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LA MÉDITERRANÉE OU LA MÈRE DES CIVILISATIONS ?

Dans le document LE TOURISME INTERNATIONAL VU DU SUD (Page 149-155)

à une mer de touristes !

MER FERMÉE ET ESPACE OUVERT :

1. LA MÉDITERRANÉE OU LA MÈRE DES CIVILISATIONS ?

Jadis espace révélateur des religions célestes, domaine de convergence des cultures, aire de rencontres des peuples grâce à sa position qui fait la jonction entre les continents, la Méditerranée est aujourd’hui en passe de devenir un « bassin-frontière », un lieu de divergences, une ligne de démarcation et, peut-être, un pôle d’éclatement, qui renvoie dos à dos les cultures, les religions et les politiques. Ce « non-lieu » du dialogue3entre les ethnies et les religions d’un côté, et entre les riches et les pauvres, de l’autre, laisse la porte ouverte à tous les excès et fait de l’extrémisme l’ultime recours de reconnaissance ou de vengeance. Une alternative, cantonnée dans un cercle vicieux, qui ne cesse d’attiser rivalités et pugnacités.

Pour commencer, afin d’éviter tout malentendu, disons que la culture méditerranéenne s’inscrit dans un long processus historique, sinon unique, du moins particulier. De ce fait, elle ne se limite pas au seul contexte du voisinage géophysique de la mer Méditerranée ni d’ailleurs à une définition en termes de quotités et autres composantes matérielles quantifiables de la spatialité.

C’est pourquoi, au plan qualitatif, il va falloir transcender, avec énor-mément de précautions et beaucoup de nuances, une série de clichés ou stéréotypes où se mêlent apparences et réalités, ainsi que préjugés et vérités.

Ne laisse-t-on pas sous-entendre que la Culture méditerranéenne (avec un grand C, pour désigner la somme des cultures régionales) n’échappe point à l’image de la Culture que le monde se fait du Méditerranéen : « un citoyen qui s’exprime autant, sinon plus, par le geste que par la parole et qui agit d’abord et réfléchit après » ? Entendons par cette insinuation que le Médi-terranéen est à l’opposé de son homologue nordique (probablement auteur de cette trouvaille) qui, lui, réfléchit longuement avant d’agir. Évidemment, entre la froideur des uns, surtout lorsque leurs intérêts ne sont pas mis en jeu, et l’ébullition des autres, pour des raisons valables ou déraisons rentables, l’indifférence stratégique et l’interférence idéologique demandent à la victime et au bourreau de se serrer la main publiquement et les coudes politiquement pour prouver la bonne foi de leur tolérance et de leur conscience !

3. Le dialogue euro-méditerranéen engagé entre l’Union européenne et les PSEM (pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée) est trop dominé par le politique. L’intellectuel et l’ONG, invités très souvent à participer aux discussions sur la Méditerranée, n’ont pas encore atteint le niveau requis pour agir en groupe de pression et faire entendre leur voix. Cette absence d’entente est due, il faut le dire clairement, au fait que bon nombre d’entre eux jouent discrè-tement aux porte-parole de leur gouvernement respectif.

La théorie du « climat façonneur du comportement4», que nous contestons avec vigueur, trouve là sûrement quelques-uns de ses justificatifs et fondements. Et de là à dire que le Méditerranéen est peu enclin à l’esprit cartésien et qu’il est rebelle à la rigueur du taylorisme, il n’y a qu’un pas.

C’est probablement un stéréotype de plus. Mais il vaut mieux le dire pour que nous, Méditerranéens, nous puissions porter un regard contem-platif sur nous-mêmes et puissions aussi faire une rétrospection futuriste.

Comme quoi, il va falloir espérer pouvoir approcher et saisir les fon-dements sociaux endogènes et les apports historiques exogènes des diffé-rents courants et composantes de la culture contemporaine en Méditerranée hors des schémas préconçus, pour tenter de comprendre. Et comprendre à partir d’un poste d’observation, bien évidemment, situé au cœur de la Méditerranée, mais dan une vision qui exprime clairement les inquiétudes et les aspirations de la rive sud !

