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La répartition spatiale : une résultante comportementale

La répartition spatiale des animaux peut avoir une grande influence sur la dynamique de leurs populations (Tilman et Kareiva 1997, Turchin 1998, Morris 2006) et sur les interactions entre les espèces (McLaughlin et Roughgarden 1992, Lima et Zollner 1996, Tilman et Kareiva 1997, Turchin 1998, Turner et al. 2001). Une des principales conséquences des effets non létaux de la prédation est la modification de la répartition spatiale des proies. Par exemple, pour diminuer leur risque de prédation, les proies peuvent migrer (Bergerud et al. 1990, Hebblewhite et Merrill 2007), se disperser (Bergerud et al. 1990), altérer leur sélection d‟habitat (Gilliam et Fraser 1987, Lima et Dill 1990, Lima 1998, Brown et al. 1999, Mao et al. 2005, Dupuch et al. 2009), sélectionner un type de

milieu spécifique (Creel et al. 2005, Valeix et al. 2009), ajuster leurs décisions de déplacement (Mitchell et Lima 2002, Fortin et al. 2005a, Hodson et al. 2010a) et changer leur utilisation de l‟habitat de manière temporelle (Gude et al. 2006, Valeix et al. 2009). La répartition spatiale des animaux est largement dictée par deux processus comportementaux : les déplacements et la sélection d‟habitat (Figure I).

3.1. Le déplacement animal

Le déplacement est le processus par lequel les individus se répartissent dans l‟espace au cours du temps (Turchin 1998). Selon le principe de sélection naturelle, les animaux se déplacent dans leur environnement afin de survivre, de se développer et de se reproduire (Fahrig 2007, Nathan et al. 2008). Les déplacements des animaux reflètent donc en partie la nature des compromis coût/bénéfice entre le risque de prédation et l‟acquisition de nourriture (Lima et Dill 1990, Mitchell et Lima 2002, Brown et Kotler 2004, Fortin et

al. 2005a, Morales et al. 2005, Chetkiewicz et al. 2006, Fahrig 2007, Hodson et al. 2010b).

Les patrons de déplacements sont aussi influencés par la structure et la composition du paysage (Fryxell et al. 2008, Ovaskainen et al. 2008), comme chez le wapiti (Fortin et al. 2005a), le bison (Dancose et al. 2011), le caribou (Johnson et al. 2002) et le loup (Dyer et

al. 2002, Whittington et al. 2004, Bergman et al. 2006). Notre compréhension empirique du

déplacement animal dans le paysage est toutefois encore limitée (Fahrig 2007, mais voir Giuggioli et Bartumeus 2010, McClintock et al. 2012), de même que son impact sur les populations (Turchin 1998, Chetkiewicz et al. 2006). En effet, il existe relativement peu d‟études expliquant les mécanismes comportementaux sous-jacents aux décisions de déplacement (mais voir Fortin et al. 2005a, Morales et al. 2005, Fryxell et al. 2008, Dancose et al. 2011) et incluant plus d‟une espèce (Holyoak et al. 2008), possiblement à cause de la difficulté de quantifier les déplacements (Chetkiewicz et al. 2006). Ceci réduit largement notre capacité à comprendre les stratégies de déplacement de chaque espèce d‟un point de vue évolutif (Holyoak et al. 2008, Nathan et al. 2008).

3.2. La sélection d’habitat

prédation, partenaire sexuel, abri contre le stress abiotique) et des conditions écologiques (compétition, prédation, conditions abiotiques) qui lui permettent d‟occuper l‟espace (Hall

et al. 1997, Mitchell 2005). La sélection d‟habitat est un processus spatio-temporellement

