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TITRE I – CONTRATS INTELLIGENTS : APPROCHE TECHNOLOGIQUE

Chapitre 2 – Les aspects pratiques de la chaîne de blocs et des contrats intelligents

2.2. Des risques particuliers de la mise en œuvre de contrats intelligents

2.2.3. L’immutabilité

L’impossibilité d’effectuer des changements au cours du contrat, le cas échéant, est un autre risque – ou plutôt un obstacle – à l’acceptation de la mise en œuvre des contrats intelligents à grande échelle. La fonctionnalité de changement serait importante afin de garder la primauté de la volonté des parties pendant toute l’existence de l’engagement ainsi que de corriger les erreurs de programmation ou de bogues, en visant également l’intégrité du pacte.

L’immutabilité est une caractéristique généralement considérée positive lorsqu’on traite des chaînes de blocs et des contrats intelligents puisque cela sécurise les registres. Toutefois, cette autre perspective pourrait être prise en compte si les acteurs intéressés par cette technologie envisagent d’élargir son application dans le contexte du monde réel. Les chaînes de blocs sont connues comme « en ajout seulement » (append-only, en anglais), ce qui veut dire qu’il n’est pas possible de retirer les données enregistrées, seulement d’en additionner d’autres112. C’est

dans cette dynamique que réside l’obstacle. “No single party has the power to modify or roll

112 ACCENTURE, Editing the uneditable blockchain. Why distributed ledger technology must adapt to an imperfect

world, 2016, (PDF) en ligne : <https://www.accenture.com/t20160927T033514Z__w__/ro-en/_acnmedia/PDF-

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back information stored on a blockchain, and no single party can halt the execution of a smart contract once it has been deployed, unless provided for in the code”113.

Le changement d’un contrat intelligent déjà déployé est parfois envisageable, mais il n’est pas facile. En fait, il ne s’agit pas d’une altération proprement dite sur le contrat original parce que cela impliquerait de modifier les registres sur la chaîne de blocs, ce qui n’est pas faisable. Il faut, par exemple, récupérer toute l’information déjà programmée et la récrire sur un autre contrat, en mettant à jour l’adresse d’accès aux usagers/parties, ou encore au moyen d’une séparation entre les données et la logique du contrat.

Aujourd’hui, des alternatives sont examinées afin de trouver une solution plus uniforme et pratique au changement des contrats intelligents après leur déploiement. Selon une étude publiée en 2016, “[h]aving the ability to edit, rather than append, smart contracts would preserve time and resources”114, notamment en raison de la croissante complexité et de

l’envergure des contrats sur la chaîne de blocs.

En visant une innovation dans le caractère d’immutabilité des contrats intelligents, le US Patent & Trademark Office (Bureau américain de brevets et de marques de commerce) a analysé la demande de brevet présenté par le conglomérat chinois de commerce électronique Alibaba. La demande proposait l’intervention d’un tiers dans un contrat intelligent dans les cas d’activités illicites sur la plateforme. Il serait ainsi capable d’intervenir sur le réseau ou même d’arrêter ou d’interrompre les comptes d’utilisateur dont les opérations seraient considérées illégales115.

113 P. DE FILIPPI et A. WRIGHT, préc., note 8, p. 35. 114 ACCENTURE, préc., note 110.

115 Ana ALEXANDRE, Alibaba Files Patent for Blockchain System That Allows ‘Administrative Intervention’ , 05

oct. 2018, en ligne : <https://cointelegraph.com/news/alibaba-files-patent-for-blockchain-system-that-allows- administrative-intervention>(consulté le 15 nov. 2018)

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L’idée centrale de l’étude mentionnée et de la demande de brevet, en somme, converge vers l’insertion des contrats intelligents dans le contexte du monde réel, où des défaillances ou les abus peuvent survenir et ont besoin d’être corrigés par le droit.

À cet égard, il faut noter que les pirates informatiques cherchent quotidiennement de nouvelles manières d’interférer dans les opérations sur les chaînes de blocs, mais il faut bien considérer que de l’autre côté, il y a aussi de gros efforts en faveur de la sécurité des transactions sur ces réseaux. Certains projets analysent statistiquement les codes des contrats afin de trouver les vulnérabilités possibles, comme Oyente116, qui simule l’exécution d’un contrat intelligent

sur l’Ethereum afin de vérifier l’existence de bogues.

Un autre enjeu qui découle de l’immutabilité est lié au droit à l’oubli. Sur Internet, il y a déjà des efforts pour respecter ce droit : « Par exemple, en 2015, Google a été mis en demeure par la CNIL de déréférencer du moteur de recherche les utilisateurs qui le souhaitent (CNIL, 2015). Cela implique que certaines pages ne soient plus accessibles via le moteur »117.

Dans le cas des chaînes de blocs, nous avons déjà mentionné la difficulté de retrouver un registre sans avoir le numéro d’identification correspondant à la transaction. Parallèlement, l’immutabilité ne permet pas d’effacer ou de changer ces registres, c’est-à-dire que l’information sera toujours, en quelque sorte, disponible aux tiers. Une situation fictive serait le casier judiciaire d’un condamné qui aurait vu son registre nettoyé après l’exécution de la peine et le respect de la loi. Si cela était enregistré sur une chaîne de blocs, le droit à l’oubli ne serait pas respecté118.

116 Cf. OYENTE, An Analysis Tool for Smart Contracts, en ligne :

<https://www.comp.nus.edu.sg/~loiluu/oyente.html> (consulté le 15 nov. 2018)

117 B. CHOULI, F. GOUJON et Y. LEPORCHER, préc., note 37, p. 405. 118 Id.

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Ce sont des exemples des enjeux entraînés par l’immutabilité. Il faut apprécier leur incidence sur le développement de cette technologie dans le monde réel, ce qui nous amène à l’examen de certains cas d’usage dans le sous-chapitre suivant.