1.1. MÉDITERRANÉEUNIQUEETTROISMERSPOURQUISAITVOIR:

ENTREPROFITSETCONFLITS,

UNPATRIMOINEENSURSIS!

La Méditerranée, mer intérieure de 2,9 millions de kilomètres carrés, est bordée de 30 000 kilomètres de côtes d’importance inégale. Les plus aérées et accessibles font de plus en plus l’objet d’une forte pression démogra-phique et urbaine (exode rural et urbanisation rampante), que ne cessent d’alimenter les différentes activités socioéconomiques (activités indus-trielles, touristiques et portuaires). Celles-ci trouvent sur l’espace littoral des équipements adéquats, des débouchés sur l’extérieur et une main-d’œuvre qualifiée et disponible.

Malgré les contraintes et les difficultés du moment, le brassage des populations et des cultures continue, certes avec moins d’intensité que par le passé, à agiter les rivages de notre « mer-mère ». Ce nouveau brassage (migration, tourisme, exil, exode…), apparemment plus tumultueux et moins spontané que par le passé, est à la fois un puissant catalyseur pour l’enrichissement des cultures et des savoirs, sans parler de son effet bénéfique sur la production, mais il est aussi, et ce depuis un certain temps, malheureusement, un détonateur de conflits à retardement. Ces conflits paraissent très souvent insensés pour qui veut user de la raison ou de la

4. Cf. la théorie dite des climats de Montesquieu (1689-1755), moraliste, philosophe et penseur français.

logique dans ses réflexions. Ces effervescences et débordements, pouvant déboucher sur des violences, sont dans leur majorité motivés par des revendications territoriales ou identitaires à connotation ethnique, culturelle ou religieuse.

Après la période de la colonisation, un certain nombre de conflits ont éclaté en Méditerranée ou dans son voisinage immédiat. Les solutions préconisées par la communauté internationale ou sa passivité devant les infractions majeures au droit international ont provoqué une exaspération des opinions publiques. Cette exaspération s’est trop souvent traduite par des involu-tions identitaires qui entretiennent la violence5.

La politique de deux poids deux mesures des puissances internatio-nales qui peinent à justifier et à soutenir la raison du plus fort est sans doute le pire moyen qui soit ; elle mine une région où la guerre classique est improbable, mais qui se prête à toutes les expériences et possibilités de conflagrations sourdes. Le tourisme en sera sûrement et durement touché ! Pour tenter de comprendre, il est intéressant de rappeler qu’en plus des facteurs endogènes (mosaïque religieuse, diversité ethnique et plura-lité culturelle propres à la Méditerranée) s’ajoutent des considérations géo-politiques exogènes (intérêts des multinationales et des puissances étrangères à la région) qui tendent, malheureusement, à rendre encore un peu plus complexe une situation déjà très compliquée en elle-même.

Nul ne peut dire combien durera cette situation aberrante où les riverains européens de la Méditerranée sont écartés de la gestion géopolitique de cet espace largement dominé par les États-Unis, pourtant situés à plusieurs milliers de kilomètres. Si du temps de la guerre froide, cette situation pouvait s’expliquer, il n’en est plus de même aujourd’hui alors que la menace soviétique a disparu. Trop occupée à réaliser l’Union de ses pays membres et à préparer l’intégration de l’Europe centrale dans ses rangs, l’Union européenne s’obstine à ne voir dans la Méditerranée qu’un problème sécuritaire dont l’importance est exclusivement fonction des flux migratoires qui pourraient menacer son identité.

Georges Corm, La Méditerranée, espace de conflits, espace de rêve, p. 9.

