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La formation, tant initiale que permanente qu’organise l’INTEFP est d’abord et avant tout une formation “ professionnalisante ”. Il ne s’agit pas de faire ce qui serait une université bis, mais plutôt de faire découvrir ou approfondir les réalités pratiques du travail de l’inspecteur du Travail. C’est donc une formation qui fait une grande part aux inspecteurs du Travail. Sur les 1000 intervenants qui passent chaque année pour encadrer ou animer un stage ou un autre, 85% sont issus des services et 65%161 proviennent du corps de l’inspection lui-même.

On est donc typiquement dans une “ profession ” ou un “ marché du travail fermé ” au sens où ce sont les administrateurs de la profession, qui d’ailleurs pour une large part en sont issus, qui définissent, contrôlent et administrent la formation des membres de la profession, tant en formation initiale que dans la formation continue. La profession participe d’ailleurs de très près à l’allocation des postes de travail, lesquels sont, pour une bonne part réservés aux membres de la profession eux-mêmes. De telles pratiques d’endo-formation ont explicitement pour objectifs de “ donner une culture commune à tous les inspecteurs du travail quel que soit

leur emploi. ”. Il peut donc être tout à fait légitime de s’interroger sur la représentation des

métiers, professions et entreprises du commerce alimentaire d’une part, et de la négociation collective d’autre part, que pourrait véhiculer cette culture commune.

La formation que les inspecteurs reçoivent à l’INTEFP est essentiellement de type pratique. Même si l’on peut penser, du fait de l’hétérogénéité des formations de base qu’ils sont suivies, que certains élèves inspecteurs pourraient avoir besoin de quelques formations complémentaires dans certaines matières académiques qui ne faisaient pas partie de leur cursus, l’INTEFP n’organise pas de cours de ce type :

“ Q : Oui mais même s’ils étaient minoritaires, quelqu’un qui sort du droit, comment

160 Tiano Vincent, “ Les inspecteurs du travail à l’épreuve de l’évaluation des risques, une profession sous tension ”, Thèse de sociologie, Aix en Provence 2003

vous le formez en gestion, en économie, en histoire ? R : On ne le forme pas.

Q : Ah bon ! (rires)

R : Non on n’a aucun enseignement là dessus ”

C’est par le biais de stages, ou en discutant avec des inspecteurs en poste à propos de dossiers concrets à traiter que se fait la formation proprement dite. Il est d’ailleurs difficile de trouver dans les archives la trace – et ne serait-ce que la dénomination – de “ cours ” que les élèves auraient à suivre. De même que nous n’avons pu reconstituer de “ programmes ” au sens scolaire de ce terme.

Par contre on retrouve relativement facilement la trace des stages que font les inspecteurs en formation. La formation initiale comprend ainsi plusieurs stages individuels donnant lieu à des rapports qui sont archivés. Les dénominations de ces stages ont pu évoluer au fil du temps. Parmi ceux-ci, nous nous sommes intéressés particulièrement à deux séries : celle des stages d’initiation, et surtout celle des stages en entreprise.

1-1 Les mémoires de stages d’initiation ( 1976 - 1986)

A lire les titres des mémoires, on constate que la plupart de ces stages sont orientés sur des questions de droit et de réglementation ou de l’organisation du travail de l’inspection162. Dans le classement des mémoires on réservera donc une première catégorie à ceux dont le sujet porte sur ces questions d’ordre administratif ou juridique (notée Jur/Adm). On distinguera dans une seconde catégorie les mémoires dont les titres se référent à des activités industrielles précises. On distinguera alors Agriculture, Industrie (dont métallurgie), bâtiment et travaux publics, Tertiaire (dont commerce et grande distribution alimentaire GDA). Le total renvoie au nombre de stagiaires de la promotion et non au nombre de stages.

Tableau 7-1 : Thèmes et terrains des mémoires d’initiation

Année Jur/Adm Agric Industrie

(dt métal) BTP Tertiaire Dt com GDA Total

1976 37 1 9 (5) 4 4 57 1977 33 4 (4) 4 2 (2) 43 1978 44 6 (5) 3 2 (2) 55 1979 33 5 (5) 3 5 (1) 46 1980 30 1 6 (4) 0 2 39 1981 34 1 4 (2) 3 45 1982 52 2 1 55 1982 (bis) 32 1 3 (3) 4 1 41 1983 33 1 2 (0) 1 6 1 1 46 1984 81 6 87 1985 39 39 1986 25 25

Cette rapide analyse permet de constater une réorientation progressive de ces stages vers les seuls sujets traitant des problèmes de fonctionnement interne de l’institution. C’est au cours de ce stage que les élèves apprennent à assurer et à assumer leur fonction dans l’organisation.

