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FORMER POUR ADAPTER OU « CONDITIONNER » POUR SERVIR 57 ?

Dans le document LE TOURISME INTERNATIONAL VU DU SUD (Page 140-146)

Changement de cap ou amélioration

DE LA FORMATION HÔTELIÈRE ET TOURISTIQUE :

5. FORMER POUR ADAPTER OU « CONDITIONNER » POUR SERVIR 57 ?

Chaque fois qu’il est question de bilan ou de simple évaluation de l’ins-truction, en général, et de la formation hôtelière et touristique, en parti-culier, les avis, même les plus avisés, divergent. Peu satisfaisante dans l’ensemble, la formation hôtelière et touristique a le mérite d’exister, malgré ses nombreuses contraintes et difficultés.

Aussi faut-il dire d’emblée que les rares pays du Sud qui ont réussi à s’affirmer dans ce domaine ont développé des systèmes de formation avec des conceptions « personnalisées ». Les observateurs avertis pensent que le secret de cette percée réside dans une conception cognitive, fécondée par un apport savamment dosé du savoir international, de la technique et de la pratique, le tout greffé sur un support socioculturel endogène, ouvert aux contributions et échanges intersectoriels.

5.1. FORMEROUTRANSFORMER: STANDARDISATION DELAFORMATIONOUADAPTATIONDUSAVOIR-FAIRE?

Contrairement à l’instruction scolaire, à l’enseignement universitaire ou à l’apprentissage professionnel dans les secteurs de l’agriculture, de l’industrie ou de la technologie, la formation touristique a la dure et noble tâche à la fois de préparer des hommes et des femmes à « être au service des autres, sans être leurs serviteurs58».

Plus que dans n’importe quel autre enseignement, celui du tourisme exige d’un apprenant, en plus du savoir-faire et du savoir tout court, d’ac-céder au savoir-être, universellement admis. Un savoir-être jaugé à l’aune du savoir-vivre, qui découle lui aussi d’un mode de vie propre aux pays occidentaux, fondateurs et dépositaires de ces manières d’être dites civili-sées. Ce qui consiste en quelque sorte à enfiler un comportement, comme on enfile ces tenues et uniformes qui vont avec et qui sont conçus par les spécialistes du tourisme et de l’hôtellerie. Il s’agit d’une accommodation vestimentaire et comportementale censée répondre aux besoins et aux exigences de la profession. Cette sollicitation peut paraître banale dans un

57. Ce sous-titre est extrait d’un article intitulé « Formation en tourisme et culture dans les pays en développement », dans Téoros international (Revue de recherche sur la formation en tourisme), vol. 1, no 1, 1993, p. 58-64.

58. José Seydoux, Accueil d’aujourd’hui et de demain, Denges, Delta et Spes, 1984.

pays développé, où le mode de vie, le développement et la démocratisa-tion des loisirs font que l’enfant est tôt imprégné d’une culture touristique.

Par contre, dans de nombreux pays en développement, le poids de la tradi-tion et du système tribal, la hiérarchie dans le clan ou dans la famille, le poids de l’informel ou de la « débrouille » et la vie au rythme des cycles biogéographiques font que toute « réhabilitation » du comportement n’est possible qu’au prix de traumatismes ou de frustrations, à moins d’une pédagogie miraculeuse. Bien entendu, et heureusement d’ailleurs, il existe des exceptions, et donc des aptitudes à pouvoir s’adapter. Il n’est pas rare d’ailleurs de voir dans les hôtels de renommée le personnel exhiber le costume traditionnel. Pour les uns, c’est un signe d’intégration à la culture locale ; pour d’autres, c’est plutôt une touche exotique du marketing touristique.

Qu’advient-il alors du comportement originel, fruit d’une somme d’éducations et d’expériences, d’idéologies et de croyances, d’aspirations et de sentiments ?

Comme partout dans le monde, il y aura toujours d’un côté les conservateurs orthodoxes pour défendre l’authenticité et, de l’autre, les

« évolutionnistes » novateurs pour acclamer l’émancipation !

Mais gardons-nous de tout jugement de valeur, de surcroît hâtif. Nous sommes obligé, une fois de plus, de rappeler que dans les pays du tiers-monde, les mutations sociales lentes et les changements sociétaux brusques sont le fait de plusieurs agents socioéconomiques : école, télévision, exode, urbanisation, etc. (voir plus haut). L’exemple de certains pays producteurs de pétrole, où le tourisme est à peine présent, et où les mutations sont rapides, est à cet égard éloquent. Qu’il nous soit permis, en tant qu’acteur et sujet du tiers-monde, de faire une remarque, au risque de surprendre ou de choquer : il n’y a, à vrai dire, que le sous-développement, pour ne pas dire la pauvreté, qui cohabite avec certaines traditions sans les altérer.

