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La perspective de l’autorégulation et de la corégulation

TITRE II – CONTRATS INTELLIGENTS : APPROCHE JURIDIQUE

Chapitre 1 – Les mutations du droit face aux innovations technologiques

2.1. Le rôle juridique des normes alternatives

2.1.1. La perspective de l’autorégulation et de la corégulation

Compte tenu de l’ampleur des discussions concernant les normes alternatives, nous nous limiterons ici à dresser les grandes lignes de l’autorégulation et de la corégulation afin de démontrer comment ces deux techniques de production normative pourraient être applicables aux contrats intelligents, de manière alternative (mais toujours complémentaire) au droit

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étatique. Rappelons à ce titre qu’il n’y a pas de consensus au sujet des formes de création des normes alternatives, ni même au sujet des méthodes de classifications afférentes, comme celle basée sur leur contenu220.

Nous pouvons dire que l’autorégulation couvre les mesures de régulation découlant exclusivement des acteurs privés. Il s’agit, alors, d’une régulation par le marché : les règles créées au sein des entreprises, des organismes non étatiques et des sociétés. Il est évident que les normes imposées par l’État doivent être respectées lors de la formation de ces autres dispositions. Pourtant, le droit étatique n’interfère pas dans les règles créées en accord avec lui et que réglementeront les relations des acteurs privés.

Il est important de noter que le fonctionnement des chaînes de blocs s’accorde bien avec cette idée de régulation par le marché, en intégrant la participation de l’État et des acteurs privés concernés :

« Le concept, signifie, par essence, que les règles encadrant le comportement dans un marché sont développées, administrées et appliquées par les personnes (ou leurs représentants) dont le comportement doit justement être encadré. Les acteurs privés édictent alors, de manière autonome, des normes qui sont reconnues et appliquées par d’autres acteurs privés. » 221

Au regard des aspects techniques que nous avons abordés dans le premier titre de cette étude, les normes au sein d’une chaîne de blocs régissent les relations entre les nœuds, c’est-à- dire que les affaires reliant les membres sur la chaîne de blocs doivent suivre les normes

220 K. BENYEKHLEF, préc., note 152, p. 745-746. 221 K. BENYEKHLEF, préc., note 152, p. 741.

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préétablies dans ce réseau, à l’instar de l’idée de consensus et de forks222, tout en respectant les

normes de droit étatiques en vigueur.

L’importance de cette méthode de production de normes dans le contexte actuel est fondée sur une série de raisons comme la flexibilité, l’autonomie des normes alternatives et particulièrement l’attention portée sur les intervenants contribuant à leur propre régulation223.

Comme nous l’avons déjà évoqué au cours de cette étude, l’État a encore un rôle important à jouer dans le contexte de la production normative. L’inquiétude qui entoure l’exercice de ses activités viendrait d’une éventuelle incapacité de répondre de la façon la plus efficiente aux défis juridiques posés dans le contexte globalisé. Ainsi l’attention sur les normes alternatives a été intensifiée de même que sur le droit global. De ce fait, la proposition d’une corégulation entre ces acteurs semble pertinente. La corégulation ouvrirait la voie d’une harmonisation entre les protagonistes majeurs que sont les acteurs étatiques et non-étatiques.

À cet égard, le mot d’ordre est coopération. « Il s’agit donc, non pas de définir une nouvelle forme de régulation, mais de trouver une méthode adaptée aux temps nouveaux »224.

222 “Because the blockchain is a decentralized data structure, different copies of it are not always consistent. Blocks

might arrive at different nodes at different times, causing the nodes to have different perspectives of the blockchain. To resolve this, each node always select and attempts to extend the chain of blocks that represents the most Proof- of-Work, also know as the longest chain or greatest cumulative work chain. By summing the work recorded in each block in a chain, a node can calculate the total amount of work that has been expended to create that chain. As long as all nodes select the greatest-cumulative-work chain, the global bitcoin network eventually converges to a consistent state. Fork occurs as temporary inconsistencies between versions of blockchain, which are resolved by eventual reconvergence as more blocks are added to one of the forks.” Andreas M. ANTONOPOULOS, Mastering

Bitcoin: Programming the Open Blockchain, 2e ed., Sebastopol, O'Reilly Media, 2017, p. 257.

223 Maria Eduarda GONÇALVES et Maria Inês GAMEIRO.Project : the Landscape and Isobars of European Values

in Relation to Science and New Technology. A Critical Discussion of Soft Law in a Governance Perspective, Community Research and Development Information Service (CORDIS), European Commission, septembre 2011,

en ligne : <

https://www.researchgate.net/publication/319065378_A_critical_discussion_of_soft_law_in_a_governance_pers pective_Work_package_4_Authors_Maria_Ines_Gameiro_Maria_Eduarda_Goncalves > (consulté le 06 janv. 2019)

224 Christian PAUL, Du droit et des libertés sur l’Internet, Rapport au premier ministre, Paris, La Documentation

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Certaines mesures caractéristiques de l’autorégulation sont mises en place conjointement avec d’autres mesures propres à la réglementation étatique.

La séparation et la balance des pouvoirs traditionnels (le législatif, l’exécutif et le judiciaire)225 pourraient être révisées pour y inclure les nouveaux acteurs de la globalisation.

Cela permettrait de créer des systèmes de réglementation plus efficaces car plus adaptés aux particularités de chaque domaine, territoire et temps. Cependant ces derniers revêtiraient un caractère strict afin de ne pas favoriser indûment un pouvoir au détriment des autres.

L’Internet matérialise un contexte plus traditionnel pour expliquer l’influence de la méthode de corégulation. L’expérience du Forum des droits sur l’Internet est un exemple de mise en œuvre de la corégulation. Au cours de ses dix années de fonctionnement, depuis 2001, cet organisme s’est penché sur les enjeux juridiques soulevés par l’Internet. Grâce à des conseils et des groupes de travail, plusieurs questions ont été traitées, comme la protection du consommateur, la protection des mineurs et la publicité sur l’Internet, conduisant à la publication de rapports sur ses activités de recherche226. Les études étaient menées par de

nombreux acteurs, allant des représentants du pouvoir public à ceux du secteur privé et de la société civile.

Force est de constater que parfois la corégulation peut être confondue avec le transgouvernementalisme. En effet, ces deux concepts possèdent la même caractéristique qui est de reconnaître d’autres acteurs au-delà des États. Pourtant, la corégulation va plus loin : elle réserve une place à la table de discussion sur les règlementations à la société civile, tandis que

225 Voir : MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, Paris, Garnier-Flammarion, 1979.

226 Par exemple, voir : LE FORUM DES DROITS SUR LINTERNET, Rapport d’activité année 2009, La documentation

française, 2009, en ligne : < https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports- publics/104000464.pdf > (consulté le 22 déc. 2018)

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le transgouvernementalisme se limite aux États et aux « experts des administrations et des agences de régulation »227.

Ainsi, nous pouvons constater que ce genre d’initiative multi parties visant à regrouper différents acteurs et également diverses juridictions est ce qui permet de comprendre et de cultiver le développement des cadres législatif dans le contexte des technologies émergentes et des systèmes globaux. La corégulation associe le pouvoir d’autorégulation des parties directement intéressées à la sécurité et légitimité de la participation étatique dans le processus de réglementation.

Ces deux formes alternatives de réglementation présentent une approche du pluralisme juridique dans le contexte globalisé et technologique, prenant en compte également l’émergence de la chaîne de blocs et des contrats intelligents.