hiérarchique (Johnson 1980, Senft et al. 1987, Arthur et al. 1996, Bailey et al. 1996, Boyce 2006, Gustine et al. 2006a, Courbin et al. 2009, Hebblewhite et Merrill 2009, Valeix et al. 2009, DeCesare et al. 2012) par lequel un animal utilise certaines composantes de l‟habitat disproportionnellement à leurs disponibilités (Johnson 1980). Ce processus reflète la manière dont l‟animal cherche à améliorer son aptitude phénotypique (McLoughlin et al. 2006, Morris 2006, Aldridge et Boyce 2007, McLoughlin et al. 2007, Fortin et al. 2008b, Dussault et al. 2012) en réalisant un compromis entre le risque de prédation et l‟acquisition de ressources (Fryxell et Lundberg 1997, Lima 2002, Gaillard et al. 2010). L‟importance relative du risque de prédation ou de la disponibilité de nourriture à une échelle donnée dépend des différences d‟hétérogénéité spatiale de chaque facteur (Gaillard et al. 2010). Par exemple, si la répartition de la nourriture est plus hétérogène à large qu‟à fine échelle spatiale et vice versa pour le risque de prédation, alors la sélection d‟habitat devrait être guidée en priorité par l‟acquisition de nourriture à large échelle et par l‟évitement des aires à fort risque de prédation à fine échelle (Gaillard et al. 2010). Dans les environnements présentant une très forte variation saisonnière (écosystèmes de montagnes, arctique), les proies devraient éviter les facteurs limitants à large échelle (Rettie et Messier 2000). La sélection pour un attribut de l‟habitat peut aussi varier en fonction de son abondance dans le paysage ou en fonction de l‟abondance d‟autres caractéristiqures du paysage (Fortin et al. 2008a, Hebblewhite et Merrill 2008, Godvik et al. 2009, Gillies et Cassady St. Clair 2010, Houle et al. 2010, Moreau et al. 2012); c‟est ce que l‟on appelle la réponse fonctionnelle dans la sélection d‟habitat (Mysterud et Ims 1998, Matthiopoulos et al. 2011).

Chez les ongulés, le compromis entre le risque de prédation et l‟acquisition de nourriture peut être observé durant les déplacements (Fortin et al. 2005b), à l‟intérieur du domaine vital saisonnier ou annuel (Bailey et al. 1996, Rettie et Messier 2000, Dussault 2002, Dussault et al. 2005a, DeCesare et al. 2012) et à l‟échelle du paysage (Dussault et al. 2005a, DeCesare et al. 2012). Certains facteurs abiotiques, comme la topographie, peuvent influencer la sélection d‟habitat des animaux à une échelle étendue (Bailey et al. 1996) comme chez le wapiti (Boyce et al. 2003), ou à une échelle plus fine chez le wapiti (Fortin

et al. 2005b) et le loup (Hebblewhite et al. 2005a). La sélection d‟habitat s‟organise selon des gradients géographiques chez le caribou (Fortin et al. 2008a) et varie également selon la saison chez le wapiti (Boyce et al. 2003), le caribou (Courbin et al. 2009), le loup (Houle

et al. 2010) et l‟orignal (Basille et al. 2012). Certains facteurs saisonniers sont susceptibles

d‟influencer la sélection d‟habitat à fine échelle, comme la neige (Dussault 2002, Fortin 2003, Fortin et al. 2005b, Dussault et al. 2005a, Mayor et al. 2007, Courbin et al. 2009), le harassement des insectes (Timmermann et McNicol 1988) et le stress thermique (Dussault

et al. 2004). Par exemple, la neige va restreindre les déplacements des orignaux lorsque sa

profondeur dépasse 60 cm, car les coûts énergétiques de locomotion augmentent exponentiellement au delà de cette limite (Renecker et Schwartz 1998).

3.3. Évaluer la sélection d’habitat et les déplacements

La sélection d‟habitat peut être évaluée en comparant le taux d‟utilisation de la ressource (c.-à-d., la quantité de ressource utilisée par un individu ou une population dans une période de temps fixe) avec sa disponibilité (c.-à-d., la quantité de ressource accessible à l‟individu ou à la population au cours de cette même période de temps). Il existe un vaste panel de méthodes statistiques relativement simples pour y parvenir (McClean et al. 1998), comme l‟analyse compositionelle (Aebischer et al. 1993). Cependant, la fonction de sélection des ressources (FSR, Manly et al. 2002) est actuellement l‟un des outils les plus utilisés et appropriés pour quantifier la sélection d‟habitat des animaux (McLoughlin et al. 2010). Une FSR lie la répartition des animaux aux patrons d‟hététogénéité spatiale de l‟habitat en comparant les composantes de l‟habitat caractérisant les sites fréquentés par l‟animal (p. ex., localisations GPS [Global Positioning System]) avec les composantes de l‟habitat de sites tirés aléatoirement (Boyce et McDonald 1999, Boyce et al. 2002, Manly et

