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III. D ES JARDINS AUX MILIEUX : J ARDINER OUVRE AU PAYSAGE

1. La place du paysage dans l'imaginaire néo rural

Le paysage fait partie intégrante de l’identité rurale et nous avons vu qu’il est un critère important dans le choix de domicile des néo-ruraux. Lors d’une grande enquête « Environnements, migrations et recompositions sociales des campagnes limousine : l’exemple du PNR Millevaches », les géographes Frédéric Richard et Julien Dellier ont ainsi posé des questions sur les critères ayant attirés plusieurs types de population sur le plateau de Millevaches : or, de 14,5% de leur échantillon a cité le paysage comme critère de sélection pour le nouveau lieu d’habitation. Dans le cas de notre propre échantillon – certes moins important et moins varié – nous arrivons à 30% des personnes interrogées qui ont cité le paysage comme l’une des raisons les ayant conduites à choisir une commune plutôt qu’une autre.

Par ailleurs, en effectuant les entretiens dans les deux zones d’étude, on ne peut s’empêcher de remarquer la très belle vue dont bénéficient les différents jardins. La Corrèze est un département très vallonné et dans leurs jardins, les néo-ruraux ont laissé la part belle aux paysages. Distants d’une soixantaine de kilomètres, les paysages des environs de Brive et des Monédières sont assez différents : les deux zones sont constituées de collines, mais le massif des Monédières – comme son nom le laisse présager – présente des reliefs plus importants et aussi plus variables que dans la zone d’étude proche de Brive-la-Gaillarde, aux reliefs moins élevés et plus réguliers. Le massif des Monédières a également une couverture forestière plus développée.

Les espaces verts et les paysages ont donc été beaucoup cités par les néo-ruraux comme motif de migration et comme symbole de la campagne et nous avons pu voir que dans la plupart des habitations, les sujets vont jusqu’à couper certains arbres pour avoir une meilleure vue et profiter des beaux paysages qu’ils sont venus chercher. Lors d’un entretien, à la question « 

Quelle est votre vision de la campagne ? Qu’est-ce que vous êtes venu chercher à la campagne ? », Isabelle a répondu « Le calme, le calme la vue regardez c’est vrai que j’ai craqué à cause de la vue ici ».

Figure 19 : vue du jardin d'Isabelle à Dampniat Source : Gauthier L

La photo ci-dessus (fig. 18) montre ainsi le jardin d’Isabelle, situé sur une colline surplombante dans la commune de Dampniat. La vue est en effet assez dégagée et porte sur plusieurs kilomètres, jusqu’à Brive-la-Gaillarde, à une dizaine de kilomètres. On peut remarquer aussi que le paysage est en prolongement du jardin.

Le choix d’un paysage peut aussi être influencé par le parcours de vie des sujets : Minata, originaire de Côte d’Ivoire, voit dans les falaises et la forêt autour de son domicile un rappel à son pays d’origine :

« Moi, comme je suis d’origine l’Afrique centrale, la nature c’était important pour moi, vraiment j’ai cherché la verdure et tout… quelque chose qui me fait penser à peu à mon pays d’origine » (Minata) « Voilà donc en visitant les maisons, on ne trouvait pas jusqu’au jour où on est venus là pour visiter, alors là en regardant les collines et les forêts… d’un côté où on regarde y a du vert et ça, ça m’a plu, c’est pour ça qu’on a décidé de rester par ici » (Minata)

Figure 20 : vue du Potager de Minata et Laurent à Venarsal Source : Gauthier L

Ce jardin, nous pouvons le voir sur la photographie suivante (fig. 19) : le paysage, assez fermé ici et composé principalement de falaises, pourrait paraitre quelconque voire laid aux yeux d’autres personnes ; pourtant, il a suscité une forme de nostalgie chez Minata.

Par ailleurs, la visite des jardins où le paysage est moins voyant peut s’expliquer par la reprise d’une maison familiale ou la location – qui implique un choix moins diversifié qu’à l’achat.

On peut donc penser que les néo-ruraux ont un rapport particulier à leur jardin et au monde rural dans ce qu’ils accordent une grande importance à l’esthétisme, tant celui du jardin que des paysages alentours. Selon leurs témoignages, ces néo-ruraux sont venus chercher la tranquillité, le calme et la nature, et les paysages sont donc parfois apparus comme décisifs dans l’option d’implantation sur le territoire. Dès lors, le jardin potager, si évident pour eux car indissociable de la campagne, serait partie d’un tout : il s’agirait d’une sorte de fenêtre sur le paysage, comme le premier plan d’un tableau. Cela s’illustre aussi par l’absence de barrières ou de haies – du moins pas vers le paysage vu du jardin – qui risqueraient de gêner la vue ; il y a la volonté d’avoir des jardins ouverts sur les paysages alentours, en tout cas dans la mesure du possible car les néo Corréziens n’ont pas la maîtrise totale de leur environnement.

Le paysage corrézien tient donc une place prépondérante dans l’esprit des néo-ruraux : il représente la campagne et la nature qu’ils sont venus chercher et ils ont su mettre à profit les reliefs particuliers de la Corrèze pour obtenir une vue ayant pour eux un intérêt, que ce soit nostalgique ou juste esthétique. Ainsi, le jardin est passé d’un espace intime et fermé à une fenêtre sur l’extérieur, une partie intégrante du paysage, ce qui est visible dans la façon dont ils s’en occupent.