analyse a permis de mettre en exergue deux facteurs, qui modèrent les résultats sur le bien-être au travail des corporate entrepreneurs : les modalités managériales des dispositifs de corporate entrepreneurship et les caractéristiques intrinsèques des corporate entrepreneurs. Facteurs que nous avons explorés par la suite. Un nœud est également apparu de par sa récurrence : le nœud « perspectives de carrière », qui a donné lieu au chapitre 8.

Les difficultés rencontrées lors de ce premier travail ont été l’analyse très longue des entretiens, qui a pour impact la création de nombreux nœuds. Tous les nœuds n’ont pas pu être analysés et étudiés. Seuls les principaux et les plus récurrents ont été discutés. Le nombre important d’entretiens a permis de contraster les résultats, mais nous a parfois fait perdre de vue l’intérêt d’une démarche qualitative. Suite aux résultats de ce premier travail, nous nous sommes intéressés aux dispositifs de corporate

entrepreneurship intégré par les corporate entrepreneurs précédemment interrogés. Les corporate

entrepreneurs étaient issus de quinze dispositifs de corporate entrepreneurship différents, eux-mêmes issus de douze grandes entreprises françaises privées différentes. De par nos recherches préliminaires et exploratoires relatives à la première étape, nous disposions de nombreux documents de natures diverses (vidéos, entretiens, rapports, présentations, prises de notes). Nous décidions donc de constituer des séries avec différents types de matériau (Dumez, 2016). L’objectif de notre recherche, ici, était de comprendre comment se structuraient ces dispositifs de corporate entrepreneurship, comment ils étaient managés, quelles étaient les spécificités et les ressemblances entre ces différents dispositifs. Nous avons également mené douze entretiens complémentaires avec les managers des dispositifs de corporate entrepreneurship étudiés. Un guide d’entretien avait été réalisé a priori (cf. Annexe 2), sur la base du processus d’un tel dispositif — étape d’entrée, d’accompagnement et de sortie. Après avoir consolidé tous les matériaux empiriques — retranscriptions systématiques des

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vidéos et des entretiens — nous sommes passés à la phase de codage sous NVivo 9. La méthode de codage utilisée diffère du premier travail. En effet, nous avons utilisé la méthode de codage de Glaser et ses collègues (1968) la théorisation ancrée. Concrètement, au fur et à mesure du codage, nous créions des nœuds et des sous-nœuds, ce qui a donné lieu à la création de quatre cents nœuds. Après un regroupement entre des différents nœuds, nous arrivons à deux cent dix-sept nœuds exactement. Cette méthode nous a permis d’éviter le risque de circularité (Dumez, 2016), cependant cette méthode a nécessité de nombreuses heures de codage.

Ensuite grâce aux codages des différents matériaux empiriques, nous avons constitué quinze cas qui correspondaient aux quinze dispositifs de corporate entrepreneurship qui reprenaient les différents éléments discutés dans le matériel empirique pour chacun des cas. Concrètement, la rédaction de ces cas reprenait le processus de corporate entepreneurship et les différentes étapes qui constituent chacun des dispositifs. Nous avons représenté schématiquement les processus de chacun des quinze dispositifs étudiés. La difficulté principale de ce travail a été de garder une cohérence entre les nœuds créés et ceux nouvellement créés d’où la multiplication des nœuds créés et le regroupement indispensable des différents nœuds, pour permettre une analyse clarifiée.

La quatrième étape est l’étude des caractéristiques intrinsèques des corporate entrepreneurs, qui fait suite à la première recherche menée. Cette fois-ci, nous avons emprunté un raisonnement déductif. En effet, après avoir lu la littérature associée à ce sujet, nous avons convenu de faire passer aux

corporate entrepreneurs interrogés des questionnaires de personnalité. Seuls soixante et un ont

accepté de passer ce questionnaire. Le choix du questionnaire de personnalité est un choix nourri d’une réflexion théorique. Dans ce chapitre, nous nous inscrivons davantage dans une posture positiviste – posture qui diffère de la posture constructiviste, jusqu’à présent, tenue. La méthodologie employée est donc une méthodologie d’ordre quantitative. Une fois les réponses aux questionnaires de personnalité récoltées et nettoyées dans un fichier Excel. Nous avons regroupé les données par catégorie d’acteurs (4). Nous avons donc importé ce fichier complètement anonymisé sur un logiciel statistique : StatPlus. L’analyse statistique descriptive nous a permis de dresser des tendances par catégories. L’analyse statistique inférentielle n’a pu être possible au vu du trop petit nombre d’acteurs par catégorie.

