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La paix des princes attendue par les Parisiens

Chapitre 3 : Pacifier Paris déchirée par les guerres

1. L’attente de paix des Parisiens lors de la guerre civile

1.1 La paix des princes attendue par les Parisiens

Paris est au coeur des luttes partisanes entre Armagnacs et Bourguignons pour le contrôle du pouvoir. Cet affrontement est marqué par les changements successifs de gouvernement et une alternance dans la domination de la capitale du royaume et du gouvernement. Les Parisiens prennent part à ces luttes. Cependant ils manifestent aussi un profond désir de retour de paix entre les princes, comme nous pouvons le lire dès 1412 :

« 58. Item, le dimanche 23e jour d’octobre ensuivant, entra le roi à Paris, et fut faite à sa venue la plus grande fête et joie du commun, qu’on avait vue passé avait 12 ans, [car petits et grands] bassinaient, et vint avec le roi le duc de Bourbon, et le comte de Vertus, neveu, et plusieurs autres, et furent avec le roi à Paris, moult

aimés du roi et du commun qui avait grande joie de la paix qu’on cuidait qu’ils tinssent bonnement, et ils ne tendaient qu’à la destruction du roi et espécialment de la bonne ville de Paris et des bons habitants.220 »

Cette entrée de Charles VI, le 23 octobre 1412, est une fête dans Paris comme le sont traditionnellement les entrées royales221. À la suite de la campagne de Berry menée par Charles VI pour stopper les luttes partisanes entre Armagnacs et Bourguignons, la Paix d’Auxerre est scellée. Les princes jurent d’observer la paix de Chartres de 1409 où Charles et Philippe d’Orléans accordèrent leur pardon à Jean sans Peur qui avait commandité l’assassinat de leur père. La paix entre les princes est nécessaire au roi roi, dans un souci d’unité de son royaume, mais aussi car chacun des deux camps a fait appel aux Anglais pour prendre le pas sur l’autre. Ces derniers, fort de ces différents accords, gagnent en puissance sur le continent222. L’annonce de cette paix, doublée par l’entrée du roi au côté de son neveu, Philippe d’Orléans, comte de Vertus, et d’autres fidèles armagnacs, provoque une grande joie parmi les Parisiens223. On assiste à « la plus grande fête et joie du commun, qu’on avait vu passé avait 12 ans », donc la plus belle fête depuis le début du siècle où chacun « bassinaient », c’est-à-dire qu’ils tapaient sur un bassin ou un morceau de cuivre pour manifester leur joie224. La paix entre les princes semble réelle, et le peuple se réjouit publiquement de cette réconciliation comme le prouve sa réaction, rapportée par le Bourgeois de Paris. Ces manifestations de joie dans les rues parisiennes révèlent ce désir de paix du peuple au cours de la guerre civile.

Cependant, les membres de chacun des partis entretiennent la défiance envers ses adversaires. Le Bourgeois prête aux Armagnacs la volonté de détruire la capitale ainsi que le roi. Ces éléments rapportés semblent peu probable, et ils tiennent sans doute à la prise de position bourguignonne du Bourgeois. En effet, Paris reste la capitale du royaume, point essentiel à contrôler. Il est donc peu probable que les Armagnacs veuillent détruire la ville et encore moins le roi, qu’ils cherchaient seulement à contrôler225. Le peuple parisien manifeste son

220 Journal d’un bourgeois de Paris, Édition commentée par Colette Beaune, Paris, Livre de Poche (Coll. « Lettres

gothiques »), 1990, p. 55.

221 GUENEE Bernard, Les entrées royales françaises (1328-1515), Paris, Éditions du Centre national de la recherche

scientifique, 1968, p. 12.

222 SCHNERB Bertrand, Les Armagnacs et les Bourguignons. La maudite guerre, Paris, Perrin, 2001, p. 121. 223 AUTRAND Françoise, Charles VI, Paris, Fayard, 1986, p. 448.

224 Journal d’un bourgeois de Paris, Édition commentée par Colette Beaune, Paris, Livre de Poche (Coll. « Lettres

gothiques »), 1990, p. 55. 225 Ibid.

désir de paix dans les rues de la capitale lors des guerres civiles qui divisent le royaume. Pourtant, l’exemple du Bourgeois exprime à quel point les tensions peuvent se montrer vivaces et mener à nouveau le peuple à se déchirer.

Ce fut le cas quelques mois plus tard lors de la révolte cabochienne. Cet épisode violent marque un nouvel affrontement entre Armagnacs et Bourguignons duquel émerge à nouveau une volonté de paix entre les Parisiens :

« Mais, ja pour ce, le menu commun qui ja était assemblé en la place de Grève, armés tous à leur pouvoir, qui moult désiraient la paix, ne voulurent oncques recevoir leurs paroles, mais ils commencèrent tous à nue voix à crier : ‘ La paix ! La paix ! Et qui ne la veut, si se traie au lieu sénestre, et qui la veut se traie au côté dextre. ‘ Lors se trairent tous au côté dextre, car nul n’osa contredire à tel peuple. » 226

Lors de ces événements, l’Université ainsi que le duc de Bourgogne avaient perdu le contrôle de la situation. Dans ce passage du Journal, la population se trouve à la place de Grève où se trouve une maison commune le 3 août 1413. La veille, les bourgeois de la ville s’y étaient réunis en corps, à la demande du roi, pour discuter des propositions de paix qui avait été conclues à Pontoise quelques semaines plus tôt, et qui devaient marquer une nouvelle paix entre les princes, ainsi que le retour des Orléanais à Paris. Après d’intenses discussions entre le prévôt des marchands, les échevins et les représentants des quartiers de la ville, il fut décidé d’organiser la consultation des habitants concernant cette ratification dès le lendemain. Les Cabochiens présents dans la salle s’y opposèrent et parvinrent à obtenir du roi un report de trois jours227. Cependant, dès le lendemain, ils s’emploient à faire repousser la paix et à convaincre la population de voter une motion condamnant les princes d’Orléans. Mais les Parisiens, avide de paix, « ne voulurent oncques recevoir leurs paroles », manifestation de la lassitude qu’éprouve le peuple face à la violence. Plus encore, les cris « La paix ! La paix ! », sont provoqués par l’intervention de Jean Jouvenel des Ursins. Ancien prévôt des marchands et avocat du roi, ce dernier avait prit la tête du parti modéré favorable à la paix. Cette intervention déclenche un élan d’enthousiasme parmi les Parisiens et il est finalement décidé de tenir le vote le jour-même.

226 Ibid, p. 64.

Pour donner son opinion, chacun devait se placer d’un côté ; ceux pour la paix à « destre » donc à droite, et ceux contre la paix au « sénestre », donc à gauche. Ce dernier mot, qui partage une étymologie commune avec « sinistre » renforce l’impression de malheurs que provoquent ces violences.228. L’ensemble des quartiers choisissent la paix sauf les Halles et le quartier de l’Hôtel d’Artois qui restent cabochiens. Pour les bouchers c’est une déroute complète, tandis que les partisans de la paix célèbrent cette victoire par des feux de joies au son des cloches de la ville229. Cet épisode, qui marque la fin de la révolte cabochienne, est représentatif de la population parisienne. Celle-ci, bien que toujours prompte à prendre les armes, éprouve aussi un fort désir de paix dans les moments de crises et de divisions qui traversent le royaume.