De Leon Arled Florez, sous la direction de Paul Leduc Browne, Université du Québec en Outaouais
2. La « nouvelle question sociale » et l’inflexion régressive
La crise structurelle du travail est la prémisse décisive de la situation actuelle, selon nous. Le trait essentiel de cette crise est l’effritement du compromis social entre le capital et le travail. Le début des années 1980 marque le moment où s’affirme le choix d’une politique économique d’inspiration néolibérale11. Depuis lors, le travail est devenu la principale variable d’ajustement
(Castel, 2009: 97). Dans ce contexte, et selon Robert Castel, « la question sociale peut se formuler comme la question de la réorganisation du travail » (Castel, 1995: 181).
Le succès du capital sur le travail n’a pas seulement miné la position stratégique du travail dans la société, mais aussi les possibilités d’accumulation du capital dans les pays développés
8 Bernard Eme donne à la théorie de l’encastrement une acception différente à celle de Polanyi ; celle d’Eme qui découle d’une perspective sociologique est utilisée pour expliquer le problème posé pour l’institutionnalisation de l’économie sociale.
9 D’après Robert Castel, Michel Aglietta a été le premier théoricien de cette catégorie sociale, analysée sous ses principales facettes par l’école de la régulation : « Dans une société salariale, tout circule, tout le monde se mesure et se compare », mais sur la base de l’inégalité des positions. (Castel, 2009: 17). Voir aussi : (Aglietta et Brender, 1984). 10 « La reproduction symbolique des mondes vécus chez Jürgen Habermas se réalise grâce au l’agir communicationnel dans les composants de la culture, de la solidarité et de l’autoréalisation personnelle. Soit la triade du sens (Le nous culturel), du lien (le nous social) et de la subjectivité (le je) », (Eme, 2001: 42 ; Habermas, 1987). 11 Au Québec le modèle néolibéral ne semble pas avoir eu un impact considérable : « Si l’on excepte une courte période au milieu des années 1980, aucun parti politique québécois au pouvoir n’a mis de l’avant un programme explicitement néolibéral (…). En somme, le gouvernement du PLQ qui a été élu en avril 2003 est le premier gouvernement québécois à mettre de l’avant un programme néolibéral visant à transformer en profondeur le modèle québécois » (Lévesque, 2004: 110 ‐ 111). Depuis une autre perspective, on affirme que : « On ne peut pas constater que le tout néolibéral, que certains acteurs sociaux ont claironné dès le début des années 1980, ne s’est jamais vraiment matérialisé (du moins jusqu’au début des années 2000) (Jetté, 2008: 361). « Le mouvement de privatisation n’a donc pas connu l’ampleur que les partisans du néolibéralisme auraient souhaitée, ni celle que lui auraient prêtée certains défenseurs du providentialisme. Il faut toutefois noter que certains domaines de services, tels que les services à domicile (Vaillancourt, Aubry et Jetté, 1997), ont tout de même fait l’objet d’une poussée de privatisation dans la seconde moitié des années 1980. Néanmoins, la grande majorité des établissements et des services sociosanitaires n’ont pas été soumis à un processus radical de privatisation » (Jetté, 2008: 166). « De fait, au Québec (comme au Canada), « la privatisation (a) signifi(é) généralement l’introduction de nouvelles méthodes efficaces de gestion hospitalière et non pas une remise complète des hôpitaux dans les mains d’intérêts privés » (Guérin, 1987a: 23 ; Jetté, 2008: 167). Ces affirmations semblent ignorer les mesures d’accent clairement néolibéral du gouvernement du Parti québécois entre 1996 et 2001. Et le penchant du modèle de développement du Québec surtout à partir des années 1990. Cette affirmation ignore aussi les capacités de mutation et d’innovation du modèle néolibéral depuis les années 1980. À ce sujet voir : (Peck et Tickell, 2001).
(Wallerstein, 2008). La menace d’effondrement du système capitaliste12 a poussé le capital à
s’étendre dans le cadre d’un projet global : la mondialisation néolibérale13. Il s’agit d’un
« transfert du processus d’accumulation de capitaux collectifs du niveau national au niveau transnational, accompagné de l’édification d’un « réseau habilitant mondial », un quasi‐État de capital » (Teeple, 2004). Cette phase d’expansion intensive du capital marque un retour aux formes d’accumulation extra économiques propres au capitalisme précoce14.