En parallèle, nous continuions de lire la littérature associée pour établir nos hypothèses et hypothèses nulles. La difficulté que nous avons rencontrée est le faible nombre de réponses pas catégorie d’acteurs qui ne nous a pas permis d’assurer des résultats contrastés et significatifs.

La cinquième étape correspond à l’analyse des nœuds « perspectives de travail » de la première recherche. Ces résultats ont été enrichis par la passation de dix-huit entretiens longitudinaux réalisés

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auprès de douze corporate entrepreneurs du Business Lab et d’observations. Ici, la méthode de codage a été la même que celle de la seconde étape.

Enfin, tout au long de ces différentes étapes, nous organisions des réunions de présentation des résultats avec l’équipe managériale du Business Lab (comités de pilotage, séminaires annuels, réunions d’équipe). Ces réunions nous permettaient de valider certaines propositions d’analyses, certaines réflexions et également recenser l’analyse de ces acteurs et leurs commentaires. De plus, nous participions régulièrement à des conférences et réunions interprofessionnelles, où des professionnels du secteur se réunissaient pour présenter, discuter et comparer leurs pratiques. Nous avons également participé à des réunions organisées par l’Observatoire de l’Innovation — dirigé par l’Institut de l’Entreprise — qui rassemblent plusieurs Directeurs de l’innovation au sein de grandes entreprises françaises pour également recenser leurs retours sur les pratiques qu’ils emploient et tester nos analyses et réflexions.

Tous ces échanges, plus ou moins formels, nous ont permis de soumettre aux praticiens notre analyse, de la tester et d’accueillir également leurs analyses et visions. À travers la Figure 34.4., nous avons schématisé les différentes étapes que nous venons de citer.

Figure 34.4. Les étapes de notre travail de recherche.

Il est également important de préciser que la période de collectes des données s’est déroulée entre juillet 2017 et décembre 2019.

4. Conclusion

Ce chapitre nous permet (1) de comprendre les postures épistémologiques et de positionner notre travail dans une posture épistémologique, (2) de positionner les objectifs de ce travail par rapport aux objectifs des sciences de gestion et (3) d’expliquer les méthodologies employées tout au long de ce

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travail de thèse et de les justifier. Ce travail de thèse s’inscrit donc dans une posture épistémologique constructiviste qui s’intéresse aux relations qu’entretiennent les individus avec leur organisation dans le cadre d’un processus de corporate entrepreneurship. Nous mobilisons la recherche qualitative et empruntons une approche descriptive-normative, spécifique aux sciences de gestion et à leur objet d’étude : la performance (Dumez, 2016). De par notre positionnement — une recherche opérationnelle (David et al., 2012) — il nous semblait indispensable de décrire les processus observés dans le but d’y apporter des propositions d’amélioration en termes de performance. Cette approche est très liée au contexte de ce travail de thèse, que nous nous sommes appliqués à décrire.

Nous avons synthétisé les méthodologies employées dans le Tableau 7.4. ci-dessous en fonction des chapitres.

Tableau 7.4. Méthodes par chapitres.

Chapitre 5 Chapitre 6 Chapitre 7 Chapitre 8

Posture épistémologique Constructiviste Constructiviste Positiviste Constructiviste

Approche

Méthode de collecte des données Entretiens semi- directifs avec 70 corporate entrepreneurs Données primaires : 12 entretiens semi- directifs avec managers

des dispositifs de corporate entrepreneurship 64 entretiens semi- directifs avec corporate entrepreneurs Données secondaires : Documents internes (7), externes (6), articles site internet dispositif ou corporate (38), articles de presse spécialisée (10) Questionnaires de personnalité auprès de 61 corporate entrepreneurs Entretiens semi-directifs avec 70 corporate entrepreneurs 18 Entretiens longitudinaux avec 12 corporate entrepreneurs internes Observations participante et non participante

Recherche Qualitative Qualitative Quantitative Qualitative

Analyse Retranscription

systématique Codage

multithématique sous Nvivo 9

Etudes de cas multiples Retranscription systématique

Codage pur (théorisation ancrée) sous Nvivo 9 Création études de cas de 15 dispositifs de corporate entrepreneurship Analyse statistique descriptive ANOVA Retranscription systématique Codage multithématique sous NVivo

Raisonnement Abductif Abductif Déductif Abductif

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Chapitre 5 – « Corporate entrepreneurship : Quels impacts sur les dimensions du