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- La désétatisation de la puissance publique

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38. A la fin du XIXème siècle, face à l’avènement de la question sociale, l’intervention de la puissance publique est sollicitée. L’emprise de la pensée libérale, caractérisée par l’hostilité à l’égard de la toute-puissance de l’Etat, oblige les théoriciens du droit public à justifier le recours à la puissance publique sans pour autant exalter le rôle de l’Etat souverain. A travers la notion de service public, les juristes opèrent alors la distinction entre la puissance publique et la personne de l’Etat. L’intervention publique émane non seulement de l’Etat, mais également « des personnes publiques secondaires »141 ou « péri-étatiques »142 et de personnes privées, dès lors que celles-ci participent à l’exécution du service public. Permise par la notion de service public, la dissociation entre l’organisation administrative et l’Etat procède d’une définition désacralisée de la puissance publique. Celle-ci tend à devenir une organisation comme les autres, plus encline à servir l’autonomie de la société civile qu’à asseoir la domination de l’Etat souverain.

Par le service public, la décentralisation justifie la participation des personnes publiques secondaires à l’activité de la puissance publique (section 1), alors que l’association de personnes privées143 à la mission de service public provoque la privatisation de la puissance publique (section 2).

141 J-P. NEGRIN, L’intervention des personnes morales de droit privé dans l’action administrative, LGDJ, Paris, 1971, p. 19.

142 G. J. GUGLIELMI, La notion d’administration publique dans la théorie juridique française, LGDJ, 1991, Paris, p. 154.

143 « Le phénomène de la gestion de certains SPA par des organismes privés, ajouté à celui de la délégation de service public, constitue l’un des aspects de la privatisation des services publics. […] cette privatisation présente deux aspects indissolublement liés à l’intervention directe d’une personne privée dans la gestion de ces services publics, et un aspect lié à la mission de service public. », J-F.

LACHAUME, H. PAULIAT, S. BRACONNIER, C. DEFFIGIER, Droit administratif. Les grandes décisions de la jurisprudence, PUF, Thémis droit, 16ème éd., Paris, 2014, p. 268.

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S

ECTION

1 - L

A DÉCENTRALISATION DE LA PUISSANCE PUBLIQUE PAR LE SERVICE PUBLIC

L’aversion du libéralisme envers la puissance de l’Etat conduit la plupart des auteurs affiliés à la pensée libérale à promouvoir la décentralisation. Celle-ci assure une certaine limitation du pouvoir central et laisse augurer une organisation plus rationnelle de l’action publique. Cependant, l’unité politique de l’Etat sur laquelle s’est appuyée la Révolution libérale de 1789 commande de contenir le mouvement décentralisateur. Il existe dès lors un dilemme propre au libéralisme français à l’égard de la décentralisation (§1). Or, la notion de service public prescrit un équilibre entre centralisation politique et décentralisation administrative. Elle satisfait ainsi les préconisations libérales relatives à l’organisation administrative française, mais emporte également un risque de

« désinstitutionalisation »144 propre à l’impératif gestionnaire qui accompagne la décentralisation (§2).

§1 - Le dilemme libéral français à l’égard de la décentralisation

Alors que la défiance du libéralisme envers l’Etat conduit la plupart des penseurs libéraux à accorder une place privilégiée à la décentralisation parmi les institutions de la liberté (A), le courant libéral français n’est jamais parvenu à s’émanciper de la tutelle de l’Etat central (B).

A. Les aspirations libérales à la décentralisation

Dans l’histoire des idées politiques, la décentralisation n’est pas le monopole de la pensée libérale145 mais la confiance que voue le libéralisme dans l’individu et son

144 G. QUINTANE, « La désinstitutionalisation de l’administration », in J-P. BRAS, L’institution. Passé et devenir d’une catégorie juridique, L’Harmattan, 2008, Paris, p. 175.

145 « Pendant le Second Empire, un fort mouvement libéral et républicain s’est dessiné pour faire de la décentralisation un vecteur de limitation du pouvoir de l’administration. Le thème de la décentralisation ne saurait cependant se réduire à ce seul objectif. Il renvoie au XIXème siècle à toute une gamme d’usages qui se rapportent à des problématiques tour à tour légitimistes, libérales et républicaines. », P.

