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LA LIBERATION DES PROPORTIONS

A Corinthe, fait remarquer Guadet, la hauteur de la colonne est de quatre diamètres, à Cori, elle est de huit diamètres et demi. Pour les colonnes ioniques, la hauteur peut passer de 7, 797 fois le diamètre à 9,778 fois, pour les colonnes corinthiennes de 8,957 fois à 10,952 fois.

Par contre les différences de portée des linteaux exprimées en mètres varient très peu. La conclusion s'impose : "En réalité, s'il y a quelque chose d'à peu près constant dans l'étude des ordres grecs, ce n'est pas un modèle de proportion, c'est la dimension réelle que permet la construction" (31).

Les colonnades grecques, elles-mêmes, démontrent donc que l'archi­ tecture n'est pas un art chiffré et qu'il convient alors de s'af­ franchir de la superstition des formules chiffrées qu'ont répan­ dues les écrivains de la renaissance après avoir rencontré le

néfaste Vitruve" (32) qui ne devait pas être architecte, qui était en tout cas, selon Guadet, un médiocre et un rhéteur. Une situation aggravée par un Louis XIV vieilli qui voulut devenir

e père de "l'Eglise artistique".

Il est sans doute temps, au début du XXème siècle d'en finir avec les planches modulaires des recueils d'ordres répétant pour

la nième fois le Vignole.

ailleurs la problématique de la proportion a déjà été l'objet 6 révisions importantes sinon radicales. Etienne-Louis Boullée a exclue des fondements de l'architecture, la régularité et a symétrie suffisant à définir les principes du grand art. arc-Antoine Laugier, par contre, tient les proportions pour

s;s. c h o ses essentielles, mais, prenant ses distances avec la

I y 1st_ique classique il réduit la problématique de la proportion a récurrence des nombres, dans une logique arithmétique dëbar- ssee de toute métaphysique. Il faut noter qu'avec le prédicateur

du Roi la proportion s'installe dans le pur visuel. La question de la "sensibilité" des rapports proportionnels devient plus importante que la musique des sphères (33). Durand est l'héritier de ces premières tailles opérées dans le bouquet des fleurs de la rhétorique classique. La section du précis consacrée aux "For­ mes et Proportions" après diverses considérations techniques et pratiques se termine par cette phrase : "La disposition sera donc la seule chose qui, dans le reste de cet ouvrage, doive nous occuper, quand même, nous le répétons, l'architecture ferait du soin de plaire son but principal" (34). Il faut cependant reconnaître que la seconde partie du premier volume reviendra sur la proportion des salles. Et que celle-ci sera établie "d'après l'examen des divers édifices antiques". Chez Durand aussi, il arrive que la formule soit plus radicale que la théorie. Tout cela reste cependant profondément marqué par le souci de ne pas trop s'écarter des conventions communément admises qu'il suffirait de rationaliser.

Il faut cependant faire remarquer que pour Viollet-le-Duc cette problématique mérite un important travail théorique. Elle doit prendre sa place dans le système qu'il construit. L'article "pro­ portion" du Dictionnaire distinguera d'abord proportions et dimen­ sions puis mettra en cause l'immuabilité du canon classique et, enfin, établira, pour des raisons oü se retrouvent la géomé­ trie et les lois de la stabilité, un système de tracés fondé sur le triangle, la tradition égyptienne venant opportunément au secours du rationalisme. Il faut noter que, malgré une concep­ tion dominée par la rationalité constructive, la problématique de la proportion glisse avec Viollet-le-Duc, insensiblement, de la récurrence des nombres vers la récurrence des formes. Les tracés proposés par Viollet-le-Duc intéressent cependant un systè­ me de points et non des surfaces définies, visuellement identifia­ bles (35).

Sur quoi Guadet va-t-il fonder la théorie des proportions après la liquidation de la tradition modulaire? Il écrit : "Laissons là ces chimères ou ces superstitions. Il y a dans l'étude des proportions une grande part de traditions - d'habitude si vous aimez mieux, mais il y a plus et mieux, il y a toutes les nuances de l'art, toutes les recherches de caractère, toute l'étude en un mot, l'étude dont vous êtes maître, l'étude où vous êtes li­ bres, à condition de savoir que, en art comme en toute chose, si la liberté est le régime le plus vivifiant, il est aussi celui qui impose le plus de devoirs" (36).

Il n'y a donc plus, à la place d'une tradition que l'on évoque encore comme une vieille habitude, que la liberté de l'artiste, tempérée, il est vrai, par le rappel au sens du devoir. Dans un discours qui tourne un peu en rond, Guadet précise : "Un même motif de composition donnera lieu à des expressions absolument différentes suivant la proportion que lui aura donné la volonté de l'architecte. Ou en d'autres termes, les proportions que l'ar­ chitecte étudie librement sont entre les mains de cet artiste le moyen de donner à ces oeuvres le' caractère d'art qu'il pour­ suit. Ce qui revient à démontrer une fois de plus : Il faut que l'architecte soit maître de ses proportions; sans cette liberté, il n'y a pas d'architecture. Vous voyez combien nous sommes loin des formules imposées" (37).