162 “ L’utilisation abusive du décret du 24 mai 1938 pour l’aménagement des programmes de travail annuels ” ; “ Une réflexion sur les pouvoirs d’appréciation de l’inspection du travail en matière de licenciement pour faute des travailleurs protégés ”

Lorsque les sujets portent sur des situations de travail dans les secteurs privés, on constate que les situations relevant du tertiaire, et notamment du commerce sont particulièrement sous- représentées, alors que l’industrie, et notamment le bâtiment et les travaux publics, sont plutôt sur représentés, en comparaison de leur poids dans l’emploi global. Sur 104 observations se référant à des situations d’emploi dans les entreprises privées, 39 portent sur les secteurs industriels au sens classique de ce terme, dont 29 sur les seules industries métallurgiques, 30 sur le bâtiment et les travaux publics, 5 sur l’agriculture, 23 sur le tertiaire dont une seule sur la grande distribution alimentaire.

1-2 Les mémoires de stages en entreprise (1976-1999)

Il s’agit des mémoires conservés en bibliothèque. Pour certaines années, on dispose également de listes répertoires. Les noms des entreprises sont données le plus souvent en clair, sauf dans les années 1983 et 1984 dont les informations ne sont donc pas exploitables pour le classement par branche. Par contre, il est rare que la branche professionnelle (économique ou conventionnelle) d’appartenance de l’entreprise soit mentionnée de manière systématique sur le tableau récapitulatif ; c’est le cas seulement en 1981, 1991 et en 1993. En 1981, la taille de l’entreprise est également mentionnée dans le tableau.

Tableau 7-2 : les terrains des mémoires de stages en entreprises

année Agri. Ind. Dt

métal BTP transp autreTert Presse Dt

impri Dt comm Com Dt alim tot 1976 49 25 1 4 2 2 56 1977 2 35 17 1 3 1 1 42 1978 1 40 15 2 2 43 1979 42 17 1 4 2 2 1 47 1980 36 18 3 2 1 1 39 1981 37 22 6 1 1 43 1982 51 14 1 2 1 55 1982 (bis) 1 36 9 1 3 1 1 41 1983 45 1984 87 1985 35 7 4 3 2 39 1986 20 6 1 4 2 25 1989 10 3 2 12 1991 17 5 3 1 4 1 1 1 25 1992 26 7 1 3 2 30 1993 52 18 3 5 1 1 60 1994 33 9 1 6 1 3 1 40

1995 30 7 3 4 2 2 37

1996 24 7 1 4 2 1 29

1997 10 3 1 1 11

1998 18 6 1 19

1999 32 8 1 4 1 2 37

NB : on a distingué dans les entreprises celles qui relevaient de la métallurgie au sens large. Dans les entreprises du tertiaire on a distingué la catégorie des entreprises de presse et d’imprimerie dont la fréquence d’apparition nous a paru notable, enfin on a distingué les entreprises de transport dans la mesure où il existe une réglementation - et un corps - d’inspection spécifiques à ce secteur.

Comme pour les stages d’initiation mais cette fois de manière encore plus systématique, on constate que le choix des lieux de stages en entreprise dénote une conception dominante consistant à assimiler travail à industrie de production au sens classique du terme. Et dans l’industrie, les entreprises métallurgiques occupaient une position dominante, statistiquement, mais ce phénomène a tendance à décroître à partir des années 1990. Les stages dans l’agriculture sont ici relativement rares, il y a un flux régulier de stagiaires dans le bâtiment et les travaux publics, de même que, dans une moindre mesure, dans la presse. Le graphique suivant reprend la proportion de stages effectués dans les industries traditionnelles et dans les seules industries métallurgiques sur l’ensemble de la période.

Graphique 7-1 : Parts de l'industrie et de la métallurgie dans les stages

On a repris dans le tableau suivant les intitulés des mémoires de stage que nous avons retenus comme concernant directement le commerce alimentaire

Tableau 7- 3 : les titres des mémoires de stages effectués dans le commerce alimentaire

1979 Collet J. Les problèmes posés par le personnel de la catégorie “ préparateurs gros ” de l’entrepôt de Meyzieu (Cofradel)

1980 Barthélémy P. La société Cofradel

1 97 6 1 97 7 1 97 8 1 97 9 1 98 0 1 98 1 1 98 2 1 98 2 (b is ) 1 98 5 1 98 6 1 98 9 1 99 1 1 99 2 1 99 3 1 99 4 1 99 5 1 99 6 1 99 7 1 99 8 1 99 9 0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8 0,9 1 industrie Métallurgie

1981 Wilzius : Problèmes du travail féminin dans la distribution (Cofradel Lyon) 1982 Fumex : L’information économique et sociale à la CEDIS (Besançon)

1985 Gagarin M-C. L’introduction d’un suivi individuel d’activité et de performance dans la politique sociale (Sté Carrefour)

1985 Ghogo C : La conciliation des paradoxes. Le développement de la formation interne et progressivité (Sté Carrefour)

1991Moulin J. : La reconversion du personnel administratif d’un groupe (Etablissements Guichard et Perrachon, Le Boutras, Grigny)

1994 Cros D., Contribution à l’approche professionnelle et sociale des vendeurs (ses) 1995 Cordonnier S., Les “ super ” caissières STOC