ROSANVALLON, L’Etat en France de 1789 à nos jours, Seuil, 1990, p. 79 ; « Revendiquée par les uns,

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hostilité corollaire à l’égard du pouvoir étatique conduisent la majorité des penseurs libéraux à promouvoir la décentralisation146. « Procédé d’affranchissement de l’individu » qui « n’a jamais cessé d’être une exigence libérale » selon Georges démocratique. Contre la puissance royale, Montesquieu préconise de restaurer « les puissances sociales » par l’intermédiaire des Parlements locaux et de la noblesse afin de neutraliser le pouvoir central150. De même, pour Benjamin Constant, les libertés locales réservent un potentiel de résistance face à l’absorption de l’individu par « la puissance sociale »151. L’autonomie des autorités locales est nécessaire pour éviter à la révolution démocratique de connaître de funestes dénouements. Pleinement partisan de la annexée par les autres, la décentralisation est en réalité comme le souligne le professeur Charles Eisenmann "politiquement neutre". », Y. MENY, Centralisation et décentralisation dans le débat politique français (1945-1969), LGDJ, Paris, 1974, p. 33.

146 « Dans la nébuleuse libérale, presque tous les auteurs s’accordent pour décentraliser […] », G.

BIGOT, L’Administration française. Politique, droit et société, tome 1, 1789-1870, LexisNexis, Manuel, Paris, 2014, n°135, p. 191.

147 « Dans l’un et l’autre cas, la décentralisation est un procédé d’affranchissement de l’individu. » et

« Quant à la décentralisation, il est superflu de rappeler qu’elle n’a jamais cessé d’être une exigence libérale […] », G. BURDEAU, Le libéralisme, Seuil, Points, 1979, pp. 257 et 256.

148 Dans un chapitre sur « l’Etat de droit », Catherine AUDART place la décentralisation parmi « les institutions de la liberté » aux côtés du « gouvernement représentatif », des « élections libres » et de « la séparation des pouvoirs ». Voir C. AUDART, Qu’est-ce que le libéralisme ?, Gallimard, Folio Essais, 2009, p. 247.

149 « Les libéraux considéraient la décentralisation comme un antidote contre le "Pouvoir" oppresseur et égalisateur, à ce titre elle avait une place dans la théorie des contre-pouvoirs. », C. ROIG, « Théorie et réalité de la Décentralisation », Revue française de science politique, 1966, p. 455.

150 « Consistant en une association libre de groupes, non pas d’individus, il crée un double réseau de fidélités et d’allégeances qui se neutralisent, pour Montesquieu, en "une société des sociétés" dont le but est d’affaiblir la souveraineté et l’indivisibilité du pouvoir royal. », C. AUDART, op.cit., p. 247 ; « Pour Montesquieu, la décentralisation constitue un frein aux excès du monarque au même titre que les privilèges de l’aristocratie. », Y. MENY, op.cit., p. 32.

151 M. GAUCHET, « Préface », in B. CONSTANT, Ecrits politiques. Textes choisis et annotés par Marcel Gauchet, Gallimard, 1997, p. 62.

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Révolution qui, par le triomphe du système électif sur le système héréditaire, a rendu la souveraineté au peuple, Benjamin Constant, témoin de la Terreur152, est également parmi les premiers à prévenir du danger despotique d’un pouvoir qui, parce qu’il émane désormais de tous, serait légitime à s’inviter partout153. Dès lors, il convient de circonscrire précisément la puissance étatique et donc la compétence du législateur. Son œuvre doit se limiter à déclarer les relations qui existent entre les hommes. Le législateur constate des faits, il ne crée pas spontanément de loi. Un gouvernement central en charge de l’intérêt général est nécessaire mais son champ d’intervention doit être limité par le respect de l’indépendance individuelle et du pouvoir normatif des entités locales, dont l’autorité sera d’autant plus douce qu’elles auront en charge des affaires qui correspondent à leur « sphère »154. Cette exigence de contenir « le pouvoir social » dans « la sphère qui lui revient »155 est également la préoccupation de Tocqueville car il voit dans la décentralisation administrative le seul moyen de freiner l’accroissement du pouvoir de l’Etat qui dépossède l’individu de toute initiative.

40. Ce plaidoyer contre « la centralisation politique » instrument d’une

« démocratie despotique et non pas libérale »156 s’appuie également sur le rôle essentiel des libertés locales dans la vie démocratique. Si parmi les libéraux français, Tocqueville a le mieux théorisé cette nécessaire décentralisation du pouvoir, l’œuvre de Constant présente déjà la dimension offensive ou positive de la fonction décentralisatrice dans une démocratie libérale. Le centralisme, cause de l’isolement de l’individu, condamne à vivre dans « un présent rapide »157, par la destruction des coutumes et de la sociabilité locale, d’où jaillit le « seul genre de patriotisme véritable »158. A l’inverse, le respect de

152 B. CONSTANT, Des effets de la Terreur (1797), Flammarion, Champs, p. 162.

153 « Mais de ce que le pouvoir social procède également et expressément de la volonté de tous, résulte-t-il qu’résulte-t-il s’étend à tous ? », M. GAUCHET, « Préface », op.cit., p. 81.