La notion de proportion est donc liée ici à la notion de carac­ tère, notion devant laquelle il revendique la liberté du proje­ teur. On notera que dans cette acception la proportion relève de l'étude. Il faudrait peut être préciser que dans la termino­ logie de Guadet, étude et proportion sont confondues et définis­ sent le second moment de la démarche de l'architecture, le premier étant la disposition ou composition et le dernier la construction, c'est-à-dire, d'une part le contrôle de l'étude par la science

et d'autre part l'exécution . Le caractère relève tout à

la fois du programme et du climat, du lieu et sans doute du temps, de l'époque. Explicitement il donne du caractère cette définition très peu explicite : "identité entre l'impression architecturale et l'impression morale du programme" (38).

Sur l'influence des conditions sociales il écrit quelques lignes rapides, peu développées, mais dont l'influence se fait sentir dans les descriptions des édifices les plus contemporains où il se réfère à une sorte de savoir-vivre, de sens des convenances sociales que d'autres pourraient nommer l'idéologie dominante : "..., le grand architecte d'une époque, c'est son état social (..). Au-dessus des oeuvres, au-dessus des programmes spéciaux, il y a le programme des programmes, c'est la civilisation même de chaque siècle, la foi ou l'incrédulité, l'aristocratie ou la démocratie, la sévérité ou le relâchement des moeurs" (39).

C'est dire que les proportions devant lesquelles l'architecte est libre, ne relèvent pas uniquement de son bon vouloir, mais procèdent d'une alchimie pas très compréhensible dans laquelle il deviendrait l'interprète de facteurs particulièrement ténus : le caractère moral du programme. Le sens des proportions pourrait se cultiver grâce au dessin : "Seule l'étude du dessin vous rendra sensibles aux proportions, à ces nuances extrêmement délicates

qui défient le compas et que l'oeil cependant perçoit; elle vous donnera la fécondité, l'imagination, la richesse artistique" (40). Sans doute faut-il dessiner outre les moulages d'antique ces exemples d'architecture que la tradition a sanctifiés.

Guadet écrit aussi mêlant logique et tradition : "... il y a des proportions qui sont des déductions logiques et qui s'impo­ sent corrane telles au raisonnement - toujours avec la latitude très large que réclament les arts - il y a aussi des proportions, très acceptées, imposées même par le goût général, et qui ne sont cependant qu'une habitude des yeux ou de l'esprit, et dont la permanence est en quelque sorte une hérédité transmise de génération en génération" (41).

Ce qu'il dit des proportions des portiques relève de ce mélange de souvenirs vitruviens et de considérations techniques, il écrit d'abord : "Dans les colonnades, et en général dans les construc­ tions couvertes en plate-bandes, plus la dimension effective est grande, et plus la proportion est serrée; plus la dimension est petite, plus l'ordonnance est lâche", puis : "la proportion ira toujours en se resserrant de plus en plus à mesure que le nombre augmente. Deux colonnes exigent une proportion très lâche, huit ou dix, une proportion serrée", et enfin : "Dans cette exi­ gence des yeux, il y a beaucoup de tradition, il y a aussi un raisonnement : plus vous offrez de nombreux passages à la circula­ tion, plus vous pouvez resserrer chacun d'eux; tandis que si vous n'en offrez qu'un, il faut qu'il soit aussi large que possi­ ble", il ajoute même : "Quant aux nuances de proportions que vous pouvez chercher pour affirmer le caractère de l'édifice, elles sont infinies, et relèvent du goût personnel" (42).

Le goût personnel ne suffit cependant pas pour déterminer les proportions des salles qui, tout comme les fenêtres faites pour éclairer, devraient être proportionnées relativement à leur usage. Leurs proportions s'imposeraient pour ainsi dire lors du projet : "Il ne peut donc pas y avoir de proportion intrinsèques des diver­ ses pièces, il résulte au contraire ici, des nécessités du plan et de la hauteur d'étage, une proportion qui s'impose, que vous devez accepter, et dont votre talent tirera le meilleur parti possible" (43).

Guadet liquide donc les traditions modulaires mais il ne leur substitue rien. Avec les pages du Vignole, on jette la problémati­ que de la proportion. Il ne reste plus que des considérations un peu oiseuses sur le caractère, une affirmation de la liberté de l'artiste, et bien entendu les exemples et leur infinie varié­ té, pour y accéder le croquis d'architecture, pour les choisir

comme pour les interpréter : le goût personnel de l'artiste. N'est-il pas étonnant de constater que l'extrême rigueur que le professeur de théorie a investie dans la compilation et la comparaison des mesures des éléments de l'architecture grecque, rassemblées de surcroît dans des tableaux savamment agencés, se conclut dans le flou le plus complet, un flou que l'on pourrait qualifier d'artistique.