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6. LE COLLECTIONNEUR ET SA COLLECTION : VARIATIONS ET

6.3 Interprétation des résultats

Un des objectifs de la thèse était d’explorer une nouvelle méthode d’évaluation des préférences sexuelles en utilisant les images de la collection comme outil de mesure. Ainsi, à la lumière des résultats exposés dans ce chapitre, nous pourrions formuler trois hypothèses quant à ce que représente la collection de pornographie juvénile et ses variations dans le contexte évoqué précédemment.

La première hypothèse avancée afin d’expliquer ces résultats est que la collection d’images de pornographie juvénile reflète bel et bien les préférences sexuelles des consommateurs. Les images permettraient de suivre l’évolution pure de la préférence. Les activités en ligne des consommateurs s’orienteraient donc autour de leur groupe préférentiel. Toutefois, ces individus seraient quand même en mode exploratoire. Ce mode pousserait le consommateur à vérifier si le contenu divergent lui plaît et s’il veut continuer dans cette voie, ou encore s’il aime mieux revenir à ses préférences initiales. Les cas types vont dans ce sens. Autrement dit, si l’adage veut qu’on ne puisse désirer ce qu’on ne connaît pas, l’exploration permettrait de préciser ses affinités avec les contenus offerts. Pour certains sujets de notre échantillon, nous avons observé des mois où il y a eu exploration puis retour vers le groupe d’âge préférentiel.

Une deuxième hypothèse serait qu’il pourrait s’agir du phénomène d’habituation au contenu. Des auteurs ont en effet suggéré que l’habituation à des contenus pornographiques entraînerait l’ennui (Reifler, Howard, Lipton, Liptzin, et Widmann, 1971). Cet état de lassitude serait le moteur de la quête vers d’autres contenus. Ainsi, les consommateurs, en ayant accès à ce matériel, pourraient vouloir explorer d’autres catégories d’âge et types d’actes sexuels afin de maintenir un niveau élevé d’excitation. Ces étapes seraient ponctuées d’essais et erreurs par rapport à ce qui convient ou non dans le cadre des balises de leurs préférences sexuelles.

Une troisième hypothèse a trait à la disponibilité des contenus. La collection pourrait n’être, en fait, que le reflet de ce qui est disponible. Les contenus offerts limiteraient ce que le consommateur désire vraiment obtenir et le rythme auquel il peut se le procurer. Par exemple, un individu amateur de sexualité très violente (10 sur notre échelle) pourrait constater que l’offre dans ce domaine n’est tout simplement pas assez importante. Il pourrait aussi s’agir d’un manque d’expertise ou de contacts dans le milieu pour dénicher ce qu’il désire vraiment. À titre indicatif, notre échantillon contenait 0,8 % d’images (500 images) où étaient représentées des scènes de bestialité ou de sadisme envers des enfants. C’est donc dire que cet individu pourrait trouver 100 images moins violentes pour en trouver une seule correspondant à sa préférence très violente. Nous conclurions donc à tort qu’il préfère les images moins violentes. Soulignons aussi que, dans tout le matériel de pornographie juvénile, il y a des contenus plus courants (mainstream), qui font sans doute partie des images « de base » que tout consommateur finit par posséder à une étape ou l’autre. Elles font tout simplement partie d’un lot d’images plus facilement accessible. Dès lors, les compétences et les relations du consommateur décideraient de la suite des événements : un consommateur efficace ciblant davantage les lieux virtuels à explorer s’approcherait davantage de ses préférences, alors qu’un autre devrait se contenter des images plus facilement accessibles. L’accessibilité de certains contenus influencerait donc notre évaluation de la préférence sexuelle.

Une sous-hypothèse découlant de la précédente pourrait aussi être avancée. Ainsi, on peut se demander si la quantité de contenus sur le disque dur d’un collectionneur donné n’est pas le résultat de l’interaction entre l’accessibilité et les compétences techniques et sociales. Autrement

d’outils techniques et de plus de connaissances, combinés à des contacts dans le milieu clandestin des collectionneurs, pourrait pallier cette rareté. On peut donc présumer que c’est dans l’interaction de ces éléments que les individus parviennent à atteindre leurs objectifs.