al. 2002, Johnson et al. 2006, DeCesare et al. 2012). Les FSRs sont généralement

modélisées par une régression logistique (Gillies et al. 2006, Hebblewhite et Merrill 2008, Koper et Manseau 2009, Dussault et al. 2012) ou par une régression logistique conditionnelle (Whittington et al. 2005, Aarts et al. 2008, Craiu et al. 2008, Fortin et al. 2009, Koper et Manseau 2009, Duchesne et al. 2010). La définition de la disponibilité est un élément clé à considérer dans les études de sélection d‟habitat car elle influe directement

définition unique de la disponibilité car cela dépend avant tout de l‟objectif auquel on s‟intéresse (Boyce et al. 2003, Boyce 2006). La disponibilité peut être évaluée à de larges échelles spatiales, comme le paysage, le domaine vital et le domaine vital saisonnier, ou à des échelles plus fines, comme la parcelle d‟alimentation ou dans une zone tampon autour des localisations (revue dans Boyce 2006).

Les récents développements technologiques en matière de suivis GPS des animaux (c.-à-d., augmentation de la fréquence d‟échantillonnage) permettent généralement de localiser les individus plus fréquemment qu‟avec la télémétrie VHF (Very High Frequency), et donc de mieux caractériser leurs déplacements. Ceci facilite l‟utilisation d‟une approche Lagrangienne (c.-à-d., caractérisation des composantes du déplacement : magnitude, vitesse, directionnalité) (Turchin 1998, Chetkiewicz et al. 2006) qui permet de mieux comprendre les décisions de déplacement des animaux (Cagnacci et al. 2010). Dans cette optique, la fonction de sélection de pas (FSS, Fortin et al. 2005a, technique similaire aux FSRs) a été proposée pour caractériser les déplacements des animaux. Dans une FSS, on compare les caractéristiques de l‟habitat le long des pas de l‟animal (c.-à-d., ligne droite entre deux localisations consécutives, Turchin 1998) avec celles le long de pas tirés aléatoirement (Fortin et al. 2005a, Coulon et al. 2008, Forester et al. 2009, Roever et al. 2010).

3.4. Influence des activités humaines

En modifiant l‟habitat, les perturbations humaines peuvent changer la sélection de l‟habitat (Houle et al. 2010, Moreau et al. 2012) et les déplacements des animaux (Trombulak et Frissell 2000, Fahrig 2007, Roever et al. 2010). Les modifications de la répartition spatiale des espèces à la suite d‟activités humaines (Johnson et al. 2005) peuvent ainsi avoir des conséquences sur les interactions trophiques (Debinski et Holt 2000, Courbin et al. 2009, Figure I) et sur les populations animales (Trombulak et Frissell 2000, Aldridge et Boyce 2007, Fahrig 2007, Wasser et al. 2011, Dussault et al. 2012). Par exemple, dans la forêt boréale de l‟est du Canada, la présence des routes et des forêts décidues au sud dues en partie à la sylviculture favorisent les communautés d‟orignaux, de cerfs de Virginie (Odocoileus virginianus) et de loups, alors qu‟au nord la forêt de conifères matures non perturbée par l‟homme favorise les communautés de caribous et de

carcajous (Gulo gulo) (Bowman et al. 2010). Les mécanismes comportementaux affectant la réaction des animaux aux perturbations anthropiques de l‟habitat (Debinski et Holt 2000) restent peu étudiés à ce jour (Ryall et Fahrig 2006). Il existe notamment un manque de connaissances important sur les effets qu‟ont ces perturbations sur les interactions prédateur-proie, particulièrement sur le jeu prédateur-proie.

« All of life is a game and evolution by natural selection is no exception ».

Vincent et Brown, 2005.