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2.4 Acteurs et projet système d'information

2.4.2 Acteur et comportement

Dans le comportement de l'acteur, nous considérons trois  composantes  ou trois dimen- sions :

 une dimension personnelle : objectifs personnel (2.4.2.1) ;

 une dimension sens : l'acteur a besoin de donner un sens à ce qu'il fait (2.4.2.2) ;  une dimension jugement : l'acteur se comporte par rapport à la manière dont il est jugé

(2.4.2.3).

2.4.2.1 Objectifs personnels et comportement

 Les individus agisssent d'abord en fonction d'enjeux qui leur sont personnels. (. . .) Il y a en fait autant d'enjeux que de situations et d'ambitions personnelles  [Dorrer, 2004, p. 29]. Ce que [Dorrer, 2004] appelle  enjeux personnels , ce sont les objectifs personnels des personnes impliquées dans le projet système d'information. Ces objectifs personnels sont présents dans le projet.

L'acteur est rationnel en ce sens où il agit, et donc se comporte, en fonction de ses objectifs propres, personnels [Berry, 1983]. Ces derniers peuvent être en contradiction avec ceux du projet [Dorrer, 2004]. Exemple : un acteur que l'on a fait venir d'une ville lointaine et qui veut y retourner ne cherche pas à se rendre indispensable.

Les objectifs personnels de l'acteur expliquent une partie de son comportement. Cepen- dant, de tels objectifs sont le plus souvent cachés : l'acteur ne les révèle que très rarement, voire pas du tout.

2.4.2.2 Besoin de sens et comportement

Les acteurs d'un projet ont besoin de donner un sens, une signication, à ce qu'on leur fait faire. C'est le sense making [Vacher, 2000], [Alderman et al., 2005].

La notion de sense making est aux conuents de plusieurs courants académiques, tels que la cognition en sociologie et la psychologie sociale. L'approche sense making ne consi- dère pas l'organisation comme une entité clairement délimitée par des organigrammes et des hiérarchies. Elle considère plutôt l'organisation comme une collection de représentations de la réalité multiples et variables. A travers le sense making, les représentations sont créées, déconstruites, négociées et élaborées à travers les conversations et les documents.

Le sense making, c'est ce processus qui permet de construire ou de produire une culture commune, en ce sens où il permet de produire des interprétations communes, une histoire commune [Boudès et Christian, 2000], aux diérents acteurs impliqués dans le projet.

Weick (2001), cité dans [Alderman et al., 2005], souligne un fait : une même réalité est sujette à de multiples interprétations. Chaque interprétation est plausible. Elle constitue une

narration sur le projet. Face à l'inconnu, à l'incertain et la diversité des exigences, les dié- rentes entités impliquées dans le projet doivent donner une signication à leurs actions.

Dans les projets complexes, les écarts culturels signicatifs appellent une création de sens : les diérents acteurs et groupes sociaux (utilisateurs, clients, fournisseurs, ingénieurs et autres) ont besoin de sens.

Dans ce contexte, le management de projet peut être conçu comme un processus qui permet de confronter les diérentes histoires, et donc interprétations, entre elles ; et ce, de manière à ce que les diérents participants puissent construire un sens commun à tous les participants.

Un exemple : le pilotage du projet IDS est basé sur les processus uniés. Dans ce type de pilotage, la première phase, l'initialisation, consiste à construire l'équipe projet. Cette construction de l'équipe devait se faire autour d'un prototype de manière à dérouler les pro- cessus d'expression des besoins, de spécications et d'analyse conception. Ce prototype est  jettable  : le logiciel prototypé n'est pas celui qui allait forcément être retenu comme solu- tion.

Lorsqu'il a été décidé d'abandonner le prototype développé, les informaticiens nous avaient avoué qu'ils ne comprenaient pas le pourquoi, la signication, d'une telle man÷uvre : pour eux, le fait d'abandonner le prototype, c'est mépriser leur travail. Et ainsi, ils se sont démotivés.

