1.6. Evolution de la maladie
1.6.2. Stade hémolymphatique ou stade 1
1.6.2.3 La réponse immunitaire et l’adaptation du parasite
Une fois dans le sang de son hôte, le trypanosome va devoir faire face à la première barrière
de défense du système immunitaire : la réponse immunitaire innée. L'Homme et certains
grands primates sont résistants à la plupart des trypanosomes en raison d'un complexe
trypanolytique (TLF) présent dans leurs sérums (Laveran and Mesnil, 1902). Ce complexe est
composé principalement par l’APOL1 et l’Hpr (Vanhamme and Pays, 2004). Pour que le TLF
soit actif, il doit être internalisé par endocytose grâce aux récepteurs TbHpHbR (pour
haptoglobin hemoglobin receptor) présents dans la poche flagellaire du parasite. Son
internalisation va entrainer la formation de pores au niveau du lysosome et la lyse du parasite
(Hager and Hajduk, 1997; Drain et al., 2001; Molina-Portela et al., 2005; Harrington et al.,
2009). Le composant actif du TLF reste incertain mais de nombreuses études convergent vers
l’APOL1 comme étant l'élément conférant au sérum humain son effet trypanolytique
(Vanhamme et al., 2003; Vanhamme and Pays, 2004).
Le TLF constitue donc la première ligne de défense contre le parasite. Cependant, au cours
de l’évolution, T. b. gambiense et T. b. rhodesiense ont acquis une résistance au complexe
trypanolytique présent dans le sérum humain (Vanhamme and Pays, 2004). Dans le cas de T.
b. rhodesiense, cette résistance est liée à une stratégie de neutralisation du TLF via
l'expression d'un gène nommé SRA (Serum Resistance-Associated). Ce gène, silencieux
lorsque le parasite n'est pas en présence du TLF, code pour la protéine SRA. Cette protéine
présente une hélice α dans son domaine N-terminal qui est responsable de l’inhibition du TLF
par contact hélice/hélice avec le domaine C-terminal de l'APOL1, empêchant la formation de
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pores au niveau du lysosome (Vanhamme and Pays, 2004). Dans le cas de T. b. gambiense
(groupe 1), incapable de produire la protéine SRA, c’est une stratégie d’évitement qui est mis
en place afin de réduire l’action du TLF. La faible absorption de TLF peut être expliquée chez
T. b. gambiense par l’expression réduite de récepteurs TbHpHbR (Vanhollebeke et al., 2008;
Kieft et al., 2010). Toutefois, la réduction du nombre de récepteurs du TLF n’offre pas une
protection complète et n’explique pas à elle seule le potentiel infectieux de T. b. gambiense
vis à vis de l’Homme. Il est donc admis que T. b. gambiense évite le TLF via la réduction de
récepteurs TbHpHbR, mais il semble qu’il ait également développé un inhibiteur non-SRA qui
n'a pas encore été identifié (Stephens et al., 2012).
Les trypanosomes qui ne sont pas détruits par le TLF (T. b. gambiense et T. b. rhodesiense)
font alors face à la réponse immunitaire innée. Lors de cette phase de la réponse immunitaire,
des cellules de l’immunité vont être activées, majoritairement par la libération d'ADN
trypanosomal et par la libération d’«endotoxines» apparentées au manteau
lipopolyssacaridique et à l’ancrage GPI (élément constituant des VSG) lors de la lyse du
parasite (Rhind and Shek, 1999). Ces éléments sont repérés par les récepteurs type Toll (TLR)
qui reconnaissent des motifs moléculaires particuliers (Pathogen Associated Molecular Pattern
ou PAMP). Ces récepteurs sont exprimés par les cellules circulantes ou tissulaires de
l'immunité (macrophages, polynucléaires neutrophiles, lymphocytes B et T et cellules
dendritiques) mais aussi par des cellules non immunes telles que les fibroblastes et les cellules
épithéliales présentes aux interfaces avec le milieu extérieur. Dans le cas de la THA, l'ADN
trypanosomal semble être l’élément principal impliqué dans les voies de signalisation des TLR
(Drennan et al., 2005; Baral, 2010; Kuriakose et al., 2016). La reconnaisance de ces éléments
parasitaires dans le milieu sanguin va provoquer une libération d’INF-g par les cellules de
l’immunité ce qui va déclencher une activation des macrophages et la libération de molécules
pro-inflammatoires comme le TNF-a, l’IL-1β, l’IL-6, l’IL-12 et le NO. Cette phase de la réponse
immunitaire correspond à une réaction inflammatoire de Type 1. Toutefois l'inflammation, si
elle n'est pas contrôlée, peut causer des dommages et menacer l'intégrité de l'hôte. Il est donc
essentiel pour l'hôte de réguler l'inflammation produite par la libération de cytokines
pro-inflammatoires via les macrophages activés. De nouvelles cytokines, de Type 2, vont être
produites (IL-4, IL-10 et IL-13) et vont permettre de moduler l'inflammation. C'est la réponse
inflammatoire de Type 2. La réponse inflammatoire de Type 1 intervient donc au début de
l'infection par le trypanosome et la réponse inflammatoire de Type 2 intervient ensuite lors de
la phase tardive et chronique de l'infection (Bisser et al., 2006; Kuriakose et al., 2016).