Mais est-ce là une raison valable pour se tenir à l’écart du progrès ? Encore faut-il pouvoir se mettre à l’abri d’une évolution universelle qui n’épargne aucun pays ni peuple, y compris les Inuits du pôle Nord, les Indiens d’Amazonie, les Pygmées d’Afrique et les Aborigènes d’Australie.

Il y a donc urgence à faire un choix : s’adapter avec conscience ou subir avec contrainte.

Dans l’esprit des jeunes, souvent mal informés et peu formés, tradi-tion rime avec sous-développement, quand ils ne font pas de ces deux termes, pourtant fort distincts, des synonymes. Avec l’effondrement des

idéologies et systèmes socialo-communistes, les valeurs occidentales ont davantage de chances de briller et d’éblouir le Sud. Le nouvel ordre économique mondial proclamé par les grandes puissances n’est qu’un prélude à un « ordre socioculturel mondial standardisé ». C’est pourquoi aujourd’hui, plus que par le passé, tout développement qui se veut rationnel, viable et surtout humain, « suppose que chaque individu et chaque peuple aient la possibilité de s’informer, d’apprendre et de communiquer son expérience59». Si l’on admet que « la liberté culturelle de l’individu n’est pas absolue60» et que celui-ci « peut participer à plusieurs cultures61», le tourisme constitue à cette fin un terrain idéal et une activité propice au brassage des cultures ; c’est aussi une tribune accessible et efficace pour une diffusion internationale de la culture des pays en développement.

Pour ce faire, le recours à une planification intégrée du tourisme et à une formation touristique adaptée est indispensable, et les deux actions sont indissociables.

Partant de ces considérations, la formation en tourisme est loin d’être un simple fait de maîtrise d’une technique, d’une langue62ou d’une accu-mulation de connaissances. Il ne fait pas de doute que c’est un domaine où l’aptitude morale, la capacité d’adaptation, l’esprit de créativité, le mobile de motivation et le sens des relations humaines jouent un rôle primordial.

Faut-il donc conclure que les candidats aux écoles d’hôtellerie ou de tourisme doivent avoir une prédisposition particulière pour accéder à la formation en question ? Plutôt que de parler de prédisposition, il vaudrait mieux privilégier les notions de motivation et d’adaptation en misant sur la compétence du formateur, l’aptitude de la jeunesse et la capacité de la formation à faire évoluer les individus dans le bon sens.

59. D’après une note de l’OMT, de sa sixième session tenue à Sofia, en septembre 1985. Pour plus de détails, voir le rapport intitulé Rôle de l’État dans la sauvegarde et la promotion de la culture comme facteur de développement touristique et dans la mise en valeur du patri-moine national de sites et de monuments à des fins touristiques.

60. OMT, Rôle de l’État dans la sauvegarde et la promotion de la culture comme facteur de développement touristique et dans la mise en valeur du patrimoine national de sites et de monuments à des fins touristiques, op. cit.

61. Ibid.

62. Il est à signaler que la langue d’enseignement en Afrique pose des problèmes aux responsa-bles de l’éducation et de la pédagogie. Dans la presque totalité des pays africains, la langue maternelle n’est pas celle de l’enseignement. L’exemple du Maghreb est à cet effet édifiant : les deux langues maternelles étant l’arabe dialectal ou le berbère, la langue officielle de l’enseignement est l’arabe classique. Le français arrive en troisième position et constitue, cependant, la langue de formation des principales matières scientifiques et techniques.

5.2. LAFORMATIONENTREMODERNITÉ ETIDENTITÉDANSLETIERS-MONDE:

OUCOMMENTSOUVRIRSANSSOUFFRIR

Le raisonnement qui précède semble vouloir dire que la formation hôte-lière et touristique a le devoir de former et la possibilité de « transformer » sans déstabiliser, pour aboutir à une adéquation par adhésion. Ces propos comportent un risque de malentendu ; tâchons de l’écarter : la transformation ne doit en aucun cas être perçue comme une opération d’acculturation. Il s’agit de préférence d’une adhésion consciente et d’une acquisition valorisante visant la réalisation d’une symbiose entre la « culture originelle », d’un côté, et la « culture savante » et le « savoir-faire », de l’autre. Le but recherché est sain : éviter que l’apport de la formation moderne n’occulte, d’une façon ou d’une autre, l’acquis culturel de la personne destinée à un emploi touristique. Car le vécu culturel (ou spirituel) peut constituer un subs-tratum rigide et imperméable sur lequel viennent se briser toute initiative dépourvue de psychologie adéquate et tout enseignement démuni de péda-gogie appropriée. Ce qui ne manquera pas de donner lieu à des blocages.

En fait, il serait vain, à notre avis, de chercher à discuter des rela-tions réelles ou possibles entre la culture et la formation en tourisme sans les situer dans leur contexte social, économique et politique au niveau international. Passant déjà pour être compliquées et complexes en pays développés, ces relations nous invitent à une approche prudente lorsqu’il est question des pays en développement.