L'histoire telle qu'elle est racontée par les acteurs, ici les informaticiens, permet de mettre en lumière le sens qu'ils donnent aux diérentes actions [Boudès et Christian, 2000]. Le narratif - i.e. le récit ou l'histoire - permet ainsi de capter les diérentes interprétations des faits qu'a chacun des acteurs.

2.4.2.3 Critère de jugement et comportement

Le comportement de l'acteur est fonction du jugement qui pèse sur lui [Riveline, 1991]. Ce jugement se fait en fonction de critères que nous allons examiner dans ce qui suit.

 Demandez des tonnes et vous aurez des tonnes . A travers cette phrase, [Riveline, 1991] veut traduire la prépondérance du critère de jugement numérique. Certes, le critère de jugement non numérique existe, mais l'idéologie rationnelle des sociétés occidentales [Feldman et March, 1981] privilégie tout ce qui est chiré : il y a une corrélation implicite entre le fait de chirer un critère et sa rationalité.

Le critère de jugement numérique est une quantité mesurée. Cette mesure a un coût abordable. La quantité mesurée est liée aux caractéristiques techniques des tâches à eectuer. Les critères de jugement numérique et non numérique correspondent à ce que [Riveline, 1991] appelle des  abrégés . Ils ont cette dénomination parce qu'ils constituent une simpli- cation de la réalité :  on  essaie de saisir les faits à travers ces critères de jugement. Or, l'élaboration de ces derniers est tributaire des hypothèses sous-jacentes.

Exemple : on peut envisager d'évaluer l'ecacité de l'informaticien au nombre de lignes de code. Pour obtenir ce nombre, il sut de compter les lignes de code. Le critère de jugement, ici le nombre de lignes de code, est lié aux caractéristiques techniques de la tâche à eectuer. Et l'hypothèse sous-jacente est la suivante : plus il y a de lignes, plus l'informaticien code, plus il est ecace.

Les hypothèses sous-jacentes au critère de jugement sont liées aux normes institution- nelles et culturelles (au sens de [Riveline, 1991]). Autrement dit, l'acceptabilité du critère de jugement est lié à ce que [Riveline, 1991] appelle les institutions et le sacré (c.f. 1.1.2.3).

Le comportement de l'acteur dépend du jugement - et donc des critères de jugement - dont il fait l'objet. Cela revient à armer que ce comportement est lié aux normes institutionnelles et culturelles : le comportement de l'acteur est jugé à l'aune de ces deux types de normes.

2.4.2.4 Le point de vue de l'acteur

La notion de point de vue est au conuent des objectifs personnels, des normes institu- tionnelles qui pèsent sur l'acteur, ainsi que de l'environnement culturel5 dans lequel il baigne. Ce point de vue constitue le prisme à travers lequel l'acteur analyse et interprète les faits. Ce point de vue n'est pas partagé. Il est le symptôme d'un fait : une personne est d'abord un être social ; et de ce fait elle est soumise à des contraintes institutionnelles et culturelles. Ses objectifs personnels passent souvent au second plan.

Lorsque l'acteur raconte le projet, tel qu'il le voit, cela met en lumière la manière dont il - l'acteur - interprète les faits qu'il observe. La narration [Boudès et Christian, 2000] révèle la signication, au sens sense making [Alderman et al., 2005], [Vacher, 2000], que donne l'acteur à ces faits. Ainsi, la narration permet de capter le prisme à travers lequel l'acteur perçoit ces faits.

Conséquence : la narration permet de capter le point de vue de l'acteur. Elle permet de comprendre le  pourquoi l'acteur agit de telle sorte et non pas d'une autre manière . Autrement dit, le narratif permet de comprendre, voire d'expliquer dans une certaine mesure, le comportement de l'acteur.

Dans ce qui précède, nous avons montré que l'acteur est source de perturbation. Cette dernière ne vient pas de la présence physique de l'acteur ; elle vient du comportement que l'acteur développe au sein du projet système d'information. Ainsi, comprendre le compor- tement de l'acteur, c'est, en quelque sorte, arriver à anticiper les perturbations que peut engendrer ce comportement. Et c'est la raison pour laquelle nous mobilisons le narratif dans notre démarche : nous incitons l'acteur, que nous interviewons, à raconter le projet.