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2.4 Acteurs et projet système d'information

2.4.1 La notion d'acteur

Nous dénissons l'acteur à partir de la notion de rôle. Cette notion est relativement vaste (2.4.1.1). Elle est liée aux institutions auxquelles sont soumis les acteurs (2.4.1.2), ainsi qu'à la culture dans laquelle baigne l'acteur (2.4.1.3).

L'objectif de notre exposé ici consiste à montrer que l'acteur, tel que nous le considérons dans cette thèse, est une personne, i.e. un être humain (2.4.1.4).

2.4.1.1 La notion de rôle : généralités

Le rôle correspond d'après le Petit Robert à une fonction que l'on remplit. Si nous posons la dénition ainsi, il y a un rôle à jouer dès qu'il y a une fonction à remplir. Cette notion de rôle, au sens fonction à remplir, est utilisée en ingénierie informatique :  pour identier les acteurs d'une organisation, il faut se concentrer sur les rôles (. . .)  [Kettani et al., 1999, p. 26].

La modélisation Unied Modeling Language (Langage de modélisation informatique) (UML) dénit la notion d'acteur à travers les rôles que ceux-ci jouent par rapport au système infor- matique. Acteurs et rôles apparaissent dans les Use Case (Cas d'utilisation). Dans cette représentation du système informatique, une personne donnée peut jouer plusieurs rôles et un rôle donné peut être joué par plusieurs personnes. Mais il importe peu, par rapport au système informatique, de savoir si une personne remplit un rôle ou cumule plusieurs rôles. Ce qui est important, c'est le fait d'identier ces rôles.

2.4.1.2 Rôle et institutions

Il existe un courant théorique associé à la notion de rôle : la théorie des rôles. Cette théorie est liée à l'étude des comportements [Biddle et Thomas, 1966].

L'approche des comportements par la notion de rôle part d'un postulat : l'existence d'un social script [Biddle et Thomas, 1966]. The role perspective assumes, as does the theater, that performance results from the social prescriptions and behavior of others, and that individual variations in performance, to the extent that they occur, are expressed within the framework created by these factors [Biddle et Thomas, 1966, p. 4]. Parmi ces facteurs, l'auteur recense :

 les normes sociales ;

 les attentes qui pèsent sur l'individu (social demands) ;  les règles ;

 la manière dont les autres acteurs  jouent  leurs rôles respectifs

 les personnes qui observent et qui réagissent à la manière dont l'individu joue son rôle ;  les capacités et la personnalité de l'individu.

Ces auteurs dénissent la notion de rôle de deux manières :

 ensemble de comportements caractéristique d'une personne ou d'une position sociale. Cette dernière correspond à la place qu'occupe un individu dans la structure d'un sys- tème social. Cette position sociale est associée à une collection d'individus qui partagent des caractéristiques communes ou qui sont perçus comme tels ;

 ensemble de standards, descriptions, normes ou concepts associé aux comportement d'une personne.

De ce fait, le rôle possède une dimension sociale. Ainsi, le fait d'approcher le projet système d'information à travers la mise en scène, et donc les rôles, revient à poser une hypothèse : de tels projets possèdent une dimension sociale. Cette dernière est appréhendée à travers les interactions existant entre les individus dans la théorie des rôles. Ces interactions sont passées sous silence dans les processus, planications et grilles de lecture des Sciences de l'Ingénierie. Et l'adoption de l'approche  rôle  positionne notre démarche comme complémentaire aux approches ingénierie.

[Knight et Hartland, 2005] se situent dans la lignée de la théorie des rôles. Selon ces auteurs, le rôle peut être considéré comme suit : roles can be seen as context specic and negociated between the role enactor and the role senders [Knight et Hartland, 2005, p. 283]. Ce qui signie qu'un rôle donné fait l'objet d'un consensus entre deux types d'acteurs : ceux qui vont jouer le rôle et ceux qui attribuent le rôle.