Délibérément, nous avons omis dans ce volet de parler des facteurs favorables au progrès et au développement du tourisme pour ne mettre l’accent que sur les contraintes à prendre en compte dans l’espoir d’une réorganisation du secteur touristique et, partant, de la formation.

En effet, la création des premiers centres, écoles hôtelières et instituts de tourisme est à placer dans le contexte économique général de chaque pays. De plus, le tourisme, phénomène nouveau dans ces pays, a été soumis à rude épreuve : manque d’expérience, actions hâtives et solutions circons-tancielles imposées par différentes crises locales et internationales. Le recours à l’importation du personnel et à des modèles étrangers d’un côté, et de l’autre, à la formation sur le tas des nationaux et à des actions de « brico-lage », autorisées et encouragées par l’absence d’une réglementation étoffée de la profession touristique, n’ont pas manqué de susciter des controverses : sentiment de ségrégation et de dévalorisation sociale du métier aux yeux des jeunes soucieux avant tout du changement de leur statut social.

L’insuffisance de formateurs spécialisés et l’absence de branches universitaires d’enseignement et de recherche sur le tourisme avaient privé la formation naissante de soutiens et de moyens d’échange indispensables à sa vulgarisation, à sa valorisation et donc à son épanouissement (revues et manuels spécialisés, thèses, mémoires, etc.).

Par ailleurs, les pays qui ont surmonté difficultés et problèmes ont sûrement bénéficié de circonstances favorables :

• la proximité des pays émetteurs a engendré des émissions touris-tiques et des échanges commerciaux qui revêtent un caractère privilégié et stimulant ;

• le libéralisme économique a facilité la circulation des biens, des personnes et surtout des idées, vers les pays dits modérés ;

• l’existence d’une élite, formée au temps de la colonisation et rodée aux pratiques de la gestion de l’économie moderne, a facilité et favorisé l’introduction et le développement du tourisme ;

• la stabilité politique de quelques rares pays (Maroc, Tunisie, Sénégal...) a un impact considérable sur l’investissement, l’épargne, la sécurité et, par voie de conséquence, sur la formation.

Au terme de ce deuxième chapitre et une fois de plus, notre réflexion nous amène à rejeter tout « identitisme » qui se réclame d’une quelconque pureté ainsi que toute mondialisation qui ne fait pas d’exception. Faut-il alors rappeler que « la culture constitue une dimension fondamentale du processus de développement et contribue à renforcer l’indépendance, la souveraineté et l’identité des nations63» ? C’est aussi dans cette perspec-tive que la promotion, la sensibilisation et la formation en tourisme doivent mettre l’accent sur les deux aspects fondamentaux d’un potentiel touristique, la nature et la culture. Le tourisme doit insister suffisamment sur la qualité des rapports humains en faisant de la dimension humaine et de la valeur sociale de sa mission les fondements de son développement durable.

Si l’on admet que la science est neutre dans son essence – abstraction faite de l’usage qu’on en fait –, la problématique actuelle de notre planète repose sur une trilogie : développement, environnement, culture. Cette dernière se confond souvent avec l’identité d’une région, d’une minorité ou d’un peuple, qu’il soit riche ou pauvre. Mais il est presque admis que

«la tradition est toujours celle du tiers-monde et la modernité celle de

63. Allal Sinaceur, « L’identité comme phénomène socioculturel », dans Économie et traditions, Actes du colloque « Économie et culture », Casablanca, Wallada, 1992, p. 77-90.

l’Occident64». Le Japon est peut-être le seul pays à affirmer « une voie qu’il revendique comme proprement sienne et qui dissocie, dans le mouvement de la modernité, ce qu’il récuse comme occidentalisation et ce qu’il prône comme modernisation65».

Comprenons par là que la modernisation est une réussite qui coha-bite avec la tradition ou vice versa ; une hypothèse qui demande à être vérifiée… avec le temps. En attendant, le fossé ne cesse de s’élargir entre les pays développés et le reste du monde. Et plus l’écart se creuse, plus les appétences de brûler les étapes se font pressantes dans le Sud. Car « la pensée occidentale a, depuis la Renaissance, fait de l’évolution accélérée la loi et souvent l’idéal de l’histoire66». Or, aux performances inces-samment améliorées du Nord s’opposent les tâtonnements indéfiniment provisoires du Sud; et cette situation va en s’aggravant, malgré l’existence de quelques heureuses exceptions.

En abordant dans le chapitre qui suit la dimension du patrimoine social et culturel de la Méditerranée, nous pourrons saisir tout l’intérêt qu’il y a à ne pas se désolidariser de la marche mondiale vers le progrès et, en même temps, à ne pas piétiner, par mégarde, nos précieux acquis du passé.

64. Mouloud Mammeri, « Aventures et avatars de la modernité en pays du tiers-monde », dans Tassadit Yacine, Traditions et modernité dans les sociétés berbères, Paris, Awal, 1989, p. 8-23.

65. Allal Sinaceur, « L’identité comme phénomène socioculturel », op. cit.

66. Ibid.

3

Chapitre

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