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Insultes et propagande : les autres armes de la guerre civile

Chapitre 1 : La structuration des partis et l’affrontement pour le contrôle de la ville

1. Deux partis polarisant la ville

2.3 Insultes et propagande : les autres armes de la guerre civile

La rumeur afin de discréditer ses ennemis et le bannissement pour les éloigner et les disgracier ne constituaient pas les seules armes de cette guerre civile : les insultes et la propagande y étaient également intégrées :

« Et même les petits enfants qui chantaient aucunes fois une chanson qu’on avait faite de lui où on disait :

87 GUENEE Bernard, Un meurtre, une société. L’assassinat du duc d’Orléans. 23 novembre 1407, Paris Editions Gallimard, 1992, p. 265.

88 Ibid.

89 OFFENSTADT Nicolas, Oyez ! Haro ! Noël ! Pratiques du cri au Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003.

« Duc de Bourgognne, Dieu te remaint à joie »

étaient foulés en la boue et navrés vilainement desdits bandés ; ne nul n’osait les regarder ni parler ensemble en mi les rues, tant les doutait-on pour leur cruauté, et à chacun mot : « Faux traître, chien bourguignon, je renie Dieu, si vous ne serez pillés.90 »

Le bourgeois, dénonce ici les actes de violence menés par le parti armagnac suite à leur reprise de la ville en 1414. L’intérêt de ce passage se trouve dans la mise en valeur d’une des spécificités de l’affrontement. Celle-ci ne tient pas aux opérations militaires, mais à la recherche de domination de l’espace public. On y voit une quantité importante d’échanges entre les protagonistes et ceux qu’ils veulent rallier à leur cause91. Il s’agit de convaincre par

des actions de propagande, c’est-à-dire par l’action exercée sur l’opinion pour l’amener à avoir certaines idées politiques et sociales, à soutenir une politique, un gouvernement, un représentant. Celle-ci connaît un vif essor avec ce conflit entre Armagnacs et Bourguignons et marque l’espace public parisien92. La rumeur était une arme de discrédit contre ses ennemis, mais pour ce qui est de la propagande, il s’agit de discours construits et surtout clairement affichés par les partis qui les lisent ou les clament dans l’espace public93. Au travers la propagande il s’agit de montrer que sa cause est juste ou de défendre sa politique. Dans les rues, la propagande par la chanson est quelque chose de fréquent aux XIVe et XVe siècles. L’utilisation d’enfants est favorisée, car ils courent vite et risquent moins que des adultes s’ils sont attrapés par les autorités94. Il s’agit de contester l’ennemi, de dénoncer ses mauvaises actions mais aussi de mettre en avant son propre camp. À maintes reprises, de telles chansons ont exalté les qualités militaires de Jean sans Peur ou de ses troupes95. Il s’agit aussi de faire en sorte que la propagande se développe dans l’espace public et atteigne toutes les couches de la population. La rumeur était utilisée pour parvenir au discrédit de ses adversaires à l’origine

90 Journal d’un bourgeois de Paris, Édition commentée par Colette Beaune, Paris, Livre de Poche (Coll. « Lettres gothiques »), 1990, p. 70.

91 OFFENSTADT Nicolas, « Guerre civile et espace public à la fin du Moyen Âge : la lutte des Armagnacs et des Bourguignons », dans Bourquin Laurent et Hamon Philippe (dir.), La politisation, ouvrage cité, p. 121. 92 VERDON Jean, Information et désinformation au Moyen Âge, Paris, Perrin, 2010, p. 205.

93 OFFENSTADT Nicolas, « Guerre civile et espace public à la fin du Moyen Âge : la lutte des Armagnacs et des Bourguignons », dans Bourquin Laurent et Hamon Philippe (dir.), La politisation, ouvrage cité p. 125. 94 Journal d’un bourgeois de Paris, Édition commentée par Colette Beaune, Paris, Livre de Poche (Coll.