Un rôle donné est attribué à un individu donné en fonction de son aptitude. Cette der- nière correspond à  une fonction particulière qu'il [l'individu] peut exercer dans certaines circonstances  [Goman, 1991, 136]. Exemple : le chef de projet peut prendre des décisions concernant le projet qu'il dirige, mais il ne décide pas forcément de ce qui va se faire dans le service auquel il est rattaché. Il apparaît ainsi que le rôle est situé au sens de [Suchman, 1990] : le rôle existe parce qu'il y a des règles qui le mettent en place et ces mêmes règles en dénissent sa portée.

Les dénitions issues de [Knight et Hartland, 2005] et [Biddle et Thomas, 1966] associent le rôle à l'aspect institutionnel au sens de [Riveline, 1991] : le rôle fait partie des institutions du projet : il - le rôle - délimite ce que l'acteur peut faire, doit faire ou ne peut pas faire. Ce périmètre d'actions est prescrit par un individu ou groupe d'individus.

2.4.1.3 Rôle et culture

Le terme  culture  est un terme galvaudé. Pour sortir des discours communs autour de ce sujet, nous proposons de replonger dans les fondements anthropologiques à travers un bref aperçu de la littérature.

La culture est un ensemble complexe et multidimensionnel d'à peu près tout ce qui fait la vie en commun dans les groupes sociaux ([Tylor, 1877], [Linton, 1945], [Benedict, 1969] cités dans [Aktouf et Chanlat, 1990]). C'est l'ensemble de ce qui est permis, interdit ou obligatoire qui n'est même pas écrit selon [Riveline, 1991] autrement dit la culture, selon ces auteurs, est un ensemble de règles tacites.

Cet ensemble correspond à ce que [Chanlat et Dupuis, 1990] appelle  contexte d'inter- action sociale . Pour cet auteur, la culture regroupe un contexte d'interaction sociale et les pratiques des acteurs. Le sens, la signication est au c÷ur de ces pratiques. Ainsi, pour ap- préhender la culture, il faut tenir compte des contextes d'interaction sociale, des pratiques des acteurs et des signications des actions [Aktouf et Chanlat, 1990].

La culture n'est pas réduite à une variable interne de l'organisation. C'est à la fois un processus et un produit résultant de ce processus [Aktouf et Chanlat, 1990] ayant lieu à la fois hors et dans l'organisation.

Dans notre démarche, nous proposons d'appréhender cette culture :

 en observant les pratiques : cela correspond aux faits et gestes que nous observons ;  en déduisant le contexte d'interaction : nous appréhendons ces contextes à travers la

dimension institutionnelle, la légitimité et la reconnaissance qu'a l'acteur auprès de ses pairs. Ce contexte peut aussi être révélé à travers les conversations de coulisses que nous avons avec les acteurs interviewés ;

 en déduisant les signications : il s'agit ici du sens que donne l'acteur à son action ainsi qu'à celles des autres. Nous rejoignons l'approche  sense making  (c.f. 2.4.2.2). Dans cette démarche, le langage occupe une place centrale : nous l'utilisons pour décrire ce que nous avons observé, nous l'utilisons pour interagir avec les autres acteurs. Or, le langage, pour [Girin, 1995b], n'est pas un simple  code  ou un  véhicule . Le langage a plusieurs propriétés :

 renvoyer à des éléments xes (signié d'un mot, exemple : table) ;

 renvoyer à des éléments relatifs à la situation dans laquelle les mots et les phrases sont prononcés et qui supposent que l'auditeur ou le lecteur soit partie prenante dans la

Composante Opérations nécessaires Ressources

Littéral Décodage Langue

Indexical Repérage Situation

Enigmatique Interprétation Contexte

Tab. 2.1  composante du langage, opérations nécessaires et ressources à mobiliser

situation où se trouve le locuteur (indexicalité) ; exemple : hier/demain ; je/tu/ils etc.  faire appel à des contextes extérieurs au message langagier lui-même, i.e. exiger une

interprétation.