L’une des adaptations du trypanosome acquis au contact de son hôte au cours de l’évolution
est la capacité à détourner les éléments du système immunitaire à son profit (Bisser et al.,
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2006). L’INF-g a été décrit comme un facteur de développement pour le parasite. Il est
intéressant de constater que le trypanosome va entretenir et amplifier, par l’intermédiaire de
la trypanine, la libération d’INF-g par les lymphocytes T (Bakhiet et al., 1993; Hill et al., 2000).
De plus, la production de molécules trypanotoxiques telles que le TNF-a et le NO, même si
elle va permettre de contrôler les premiers pics de la parasitémie, va être détournée. Il semble
que le parasite soit capable d’échapper à l’effet trypanocide du NO. Il a même été observé
que, dans les macrophages sanguins de l’hôte, le métabolisme de la L-arginine conduisant à
la formation du NO (voie des enzymes NO synthétases) est détourné pour produire des
facteurs de croissance du parasite : l’ornithine et ses dérivés (voie de l’Arginase dans le cycle
de l’Urée) (Gobert et al., 2000; Vincendeau et al., 2003). Il est également à noter qu’une
déplétion de la L-arginine médiée par l’arginase induit une suppression de la réponse
immunitaire des lymphocytes T. De plus, l’ornithine va permettre la synthèse de polyamines
via l’ornithine décarboxylase. Ces polyamines sont essentielles à la synthèse de l’ADN
parasitaire et du trypanothion, un élément spécifique des kinétoplastidés, analogue du
glutathion chez l’Homme, qui permet au parasite de lutter contre le stress oxydatif. Ces deux
éléments sont indispensables à la prolifération et à la réponse au stress oxydatif du
trypanosome (Fairlamb and Cerami, 1992; Gobert et al., 2000). En résumé, l’augmentation de
l’arginase et donc l’augmentation d’ornithine favorise la survie du parasite et diminue
l’efficacité des défenses immunitaires chez l’hôte infecté.
Le trypanosome a également développé un manteau glycoprotéique qui lui permet de déjouer
les mécanismes de défense de l’hôte. En effet, le parasite est recouvert d'une couche dense
composée de 10
7VSG. Ces VSG forment un manteau dense d'environ 13 nm d'épaisseur
recouvrant 95% de la surface du trypanosome (Vickerman, 1969). Ce sont des protéines
antigéniques distinctes formant une barrière qui empêche la liaison de celles-ci à des
composants du complément de l'hôte ou d'autres composants lytiques contenus dans le sérum
de l'hôte. La caractéristique principale de ces glycoprotéines est la présence, au niveau du
domaine N-terminal, de deux hélices alpha longues et perpendiculaires à la membrane
plasmique (Baral, 2010). Du fait de leur longueur et de leur densité, seul un faible nombre
d'acides aminés sont accessibles aux défenses immunitaires. Le domaine C-terminal est lui
relié à la membrane plasmique via un ancrage Glycosyl-phosphatidylinositol nommé
ancre-GPI (Figure 10). L'assemblage de l’ancrage GPI et de la VSG a lieu au niveau du réticulum
endoplasmique pendant le transport de la protéine jusqu'à la surface du parasite (Manna et
al., 2014; McDowell et al., 1998). Il existe chez le trypanosome plus de 2000 gènes codants
pour des VSG individuelles. De plus, le parasite a la capacité de créer de nouvelles variantes
à partir de gènes chimères grâce à une réorganisation de courtes régions de chaque gène
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(Barry, 1997). Ce revêtement se renouvelle et se modifie très rapidement de sorte que les
anticorps qui ont pour cibles ces antigènes à la surface du parasite ne puissent repérer
efficacement le pathogène. Ce mécanisme d'échappement au système immunitaire permet au
trypanosome de leurrer les défenses immunitaires quasi indéfiniment (Barry, 1997; Manna et
al., 2013).
Figure 10 : Modélisation 3D du manteau antigénique de T. brucei.
(Image de Jacob Glanville).
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En effet, pendant la phase ascendante de la parasitémie, la majorité des trypanosomes
expriment les mêmes VSG donc le même type antigénique ou homotype. Le système
immunitaire de l'hôte va reconnaitre cet homotype et développer des anticorps dirigés contre
lui et détruire ces trypanosomes. Cela va avoir pour effet de diminuer la parasitémie. Toutefois,
au même moment, une minorité de parasites va exprimer un nouveau type antigénique ou
hétérotype, qui ne sera pas reconnu. Ils vont passer en quelque sorte sous le radar du système
immunitaire de l'hôte et vont pouvoir se multiplier jusqu'à devenir le nouvel homotype et
engendrer une nouvelle vague de parasitémie (Gjini et al., 2010; McCulloch et al., 2015).
Le flagelle joue aussi un rôle dans le mécanisme de défense, permettant un balayage
hydrodynamique de la surface du trypanosome. Le flux induit par le flagelle va favoriser
l'endocytose des anticorps ayant réussi à se fixer et va permettre au système
phago-lysosomique de les détruire (Engstler et al., 2007). De plus, la grande majorité des récepteurs
invariants, pouvant servir de cible pour les défenses immunitaires, sont concentrés au niveau
de la poche flagellaire, les rendant inaccessibles (Field and Carrington, 2009).
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