Ce constat s’explique, et explique à la fois le rôle géopolitique de la

« centralité » géographique de ce bassin qui permet la communication entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique, mais aussi entre deux principaux océans :

5. Georges Corm, La Méditerranée, espace de conflit, espace de rêve, Paris, L’Harmattan, 2001, quatrième de couverture.

l’Atlantique et le Pacifique. Ce qui en fait un couloir précieux pour la navi-gation maritime et le transit des marchandises (essentiellement le pétrole).

Et malgré l’image saillante d’une grande région touristique, la Méditerranée a, vue sous l’angle militaro-sécuritaire, l’allure d’une base militaire interna-tionale, à la fois fluide et flottante. À l’image de ses façades continentales, elle offre à l’analyse trois rives touristiques fortement inégales.

1.2. PREMIERFOYERTOURISTIQUEDUMONDE:

EXODESAISONNIERDESRICHES

ETACCUEILOCCASIONNELDESPAUVRES

Les principaux États riverains de la Méditerranée comptent aujourd’hui près de 400 millions d’habitants (386 millions en 1990) pour une superficie globale de 8,7 millions de kilomètres carrés, ce qui correspond à une densité moyenne de 44 habitants au kilomètre carré (voir tableau ci-après). Les projections démographiques prévoient, pour l’an 2010, une croissance de la population de l’ordre de 22 %, soit une augmentation de 104 millions d’individus en l’espace de trente ans (490 millions d’âmes). Mais il faut signaler que cette augmentation sera due, en grande partie, à la dynamique démographique

« nataliste » des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (PSEM).

Le bassin méditerranéen constitue la première destination touristique internationale. Il reçoit, bon an mal an, entre 170 et 180 millions de touristes internationaux. Soit environ un tiers des flux touristiques enregistrés dans le monde (non compris le tourisme national). Pourtant, mis à part trois pays latins (Espagne, France et Italie : 135,6 millions d’arrivées en 1996) qui drainent les trois quarts des arrivées du tourisme international, la majorité des pays de cette contrée (surtout ceux du Sud, du Maroc à l’Égypte, avec moins de 15 millions de touristes) n’en tirent pas encore tous les bénéfices possibles.

T

ableau 3.1

ARRIVÉESETRECETTESPARRÉGIONTOURISTIQUE EN MÉDITERRANÉE (1996)

Région Arrivées % dans Recettes % dans

(’000) région (M $US) région

Rive nord 149 738 86,2 91 706 82,6

Rive sud 10 946 6,2 6 045 5,3

Rive est 13 375 7,5 12 853 11,4

Source : A. Spataro, Le tourisme en Méditerranée, Paris, L’Harmattan, 2000.

Sur le plan touristique, la Méditerranée est souvent perçue comme un mythe.

Sur l’immense passé de la Méditerranée, le plus beau des témoignages est celui de la mer elle-même. Il faut le dire, le redire. Il faut la voir, la revoir. Bien sûr, elle n’explique pas tout, à elle seule, d’un passé compli-qué, construit par les hommes avec plus ou moins de logique, de caprice ou d’aberrance. Mais elle resitue patiemment les expériences du passé, leur redonne les prémices de la vie, les place sous un ciel, dans un pay-sage que nous pouvons voir de nos propres yeux, analogues à ceux de jadis. Un moment d’attention ou d’illusion: tout semble revivre6. Et elle en tire un profit certain.

Le miracle touristique méditerranéen plonge dans l’horizon et la culture de la Méditerranée. La géographie ne déchiffre qu’une partie du miracle, les autres clés se trouvent sur les routes qui se sont entrecroisées depuis plus de dix mille ans et que les voyageurs de l’histoire ont tracées pour le bonheur des touristes modernes : la route de l’ambre, celle du sel et de l’huile, celle du vin et de la soie, celle des épices et des savoirs7. Mais il n’est pas exclu que le revers de la médaille ne présente une face moins brillante.

Parce qu’elle répond adéquatement aux critères climatiques, aux critères de distances et de structures d’accueil, la Méditerranée est sûrement le plan d’eau vers où convergent les plus importants flux touristiques au monde.