Finalement, en examinant les contenus au fil du temps, nous constatons que le parcours du consommateur est parsemé d’essais et erreurs, d’exploration et d’expériences. Cette grande tendance à l’exploration chez ces individus pourrait être une caractéristique qui les distingue des agresseurs sexuels hors ligne. En effet, à la lumière d’une méta-analyse, Babchishin et coll. (2011) arrivaient à la conclusion que les délinquants en ligne avaient des préférences sexuelles beaucoup plus déviantes que les délinquants hors ligne. Cette question mériterait sans doute d’être clarifiée en comparant les deux groupes.

Dans la présente étude, nous avons décrit les différentes façons d’évaluer les préférences sexuelles déviantes. En gardant à l’idée les effets possibles des compétences techniques et de la sociabilité virtuelle sur les images obtenues, l’utilisation des collections d’images amassées par des consommateurs de pornographie juvénile nous apparaît comme une autre méthode d’évaluation intéressante. Premièrement, elle n’est pas influencée ou biaisée par les sujets à l’étude qui pourraient se présenter sous un meilleur jour dans les entrevues cliniques ou les questionnaires. Deuxièmement, cette méthode n’est pas tributaire de mesures physiologiques pouvant être manipulées par le participant. Finalement, les problèmes entourant la création d’un univers et de personnages virtuels ne se posent pas. Les individus de notre recherche ont délibérément choisi de conserver ces images sans avoir en tête le jugement d’autrui. Bien au contraire, ils ont probablement exploré des milieux où se trouvent des images de diverses natures et ont été exposés aux valeurs propédophiles dans ces lieux d’échange (voir Corriveau et Fortin, 2011; Fortin, 2013; Fortin et Corriveau, 2013; Holt, Blevins, et Burkert, 2010). Ils ont donc procédé à la création d’une collection reflétant ce qu’ils trouvent attrayant. La méthode d’échantillonnage et la classification de notre étude ont aussi une portée pragmatique. La création de graphiques à l’aide de nos cas types pourrait être un outil fort utile dans l’évaluation des préférences sexuelles. Les graphiques évolutifs des collections pourraient servir dans l’évaluation

clinique (Glasgow, 2010). Il demeure évident, comme l’ont souligné Freund et Blanchard (1989) à propos des rapports phallométriques, que les résultats de ces tests doivent demeurer des indicateurs et il est essentiel qu’ils soient analysés par des professionnels. À ce titre, leur utilisation exige qu’on y applique les mêmes précautions que pour les tests polygraphiques.

Nous observons tout de même certaines limites à l’utilisation de cette méthode. Que mesure-t-on vraiment. D’abord, les disques durs ne couvrent qu’une période très précise dans la « carrière » du collectionneur. Celle-ci pourrait ne pas être représentative de l’ensemble de son cheminement. Un scénario qui limiterait grandement la capacité d’analyse serait celui-ci : une personne achète son ordinateur le jour 1, elle installe des logiciels, transfère ses images sur son nouvel ordinateur et est arrêtée le jour 2. Nous n’aurions qu’un seul jour à analyser dans sa carrière. Ensuite, l’importante quantité d’images chez certains consommateurs demande beaucoup de temps pour les catégoriser. Dans la présente étude, nous avons fait le choix d’exclure les supports externes comme les disquettes, les CD-ROM et les clés USB. Ce choix, bien que déchirant, s’est avéré inévitable : nous n’aurions pu analyser la somme astronomique de contenus, faute de ressources. Aussi, cette méthode nécessite la collaboration des autorités policières tant pour l’utilisation des banques de données sur les images que pour l’utilisation des locaux afin de se conformer à la loi. Finalement, cette méthode requiert beaucoup de temps pour classifier les images ce qui pourrait être un obstacle majeur à son implémentation.