1995 Lamouroux C., La manutention manuelle au rayon alcools

1999 Deroche Y., Formation et conditions de travail au sein de l’hypermarché Auchan. Un exemple les hôtesses de caisse

La lecture de ces documents montre le plus souvent une bonne qualité de l’observation de terrain réalisée. Notamment dans les aspects les plus ergonomiques de l’analyse des conditions de travail. Les analyses économiques sont plus rares mais les auteurs manifestent souvent le souci de bien situer l’histoire et le contexte économique des entreprises sur lesquels ils travaillent. Par contre les analyses de relations professionnelles sont le plus souvent sommaires : l’historique des conflits et des rapports de forces sur les thèmes traités est le plus souvent sommaire et il n’apparaît pas que la convention collective soit une ressource utilisée

1-3 Rapports d’études IET

A partir de la promotion de l’année 2000, le titre des rapports enregistrés change. Ils deviennent des “ rapports d’études IET ”. Ils sont classés sous quatre rubriques

- Droit du travail et Inspection du Travail (DTIT) - Emploi et Formation Professionnelle (EFP)

- Hygiène Sécurité et Conditions de Travail (HSCT) - Organisation et Modernisation des services

Sur les six promotions pour lesquels ces mémoires sont répertoriés, on note que le quatrième thème n’est cité qu’une seule fois la première année, et c’est pour la première promotion. On notera sur le tableau que, pour les promotions 2001 bis et 2002A, certains rapports peuvent relever de deux, voire trois thèmes (ce qui explique le total de références supérieur au nombre de stagiaires).

Tableau 7-4 : classement par rubrique des rapports d’études IET

promo DTIT EFP HSCT N Elèves

2000 28 20 10 59

2001 65

2001 bis 33 36 18 75

2002 B 17 12 12 41

2003 15 17 14 46

Certains de ces travaux s’intéressent à la régulation des conditions d’emploi et de travail dans le secteur de la distribution alimentaire. Nous en avons ainsi repéré trois.

Tableau 7-5 : titres des mémoires d’études IET portant sur la GDA

2001 Bis Maupoint M-P., L’ouverture illicite des magasins le dimanche. Quelle action pour l’inspec tion du travail ?

2001 Bis Le Gallou, Le contrôle du repos dominical dans le commerce

2003 Jugant France, La lutte contre la fausse sous-traitance appliquée au secteur de la grande distribution

Par rapport aux mémoires de stage en entreprise, on peut remarquer que ceux-ci se focalisent plus directement sur des problèmes sollicitant l’intervention et la sanction de la part de l’inspecteur du Travail. Les observations menées par les stagiaires sont souvent assez fines. Ils n’hésitent pas à souligner les difficultés et les paradoxes auxquels sont confrontés les inspecteurs dans leur mission. Ainsi, le premier travail de Mademoiselle Maupoint qui s’intéresse aux situations qui vont du “ faux bénévolat à la fausse sous-traitance ” dans les commerces de détail de l’alimentation, dont les boulangeries, ouverts le dimanche. Elle remarque fort justement que sur ce sujet, il y a accord des salariés et tolérance des syndicats. Elle constate également la fréquente situation de récidive des magasins, y compris après d’éventuelles condamnations. Après avoir ainsi analysé les situations, elle rappelle la position classique de l’inspection qui “ intervient dans le but de faire respecter un principe d’ordre

public (...) ”.

Dans les trois analyses, aucune mention n’est faite des tentatives de régulation de ces problèmes par la profession elle-même dans le cadre des négociations collectives. Alors même que la question du travail du dimanche est, au même moment un objet de discussion et de négociation sur lequel les positions évoluent. De même, aucune mention n’est faite des spécificités des relations d’emploi et de rémunération du commerce et notamment de ces commerces alimentaires. Le rappel des fonctions les plus éminentes de l’inspection, et de sa mission d’ordre public, peut ainsi servir d’alibi pour masquer la faiblesse de l’approfondissement des analyses de terrain.

1-4 Une exploitation collective limitée

Le dépouillement et l’exploitation que nous avons faits des thèmes de mémoires de stages des élèves en formation initiale permet de comprendre que le travail industriel usinier de type classique reste la référence par rapport à laquelle sont jugées et jaugées les conditions de travail. Les autres situations de travail, et notamment celles qui relèvent des secteurs du commerce et encore plus spécifiquement de la grande distribution alimentaire, sont moins bien connues et appréhendées.

Si nous avons noté l’absence de références à la régulation collective dans la quasi- totalité des rapports, nous avions cependant noté leur bonne qualité d’observation de terrain. Les 862 rapports de stagiaires existants de 1976 à 1999 seraient ainsi une source de

connaissances possibles sur les conditions de travail et d’emploi dans les industries françaises de l’époque. Qui plus est, il nous semblait que cet apprentissage de la synthèse de connaissance d’une situation globale à partir de l’agrégation d’observations disparates pouvait faire partie de la professionnalité des inspecteurs du Travail.

Nous nous sommes donc demandés quelle exploitation collective était faite de ces rapports de stage, sous quelle forme ces connaissances de terrain étaient-elles mutualisées entre les stagiaires ? La réponse du responsable de formation a été catégorique : il n’y a pas de mutualisation de ce genre : “ C’est entre eux et c’est vrai que nous on passe à autre chose ”.