Et il y a bien dix ou quinze ans que le commandant Cousteau a établi que le taux de pollution de cette mer intérieure avait atteint un point de non-retour, qu’il n’était plus envisageable de reconstituer l’intégrité écologique de la Méditerranée, qui n’est pourtant pas un plan de quelques dizaines d’hectares carrés. De l’avis de plusieurs spécialistes, cette mer est devenue « un dépotoir à ciel ouvert8».

Est-ce à dire que le voyage d’antan a fait la gloire de la Méditerranée et le tourisme « contemporain » en a fait un dépotoir. De là à se poser des questions sur le sens du progrès, il n’y a qu’un pas, et il est vite franchi pour (et par) les adeptes d’un développement plus humain et plus doux.

6. Fernand Braudel, Les mémoires de la Méditerranée, Paris, Fallois, 1998.

7. Robert Lanquar, Les enjeux du tourisme méditerranéen dans le cadre d’un développement durable, Actes de la conférence euro-méditerranéenne sur le tourisme dans le développement durable, Hyères-les-Palmiers, France, 1993, p. 13-27.

8. Roger Nadeau, « Tourisme et environnement », dans N. Cazelais, R. Nadeau et G. Beaudet (dir.), L’espace touristique, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 2000, p. 61-131.

Pour une population de plus 400 millions d’habitants, le tourisme offre quelque 5 millions d’emplois, soit un emploi pour 80 habitants environ. Ce qui n’est pas du tout négligeable, même s’il faut rappeler que l’emploi touristique en Méditerranée souffre d’une saisonnalité tranchée.

Avec aussi, ou surtout, des recettes de l’ordre de 100 milliards de dollars américains (soit, en théorie, 250 $US par habitant et par an), le tourisme constitue une manne économique insoupçonnable pour les pays non producteurs de pétrole. C’est à la fois une source de devises autonome et une économie d’appoint appréciable, mais vulnérable. Un grand atout à risques pour les États qui chercheraient à en faire le principal levier de leur économie nationale.

Faut-il alors craindre que le bassin méditerranéen ne soit en passe de subir les méfaits de son succès et de son rayonnement touristique, et que les pays riverains en pâtissent un jour ? Ou au contraire, faudrait-il admet-tre que le boom touristique que connaît la région est une aubaine écono-mique et une occasion historique pour la revalorisation de la nature et de la culture des sociétés et des peuples qui y vivent et qui en vivent ?

Des cris d’alarme ont surgi dès la fin des années 1970. Des journalistes ont parlé d’une « Méditerranée, mer morte de deux millions et demi de kilomètres carrés » et posé la question « comment sauver ce qui peut l’être encore pour éviter que dans quelques décennies, le littoral ne soit plus qu’un immense mur de béton et la mer un cocktail toxique » ? En 1988, le conseil de l’Europe lançait un cri d’alarme auprès des gouvernements et des collectivités territoriales concernés : sortir des intérêts immédiats et avoir le courage de faire des choix écologiques à long terme, tant qu’ils sont encore possibles.

Robert Lanquar, « Les enjeux du tourisme méditerranéen dans le cadre d’un développement durable », dans Le tourisme méditerranéen dans le développement durable, Actes de la conférence euro-méditerranéenne sur le tourisme dans le développement durable, Hyères-Les-Palmiers, septembre 1993, p. 13.

Le présent texte ne prétend pas répondre à ces questions par des affirmations ou par des négations absolues. Il se propose, simplement, d’attirer l’attention du lecteur sur la plus merveilleuse des dimensions de l’environnement touristique, à savoir le patrimoine socioculturel et histo-rique de l’un des plus prestigieux foyers civilisationnels du monde.

L’objectif de cette analyse est de mettre l’accent sur la dimension culturelle et touristique de l’environnement méditerranéen qu’on a tendance à oublier à l’heure où la globalisation tente d’imposer une culture standard aux peuples de la planète.

Dans le document LE TOURISME INTERNATIONAL VU DU SUD (Page 149-155)