154 « Le gouvernement a une sphère qui lui est propre. », B. CONSTANT, Ecrits politiques, op.cit., p.

682 ; « Constant […] propose logiquement une "décentralisation" administrative et politique […]. Les intérêts de l’Etat et des autorités locales sont divisibles dans la mesure où, in fine, les institutions ont pour objet de préserver la liberté individuelle. », G. BIGOT, op.cit., n°136, pp. 193 et 194.

155 « […] le libéral désireux de voir le pouvoir social enfermé dans la seule sphère qui lui revient. », F.

BURDEAU, Liberté, libertés locales chéries !, Cujas, 1984, p. 126.

156 « Dans les termes de Tocqueville, la "décentralisation administrative" est un élément capital de la souveraineté démocratique, élément sans lequel la démocratie comme gouvernement pratiquant la

"centralisation politique" est une démocratie despotique et non pas libérale. », L. JAUME,

« Tocqueville : le libéralisme et la critique de la souveraineté », in G. KERVORKIAN, La pensée libérale. Histoire et controverses, Ellipses, 2010, pp. 135 et 136.

157 B. CONSTANT, Ecrits politiques, op.cit., p. 429.

158 « […] on voit le patriotisme qui naît des variétés locales, seul genre de patriotisme véritable, renaître comme de ses cendres, dès que la main du pouvoir allège un instant son action », B. CONSTANT, id., p.

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l’autonomie des autorités locales par la décentralisation permet aux gouvernés de se saisir des affaires publiques et de veiller à la défense de leurs intérêts collectifs.

L’apprentissage de la citoyenneté passe donc par l’investissement dans les affaires locales159. La décentralisation semble être le sens de l’organisation démocratique. Par ailleurs, pour Tocqueville, l’éloge du self government corrobore la déconstruction des théories traditionnelles de la souveraineté qui confèrent à l’Etat, institution externe et supérieure à la société civile, le privilège d’imposer les orientations de l’intérêt général160. Aux Etats-Unis, où l’expérience démocratique est la plus pure, Tocqueville constate que la souveraineté du peuple « sort de la commune pour s’emparer du gouvernement »161. Elle s’exerce ainsi de bas en haut et non de haut en bas comme c’est le cas dans les vieilles monarchies constitutionnelles européennes162. Or, selon cette conception libérale de la souveraineté du peuple163, la décentralisation se trouve au cœur de la dynamique démocratique car « dans cette sphère restreinte qui est à sa portée, il [le citoyen] s’essaie à gouverner la société »164.

II. Décentralisation et libéralisme

41. Cette place accordée à la décentralisation par les penseurs et les publicistes libéraux éclaire, par ailleurs, la véritable nature de la pensée libérale. Alors que le centralisme enferme l’individu dans un égoïsme asocial et le dépossède de toute qualité citoyenne, le mérite de la décentralisation est de sortir l’individu de sa sphère privée et de l’initier aux affaires publiques. L’exigence décentralisatrice affirmée chez Constant, Tocqueville, Royer-Collard165 ou Odilon-Barrot166, exprime donc la crainte du

159 « A ses yeux, la démocratie communale est une école pour l’apprentissage de la liberté politique la plus immédiate […] », L. JAUME, Tocqueville. Les sources aristocratiques de la liberté, Fayard, 2010, p.

41.

160 « Plongeant aux origines du modèle papal de la "plénitude de puissance", le concept de souveraineté s’accompagne de la prétention à l’infaillibilité : le souverain est celui qui est à même de se prononcer sur l’intérêt général, par sa position de suprématie, d’extériorité et parce qu’il jouit du point de vue d’ensemble. », L. JAUME, « Tocqueville : le libéralisme et la critique de la souveraineté », op.cit., p. 137.

161 « La révolution américaine éclata. Le dogme de la souveraineté du peuple sortit de la commune et s’empara du gouvernement. », TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique I, Robert Lafont, Bouquin, Paris, 1986, p. 82.

162 L. JAUME, Tocqueville. Les sources aristocratiques de la liberté, op.cit., p. 39.

163 L. JAUME, « Tocqueville : le libéralisme et la critique de la souveraineté », in G. KEVORKIAN, La pensée libérale, op.cit., p. 133.