De par ces propriétés, le langage a trois composantes selon [Girin, 1995b]. Un individu donné eectue des opérations nécessaires à la compréhension du langage en fonction de sa compo- sante. Pour ce faire, il mobilise des ressources4. [Girin, 1995b] résume à travers le Tab 2.1 les relations existant entre la composante du langage, les opérations nécessaires à sa compréhen- sion et les ressources à mobiliser.

Le contexte, ressource à mobiliser face à la composante énigmatique du langage, désigne quelque chose qui se situe dans la tête des interlocuteurs, un schéma d'interprétation. Pour notre part, ce  quelque chose , c'est la culture. Cette armation nous conduit à déduire qu'il y a un type de ressource particulier : les êtres humains. Ces derniers utilisent un mode d'interaction spécique à travers l'usage du langage.

Cette culture a une inuence sur le rôle. Ainsi, [Berry, 1983] donne un exemple en matière de prise de décision : elle s'eectue par rapport à un modèle, une assise scientique, pour asseoir la légitimité de la décision.

[Feldman et March, 1981] et [March, 1991] montrent qu'il y a la plupart du temps une rationalisation ex post de la décision prise. Cette rationalisation est construite à partir d'un ensemble d'informations. Ces auteurs vont même jusqu'à armer qu'il y a consommation d'informations dans cette optique de justication a posteriori. Et le décideur agit ainsi puis- qu'une telle décision est réputée rationnelle et toute décision faisant  de cette rationalité - apparente - n'est pas légitime. Autrement dit, si le décideur prend des décisions jugées non rationnelles, alors il ne joue pas le rôle que ses pairs attendent de lui.

Cette légitimité des décisions prises est une illustration des dimensions institutionnelle et culturelle du rôle. Le décideur doit prendre des décisions rationnelles parce que les institutions l'exigent (les règles d'une organisation en matière de prise de décision proscrivent des décisions irrationnelles). Et pour prouver qu'une décision est rationnelle, le décideur doit demander des informations car dans les cultures occidentales une corrélation positive est établie entre le caractère rationnel d'une décision et la quantité d'informations demandée pour prendre ladite décision [Feldman et March, 1981].

2.4.1.4 L'acteur : humain ou non humain ?

Nous associons l'acteur à la notion de rôle :  on  devient acteur du projet système d'information parce qu' on  se voit attribuer un rôle. Le choix du pronom indéni  on  est délibéré. En eet, il arrive que les dispositifs matériels se voient déléguer la tâche d'accomplir un certain nombre de choses [Girin, 1995b] : ils doivent jouer un rôle.

Cela revient à dire que l'acteur peut aussi bien être humain que non humain [Latour, 1992]. Vu sous cet angle, la technologie peut jouer un rôle, et donc être un acteur dans le projet système d'information. C'est l'acteur autour duquel tournent les discussions : les 4 [Girin, 1995b] ne mentionne pas s'il faut faire la diérence entre resssources de l'agencement organisa-

informaticiens parlent de son développement, les experts métiers parlent des fonctionnalités à y intégrer. Cet acteur impose un certain nombres de contraintes : acquérir des compétences sur le langage de programmation, par exemple. Et en ce sens, il joue un rôle dans le projet.

Si nous reprenons les discussions que nous avons eues précédemment par rapport à la notion de rôle, ce dernier a des dimensions sociale et culturelle. De ce fait, nous eectuons un choix : l'acteur dont nous parlons ici est un acteur humain [Akrich, 1993].

Ainsi, dans ce qui suit, nous appellons  un acteur  toute personne, au sens d'être humain ou de collection d'êtres humains, jouant un rôle dans le projet système d'information. Et nous appelons  objet  tout acteur non humain du projet système d'information.