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4. LE COLLECTIONNEUR : UN CHEMINEMENT

4.1 La formation d’un but et la collecte d’information

Le collectionneur de pornographie juvénile passe par une étape préliminaire qui le mènera vers les étapes ultérieures d’enrichissement de sa collection. Au lieu de voir les types d’amateurs comme étant figés dans le temps, Taylor et Quayle (2003) ont tenté d’appliquer un modèle développemental en tenant compte de la progression des individus vers la consommation de pornographie juvénile. Ainsi, les auteurs ont voulu établir un modus operandi typique de ce type d’amateur. Ce dernier passerait par un certain nombre d’étapes d’engagement par rapport à Internet. Le point de départ du cheminement serait la pornographie légale. En entrevue, des personnes arrêtées pour possession de pornographie juvénile affirment que le premier contact avec Internet a souvent été l’accès à des sites pornographiques pour adultes, et s’est ensuite poursuivi avec la recherche de pornographie juvénile (Taylor, 2001). Cela semble avoir une résonance dans les interrogatoires analysés par Roy (2004), qui relate deux cas semblables : « Pour Jean et Mario, la consommation de pornographie juvénile a débuté par la consommation de pornographie régulière. » Puis un autre qui affirme : « C’est sûr que la pornographie en général m’a toujours intéressé. Avec le temps, les photos de jeunes ont commencé à m’exciter beaucoup plus » (Roy, 2004).

La pornographie adulte constituerait donc une porte d’entrée vers les contenus de pornographie juvénile. La plupart des personnes qui consomment de la pornographie ne vont pas nécessairement développer une compulsion à l’utilisation d’Internet ni un intérêt pour la pornographie juvénile. Cependant, pour d’autres, la consommation de pornographie peut s’avérer problématique. Ainsi, le temps passé à mieux connaître ce milieu entraînera inévitablement l’exposition à d’autres types d’offres. Dans une étude sur l’utilisation des moteurs de recherche pour trouver des contenus pédopornographiques, Corriveau et Fortin (2011) ont montré qu’il était difficile de surfer sur des sites de redirection et des sites tremplins (des sites qui mènent à d’autres sites de liens) sans jamais être exposé à des contenus. Naviguer efficacement dans ces labyrinthes nécessite des apprentissages. De plus, au cours de cette exploration, l’offre pour aller vers des images de sujets plus jeunes arrivera indubitablement. L’individu verra que l’offre est bel et bien présente et qu’elle ne paraît pas plus difficile à obtenir que la pornographie légale. En effet, il semble que certains sites utilisent l’attrait des contenus barely legal, ou encore mélangent des images d’adolescentes avec un contenu principalement adulte. Cette tendance à proposer des images avec des adolescentes ou des sujets présentés comme tels a été étudiée en analysant des pochettes de DVD offertes sur le marché. Plus de 20 % des pochettes contenaient des termes évoquant la jeunesse (youth sexualized language), des images évoquant la jeunesse (youth sexualized imagery) ou les deux (Jensen, 2010).

Comme nous l’avons vu précédemment, la première étape à franchir est d’avoir un intérêt sexuel pour des mineurs afin d’ajouter à sa collection des images mettant en scène des enfants. Il va sans dire que les sujets de notre échantillon ont franchi cette étape puisqu’ils ont tous été reconnus coupables d’infractions reliées à la pornographie juvénile. Toutefois, l’analyse temporelle de l’évolution des collections nous montre que, de manière générale, les activités de collecte de matériel de pornographie légale continuent parallèlement aux activités reliées à la pornographie juvénile. Bien qu’elle ait pu être observée précédemment, la pornographie légale est bel et bien présente dans les collections, comme en fait foi le tableau 5, et ce, peu importe l’implication de l’individu dans des activités de collecte de matériel de pornographie juvénile. Le

sujets contenait au maximum 10 % de pornographie adulte.

Tableau 5. Pourcentage de contenu adulte dans les contenus analysés

Pourcentage de contenu adulte dans la

collection N % N

0-10 % 23 57,5 %

10,1-25 % 7 17,5 %

25,1-55 % 10 25,0 %

On constate aussi que la consommation de pornographie légale continue au fil du temps. Le tableau 7 rend compte de l’évolution de la collection de mois en mois. Un moins (-) représente un mois au cours duquel seulement de la pornographie juvénile a été téléchargée, alors qu’un plus (+) indique qu’il y a eu l’ajout d’au moins 1 photo sur 10 qui était une image de pornographie légale au cours de ce mois. Les données sont triées par degré d’exclusivité par rapport à la pornographie juvénile (du plus exclusif à la pornographie juvénile jusqu’au téléchargement mensuel de pornographie adulte et juvénile). Un carré vide signifie qu’il n’y a pas eu d’activité au cours du mois.

Figure 8 : Pourcentage des mois exclusifs (mois au cours desquels seulement des images de pornographie juvénile ont été téléchargées) Mois Nu m ér o d e ca s

Plusieurs éléments peuvent être soulevés en observant la figure 6 ci-dessus. D’abord, il nous apprend qu’il n’existe pas de point de basculement clair pour tous les sujets, et ce, tout au long du processus. On aurait pu émettre l’hypothèse que dès que certains individus seraient en mesure de télécharger des images d’enfants grâce aux sites et aux outils récemment découverts, ils cesseraient de s’intéresser aux images adultes. Or, ce n’est pas ce que les données nous révèlent. Seul le sujet no 87 a téléchargé en exclusivité de la pornographie juvénile pendant une période de neuf mois.

Ensuite, nous trouvons à l’autre extrême trois cas (81, 83 et 111) qui se caractérisent par une situation très rare où au cours d’un mois, il y avait de la pornographie juvénile sans pornographie adulte (moins de 10 %). Entre ces deux extrêmes, il y a une série de personnes arrêtées qui oscillait, selon les mois, entre des images impliquant des mineurs et des adultes. Nous pouvons donc affirmer que, pour la quasi-totalité des personnes arrêtées, les images illégales et légales se côtoyaient sans qu’il y ait de point de rupture. Il n’est pas possible de voir de fenêtres de temps où se dessine très clairement leur préférence entre les deux pôles. Nous pouvons conclure que pour les sujets de la présente étude, la consommation de pornographie juvénile s’accompagne presque invariablement d’images adultes. Soulignons qu’aucun sujet de notre échantillon n’a téléchargé que des images d’adultes pendant un mois.

Comme plusieurs auteurs l’ont suggéré, les consommateurs de pornographie juvénile ont probablement commencé leur incursion dans ce milieu en explorant d’abord celui de la pornographie adulte. Bien que ce matériel ne soit pas la principale composante de leur collection, il est manifeste que les consommateurs ne cessent pas de télécharger des images d’adultes. Nos résultats sont donc similaires à ceux de plusieurs chercheurs ayant étudié les préférences sexuelles : des préférences sexuelles déviantes n’empêchent pas d’avoir des préférences sexuelles à l’égard des adultes (voir entre autres Michaud et Proulx, 2009).

l’offre de la sexualité adulte sur Internet. Cette offre, en plus de se présenter en premier lieu, continue de l’accompagner lors de son exploration des outils et des sites de pornographie juvénile. C’est dans ce contexte que le collectionneur a pris connaissance de l’offre. Il a ensuite formé ses buts et est entré, peut-être inconsciemment, dans l’étape de la collecte.