164 TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique I, op.cit., p. 92.

165 P-P. ROYER-COLLARD, De la liberté de la presse. Discours, Librairie de Médicis, Paris, 1949.

166 O. BARROT, De la centralisation et de ses effets, Dumineray, Paris, 1861.

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libéralisme envers les conséquences d’une organisation institutionnelle et administrative qui mènerait à l’isolement de l’individu167. Une fois livré à ses seules affaires privées, celui-ci pourrait se satisfaire de l’oppression qui l’étouffe168, jusqu’à en perdre la conscience169. Pour que la liberté politique, que le libéralisme accorde avec confiance à l’individu, ne soit pas une coquille vide, il convient de veiller à ce qu’elle ne soit pas déconnectée de l’état social. Loin d’être une pensée fondée exclusivement sur la liberté d’un être abstrait qui se suffit à lui-même et dont la préservation est la seule préconisation pour l’organisation du politique, le libéralisme pense, par la décentralisation, l’articulation entre l’individu et le social, entre le social et le politique170. Le libéralisme voue sa pleine confiance en la liberté de l’individu, mais se prémunit contre l’individualisme funeste, par la décentralisation. Elément de la traduction institutionnelle et administrative du libéralisme, la décentralisation teinte donc, tout au long du XIXème siècle, la pensée libérale d’un certain « sociologisme »171 qui se retrouvera au fondement de la notion de service public, érigée par la doctrine publiciste au début du XXème siècle, pour permettre à la puissance publique de répondre à l’avènement de la question sociale.

B. L’Etat, « tuteur » du libéralisme français

Au sein de la pensée libérale, la genèse du libéralisme français se singularise sur un point capital : le problème que pose la Révolution. Alors que la « mouvance libérale » postule l’autonomie de la société civile pour faire du pouvoir de l’Etat un instrument à la fois extérieur et circonscrit, les libéraux français ont dû compter sur

167 « Pour que l’individu devienne une force dans l’Etat, c’est-à-dire, pour que ses droits soient respectés, que son énergie naturelle ne soit pas entravée, il ne faut pas qu’il reste isolé, sans quoi l’Etat l’écrase et l’absorbe inévitablement. », id., p. 207.

168 « […] la force et la vitalité des sociétés grandit ou s’affaiblit, selon que les facultés et les droits de l’individu y sont respectés ou étouffés par le pouvoir central », id., p. 27.

169 « D’un autre côté, dépouiller l’individu de toute participation aux affaires communes, c’est non seulement le décharger de toute responsabilité, mais lui en faire perdre jusqu’à la conscience. », id., p.

155.

170 « C’est ici que Constant renoue avec l’esprit de 1789, du moins avec la logique d’un pouvoir ascendant où l’individu est la pierre angulaire d’un édifice social qu’il bâtit pour sa garantie. Il ne nie pas que le pouvoir transcende l’individu, mais le propre du libéralisme politique est de considérer la construction politique à partir des rapports interindividuels […] », G. BIGOT, op.cit., n°136, p. 194.

171 « Le "sociologisme" que nous évoquions plus haut trouve ici une expression aussi franche que remarquable » ; M. GAUCHET, « préface », op.cit., p. 69 ; « La souveraineté deviendrait-elle, sous la plume de Tocqueville, un concept sociologique ? », L. JAUME, « Tocqueville : le libéralisme et la critique de la souveraineté », op.cit., p. 135.

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l’Etat central pour accomplir la Révolution172. Cette équivoque dans les rapports entre l’émancipation de la société civile et le rôle accordé au pouvoir central confère aux processus de centralisation et de décentralisation, dans la tradition libérale française, une tonalité particulière. Les libéraux se sont appuyés sur la centralisation pour faire la Révolution (I) et la décentralisation administrative a été, paradoxalement, un instrument au service de la stabilisation et du renforcement du pouvoir central dans le but de terminer la Révolution173 (II). L’équilibre entre centralisation et décentralisation préconisé par les libéraux français permet de comprendre les caractères principaux de la

« constitution administrative »174 que la France se forge au cours du XIXème siècle (III).