« Lettres gothiques »), 1990, p. 85.

95 MARCHANDISSE Alain et SCHNERB Bertrand « Chanson, ballade et complainte de guerres au XVe siècle : entre exaltation de l’esprit belliqueux et mémoire des événements » In HABLOT Laurent et VISSIERE Laurent (dir.), Les paysages sonores du Moyen Âge à la Renaissance, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 120.

incertaine, mais ici la propagande n’est pas un simple bruit, mais bien une volonté politique de mettre en avant son parti afin d’influer sur les choix des populations. L’expression propagandiste bourguignonne dans l’espace public parisien, dominé par les Armagnacs, est significative de cette lutte pour le contrôle de l’espace urbain. Le bourgeois rapporte également les insultes qui sont tout autant des armes dans la guerre civile :

« Femmes et enfants, et gens sans puissance, qui ne leur pouvaient pis faire, les maudissaient en passant par emprès, disant : « Chiens traîtres, vous être mieux qu’à vous n’appartient encore y en a-t-il, que plût à Dieu que tous fussent en état.96 »

En 1418, les Bourguignons reprennent Paris. Le bourgeois, toujours attentif aux événements, rapporte les massacres qui ont lieu. Lors de ces exactions, les insultes envers les Armagnacs sont nombreuses et du fait de chacun. Ici, les femmes et les enfants, faute de pouvoir tuer eux-mêmes les ennemis, insultent les cadavres. Le fait d’insulter les morts est révélateur du climat de tension qui parcourt la société parisienne durant le conflit. L’injure est une des plus fréquentes expressions de la violence à l’époque. Elle a un pouvoir d’excitation extrême et pouvait avoir une fin sanglante97. Elle permet aussi de voir comment l’autre est perçu dans

cette rivalité et de l’afficher publiquement. Ici, femmes et enfants invectivent les cadavres armagnacs qui sont des « chiens traîtres ». Cette bestialisation met en cause l’honneur des hommes accusés. Cette locution dénonce un caractère déloyal et hypocrite. Dans le climat de la lutte contre les Anglais, elle prend une importante dimension politique98. Alors que chacun cherche à avoir accès à la personne du roi, l’accusation de traîtrise au profit de l’ennemi anglais est très grave. Aussi Nicole Gonthier relève différents types d’injures : celles liés au courage et compétences guerrières ; celles liées à la morale religieuse ; celles inspirées par la difformité physique provoquant le dégoût ; celle à caractère sexuel ; et une dernière catégorie à caractère politique99. Cette dernière, auxquelles se rattachent les paroles rapportées par le Bourgeois, est révélatrice de l’implication d’une part importante de la population parisienne dans le conflit. Le fait que des femmes et des enfants se livrent à celles-ci est un des symboles de cette politisation de la société.

96 Journal d’un bourgeois de Paris, Édition commentée par Colette Beaune, Paris, Livre de Poche (Coll. « Lettres gothiques »), 1990, p. 110-111.

97 GONTHIER Nicole, « Sanglant Coupaul ! » « Orde Ribaude ! ». Les injures au Moyen Âge, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, p. 14.

98 Ibid., p. 165-167. 99 Ibid., p. 13.

Le Journal d’un bourgeois de Paris présente le tableau d’une société structurée par les partis armagnac et bourguignon qui s’affrontent dans l’espace urbain. La polarisation de Paris par ces derniers amène à une confrontation qui prend différentes formes. Chacun tentait de discréditer, contester et dénoncer l’autre. Ces ambitions passent par des actions qui s’affichent dans l’espace public. Le contrôle de celui-ci se trouve être au cœur de la confrontation partisane. Rumeurs et propagande se diffusent toutes deux, alors que d’autres actions ont une influence sociale comme les insultes et les bannissements. La ville de Paris, est ainsi le lieu que chaque parti cherche à contrôler. Cette lutte d’influence dans l’espace public se double d’affrontement et de violences.