La création d’un marché mondial autorégulateur15, a écrit Polanyi, implique un bouleversement
social sans précédent à l’échelle planétaire. « La maîtrise du système économique par le marché a des effets (importants) sur l’organisation toute entière de la société : elle signifie tout bonnement que la société est gérée en tant qu’auxiliaire du marché. Au lieu que l’économie soit encastrée dans les relations sociales, ce sont les relations sociales qui sont encastrées dans le système économique » (Polanyi, 1983: 88).
La transition de l’économie de marché régulé à l’économie de marché mondial autorégulateur mine les fondements d’existence du marché et de l’État national ou de providence16. Dans le
cadre de la mondialisation, la nouvelle révolution technologique n’implique pas la « fin du
12 Pour l’objet de notre étude, il faut signaler que nous comprenons le capitalisme en tant que mode de production basé sur la propriété privée des moyens de production, dans le but de l’exploitation salariale de la force de travail humain comme source de richesse, pour maximiser les profits par l’obtention de la plus‐value. Sa contradiction fondamentale réside dans le mode social de production et dans le caractère privé d’appropriation. Il existe de nombreuses façons de maximiser les gains dans le capitalisme : par exemple par des transactions foncières, commerciales ou financières, mais, l’exploitation de la force de travail par le salaire fut la source et à la base de la richesse dans le système capitaliste moderne. Le mobile essentiel du système n’est autre que la recherche du profit sans limite. Voir :( Marx, 1968: 246), etc.
13 Il semblerait que le début de ce processus date de 1970, et, est associé à quatre événements historiques selon nous : la crise monétaire de 1971, le coup d’État au Chili en septembre 1973, la crise pétrolière de 1973 et la chute du système socialiste en 1989. Cependant, le concept de mondialisation entre en scène dans les années 1980. Même si la mondialisation peut être assumée comme une face d’expansion particulière du système capitaliste, à notre avis, on ne peut pas l’identifier avec la tendance historique générale, quasi impersonnelle du capitalisme à l’expansion.
14 Dans une acception du concept, l’accumulation extra‐économique fait référence aux formes d’extraction de plus‐ value basées dans les méthodes de coercition, de violence, de prédation et d’expropriation, qui rappellent des moments d’« accumulation primitive ». Voir : Harvey, David. The “New imperialism”: Accumulation by Dispossession. Source: http://actuelmarx.u‐paris10.fr/num35.htm#abstracts. Dans une autre acception du concept, plutôt d’accent corporatiste, l’accumulation extra‐économique est compris comme : « les facteurs invisibles ou immatériels ou les interdépendances non marchandes », Voir : (Veltz, 1997) et (Greffe, 1992), cité dans : (Comeau, Favreau, Lévesque, Mendell, 2001: 4‐5). « On redécouvre l’importance de facteurs comme la confiance, la cohésion sociale et la proximité, qui réduisent les coûts de transaction entre les entreprises dans une même filière de même qu’entre les entreprises et leur territoire d’ancrage (de la concurrence) et de la hiérarchie (l’autorité), la coopération (l’association, les réseaux, la collaboration des institutions de proximité…) s’impose également comme modalité de coordination de l’activité de développement ».Voir : (Favreau, 2008: 75).
15 Pour Polanyi, le trait essentiel du marché autorégulateur est celui d’« une économie gouvernée par les prix du marché (ou prix courant) et par eux seuls » (Polanyi, 1983: 71).
16 D’après François‐Xavier Merrien, « La notion de crise de l’État‐providence devient l’expression de l’époque. Elle trouve son origine dans les laboratoires d’idées néolibéraux des années 1970. Dans les années 1970‐80, l’expression fait référence à deux éléments : la crise financière des États‐providence et la crise de légitimité. Mais le second terme est celui qui compte le plus. Le rapport des experts de l’OCDE de 1981 : La crise de l’Étatprovidence est une des publications les plus marquantes du début des années 80 » (Merrien, 1997: 107). Depuis lors, les critiques de l’État‐ providence parcourent tout le spectre des positions politiques.
ACTES DU 13ÈME COLLOQUE ANNUEL DES ÉTUDIANTS DE CYCLES SUPÉRIEURS DU CRISES 41 travail »17, mais sa réduction et la dévaluation généralisée de la force de travail, de même que sa précarisation.
Tous ces bouleversements provoqués par la mondialisation représentent, à notre avis, une inflexion historique régressive du système capitaliste dans son ensemble.