I. La centralisation, condition de la Révolution libérale individualiste

42. Les principes de 1789 proclamés, le règne de la liberté s’amorce, en France, par une grande prohibition. L’abolition des corporations et des corps intermédiaires pour laisser libre cours aux libertés individuelles est à la fois une manifestation et une cause de l’accroissement du rôle de l’Etat central. La Révolution s’appuie sur le centralisme de l’Ancien Régime, non seulement selon une certaine continuité historique décrite par Tocqueville175, mais également par nécessité fonctionnelle. La libération de l’individu découle du déploiement de la puissance de l’Etat central et de sa capacité à contenir le rôle des corps intermédiaires176. Ainsi le face-à-face entre l’individu et l’Etat opéré par

172 « Pour Benjamin Constant, il faut accepter la séparation entre la société et l’Etat, et la gérer rationnellement […] Du côté doctrinaire, le projet confère la primauté au sociologique sur le politique : l’énigme de la Révolution, sa capacité à faire renaître les passions dans les esprits et les émeutes dans la rue connaîtra une fin dès lors que les héritiers du tiers état exerceront la gestion des intérêt sociaux à travers l’Etat et ses prolongement administratifs. », L. JAUME, L’individu effacé ou le paradoxe du libéralisme français, Fayard, Paris, 1997, p. 149.

173 « Comment fonder un régime libre ? Ce problème, que la Révolution française pose sans le résoudre, Guizot le reprend là où les libéraux thermidoriens l’avaient laissé. Car pour lui, comme pour Constant et Mme de Staël avant lui, il est toujours question de terminer la Révolution en l’enracinant dans la loi.

D’une génération d’intellectuels à l’autre, séparées par l’avènement d’une dictature et sa chute, le programme politique demeure le même : fonder en France un droit public, créer des institutions stables qui garantissent l’ordre et la liberté. », M. VALENSISE, in François Guizot et la culture de son temps.

Colloque de la fondation Guizot-Val Richer, Gallimard, Le Seuil, Paris, 1991, p. 16.

174 G. VEDEL, « Discontinuité du droit constitutionnel et continuité du droit administratif : le rôle du juge », in Mélanges offerts à Marcel Waline : le juge et le droit public, LGDJ, Paris, 1974, t. II, p. 793.

175 TOCQUEVILLE, L’Ancien Régime et la Révolution, Robert Lafont, Bouquins, Paris, 1986, p. 1068.

176 « La réticence à considérer les corps intermédiaires comme des instruments de liberté, des moyens d’action et de défense pour organiser l’autonomie des groupes et des personnes ou des moyens de gouvernement a aussi des racines internes au libéralisme français lui-même. », P. ROSANVALLON, Le modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, op.cit., p. 218.

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la Constituante à la suite de la Révolution répond aux exigences centralisatrices du

« premier programme libéral »177 de la fin du XVIIIème siècle178. Dès l’origine donc, le libéralisme français se distingue du libéralisme anglo-saxon par son incapacité à penser l’autonomie « pure » de l’individu179. Le libéralisme, en France, ne peut se passer de la tutelle de l’Etat180. Pour reprendre l’analyse du professeur Pierre Rosanvallon, le modèle politique français issu de la Révolution est libéral mais caractérisé par une forte polarisation entre l’individu d’un côté et l’Etat de l’autre. Cette polarisation, indispensable à la réalisation de la liberté individuelle, conduit les penseurs et publicistes libéraux français à défendre une certaine centralisation181. Cela étant, au début du XIXème siècle, l’arrivée des libéraux doctrinaires au gouvernement montre que centralisation politique et décentralisation de l’appareil administratif sont deux processus davantage complémentaires qu’antagonistes.

II. La combinaison de la décentralisation administrative et de la centralisation politique182

43. La singularité du libéralisme français à l’égard de l’aménagement administratif de l’Etat trouve ses origines dans la conception de la dynamique révolutionnaire, mais se cristallise durant la Restauration, notamment à travers les écrits de Guizot et son œuvre au gouvernement. Guizot, chef de file des libéraux doctrinaires, refuse la

177 P. LEGENDRE, Histoire de l’administration à nos jours, PUF, Thèmis, Paris, 1968, p. 74.

178 « La centralisation : l’œuvre de la Constituante et du Consulat ruina les pouvoirs intermédiaires, contre lesquels la royauté avait eu à soutenir des conflits si fréquents. L’uniformité fut une revendication du libéralisme français au XVIIIème siècle ce qui le distingue profondément du libéralisme anglais ; ce trait a été souvent relevé au XXème siècle. Cette grande réalisation révolutionnaire supposait certaines

178 « La centralisation : l’œuvre de la Constituante et du Consulat ruina les pouvoirs intermédiaires, contre lesquels la royauté avait eu à soutenir des conflits si fréquents. L’uniformité fut une revendication du libéralisme français au XVIIIème siècle ce qui le distingue profondément du libéralisme anglais ; ce trait a été souvent relevé au XXème siècle. Cette grande réalisation révolutionnaire supposait certaines

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