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PARTIE III. LA CRITIQUE DE L’APPROCHE QUÉBECOISE:

C. La justice:

Il est permis aussi de s’interroger sur la portée restreinte du principe de justice dans l’application de la loi québécoise. Le terme justice est évidemment pris ici au sens éthique du terme, soit celui de justice distributive qui vise l’équité par opposition à la justice pénale ou compensatoire144. Justice dans la distribution des ressources collectives, justice dans l’accès aux services et justice aussi, pour les moins bien nantis de la société qui peuvent y avoir recours145. Le financement des coûts de trois cycles de fertilité nous paraît équitable en ce qui

                                                                                                               

144  Cook,  R.J.,  Dickens  B.M.  et  Fathalla,  M.F.  Santé  de  la  reproduction  et  droits  humains;  

intégrer  la  médecine,  l’éthique  et  le  droit,  Oxford  University  Press,  Masson  Paris,  2005  à   la  page  77.  

145  Ezekiel  J.  Emanuel,  Justice  and  Managed  Care  :  Four  Principes  for  the  Just  Allocation  

a trait à l’accès aux services d’abord, puisque ceux ci sont offerts à tous, même aux homosexuels146 et aux personnes seules. D’un point de vue socio- économique ensuite, en ce que les services sont offerts, sans que ne soient considérés le revenu et le statut socio-économique des individus désireux d’y avoir recours. La loi ne fait donc aucune discrimination en ce sens. Le gouvernement a toutefois choisi de limiter le financement des techniques de reproduction à trois essais. Qu’arrive-t-il si, après avoir épuisé ces trois essais, et après avoir donné espoir à ces utilisateurs, ceux-ci sont néanmoins incapables de concevoir un enfant? La loi est muette à ce sujet. On peut donc penser que ces derniers devront soit financer eux-mêmes la poursuite de leurs traitements soit se résigner à l’échec sans autre ressources ni réconfort pour les aider, et surtout, sans solution de rechange.

S’il est clair dans notre esprit que l’État ne peut financer sans compter tous les essais de fertilité, nous nous interrogeons toutefois sur ce qui justifie que dans tous les cas, on fixe la limite à trois cycles sans plus d’explication ou de discernement. N’aurait-il pas été plus à propos que le financement des techniques de procréation assistée soit au moins décidé et offert sur une base intuitu personae, c’est à dire en fonction des causes réelles d’infertilité chez les personnes y ayant recours et leurs chances de succès? Pourquoi, par exemple, financer trois cycles chez une femme qui n’est pas pathologiquement infertile mais qui n’a tout simplement pas de géniteur, au lieu d’assister d’autres                                                                                                                

146   A   noter   toutefois   que   les   couples   homosexuels   hommes   sont   toutefois   de   facto  

personnes qui ne peuvent par ailleurs se passer de ces techniques compte tenu de leur situation médicale? En ce sens, la justice prise dans son sens distributif, nous semble bien arbitraire et fondée plus sur des considérations économiques que sur une volonté réelle d’aider les personnes qui ont besoin de ces techniques pour accomplir leur objectif de devenir parents. Ceci se reflète donc naturellement sur l’équité réelle du processus.

Si la loi semble malgré tout juste en ce qu’elle ne discrimine pas sur qui peut avoir accès aux techniques de reproduction que le gouvernement finance, la question reste entière en ce qui a trait à la répartition équitable des ressources pour l’ensemble de la société.

Dans une société comme le Québec où le système de santé gruge la plus grande partie du budget de la province et où la population peine à recevoir des soins de première ligne, on peut sérieusement s’interroger sur la question de savoir si le financement des techniques de procréation assistée pour tous, n’est pas un luxe que notre société n’est pas capable de s’offrir. Lorsque l’on connait le manque criant de ressources dévolues aux ainés et le sous financement chroniques de nos établissements de santé, on constate que la justice en l’instance n’est vue que comme ne servant les intérêts individuels d’un groupe restreint de la population et non pas ceux généraux de la société. La seule exception à notre avis, est relative bien sur, à la volonté politique d’augmentation du taux de natalité qui bénéficie à la société dans son ensemble. Il est permis

donc de s’interroger sur la question. N’eût-il pas été plus raisonnable, en matière d’allocations de ressources rares, de limiter l’accès, comme le fait le droit français aux cas pathologiques, c’est à dire aux cas d’infertilité médicale prouvée. N’est-il pas un peu choquant en effet, dans la situation économique difficile que vit notre société, que l’État subventionne ainsi dans certains cas et à grands frais, la médecine du désir en dehors de toute indication médicale.

Nous n’avons trouvé aucune étude ou analyse sérieuse nous permettant d’évaluer sur une base objective le coût réel du financement des techniques de reproduction au Québec147. Toutefois, certains évoquent que dans le libre marché, une simple fertilisation peut coûter jusqu’à 20,000$ et qu’aux États-Unis, une fertilisation in vitro en 1995 coûtait en moyenne 39,000$ par essai. Il est clair toutefois que le budget de la santé au Québec étant un budget global, les ressources humaines, matérielles et financières affectées aux technologies de reproduction compromettent d’autres initiatives et recherches en matière de prévention, de dépistage, de diagnostic et de traitement thérapeutique.148

Cette vision de la justice ne trouve certainement pas écho dans la loi québécoise, et certains s’insurgent aussi, d’une manière plus philosophique et morale, contre son effet dans une perspective encore plus large, dans une époque en pleine mondialisation. En termes de santé publique, notre société ne

                                                                                                               

147     Bouzayen   Renda   et   Eggertson,   Laura,   La   fécondation   in   vitro…quand   une   question  

privée  devient  publique,  CMAJ,  Septembre  1,  2009,  181.  

devrait-elle pas s’interroger en effet, « sur le double standard face à la vie humaine et sur les priorités d’intervention qui s’imposent pour le bien de la société 149».

Alors que notre système de santé finance les coûts des traitements pour plusieurs personnes désireuses d’avoir un enfant à eux, plusieurs millions d’enfants dans le monde meurent chaque année, sont orphelins, négligés où vivent dans des conditions inhumaines.150 Même au Canada, il est effarant de constater qu’en 2007, selon le Rapport 2009 sur la pauvreté des enfants et des familles au Canada, environ 637,000 enfants vivaient sous le seuil de la pauvreté au pays et le Québec comptait à lui seul, un taux de pauvreté infantile de l’ordre de 14.9%. La pauvreté infantile se maintient à environ 12% depuis des années dans notre pays, sans espoir ou perspective de changement à court ou moyen terme. 151 Dans ce contexte spécifique, on doit se demander s’il est juste et équitable de financer à grand frais la procréation assistée, qui reste malgré tout un luxe, alors que notre société peine à s’occuper de ses propres enfants.

Ceci dit, cette vision élargie du concept de justice nous amène à constater encore davantage, la portée restreinte, voire étroite de la loi québécoise dans ses effets.

                                                                                                               

149  Vandelac,  Louise,  Supra  note  67  à  la  page  78.   150  Vandelac,  Louise,  Supra  note  67  à  la  page  78.  

151http://www.campaign2000.ca/reportCards/national/2009FrenchNationalReportCard.

pdf   ;     http://www.ledevoir.com/societe/actualites-­‐en-­‐societe/156509/le-­‐canada-­‐ compte-­‐800-­‐000-­‐enfants-­‐pauvres  

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