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Chapitre I. Le développement et la popularisation des connaissances nutritionnelles au début

1.2 La découverte des nouvelles connaissances nutritionnelles

importance pour ce qui est de la prévention et la guérison des maladies. Ainsi, les Chinois se sont mis à porter une attention particulière sur ce qui doit être considéré comme « une bonne alimentation », « une saine alimentation » en la jugeant du point de vue de l’efficacité et de ses effets sur la prévention et la guérison des maladies.

Mais, loin des paramètres utilisés par les Chinois anciens pour catégoriser les aliments, les nutritionnistes occidentaux considèrent depuis le XIXe siècle la nourriture en termes

scientifiques mesurables et classifient les aliments en fonctions du nombre de calories, de carbohydrates, de protéines, ou de vitamines qu’ils contiennent. Selon les conclusions de ces mêmes scientifiques, chaque nutriment a des fonctions physiologiques spécifiques. Avant la découverte des vitamines, le chimiste Justus von Liebig (1803-1873), affirme par exemple que les protéines, les glucides et les graisses -la « trinité diététique » fournit tous les nutriments dont le corps humain a besoin59. C’est néanmoins Jean-Baptiste Dumas (1800-1884), chimiste

français et homme politique qui, en fabriquant une sorte de lait artificiel par émulsion de graisses dans une solution sucrée d’albumine et dont les résultats ont été catastrophiques, montre que « le trinité diététique » de Justus von Liebig, bien que suffisante sur le plan

59 Jean-Louis Dumas, « Liebig et son empreinte sur l’agronomie moderne », Revue d’histoire des sciences et de

énergétique, n’est en fait pas assez complète pour maintenir le corps en bonne santé60, parce

qu’il manque encore les vitamines dans l’alimentation qui joue un rôle très important pour garder une bonne santé humaine.

À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, on connaît une intensification de la recherche

dans le domaine de la nutrition un peu partout dans le monde, notamment en ce qui a trait aux maladies dues aux carences en vitamines, avec la participation des secteurs public et privé61. En

1763, James Lind, médecin de la marine britannique, spécialiste d’hygiène navale, décrivait dans son traité sur le scorbut, l’effet curatif des fruits frais. Il parvint, non sans mal, à convaincre l’amirauté qu’il fallait embarquer des citrons à bord des vaisseaux de sa Majesté afin d’empêcher l’apparition du scorbut62. Christiaan Eijkman (1858-1930) remarque pour sa

part les symptômes du béribéri chez des poulets dont l’alimentation avait été temporairement modifiée. Il arriverait à en faire remonter la cause au riz qui pendant un certain temps avait été décortiqué : nourris au riz blanc, les poulets avaient développé le béribéri, une maladie neurologique qui s’était avérée réversible après la consommation de riz entier63. En 1850,

l’huile de foie de morue était reconnue comme le remède souverain contre le rachitisme64.

Même si de nombreuses personnes savaient que des aliments pouvaient offrir certains avantages, ce n’est qu’au début des années 1900 que les scientifiques ont commencé à comprendre quels ingrédients contenus dans les aliments pouvaient aider à prévenir certaines maladies. C’était en 1912, Kazimierz Funk, chimiste polonais, détermina la nature de ce

60 Jean Guillaume, Ils ont domestiqué plantes et animaux : prélude à la civilisation, Versailles, Éditions Quae, 2010, p. 20.

61 Edwaud Mellanby, « Nutritional Science in Medicine », British Medical Journal, 10 novembre 1944, vol. 2 p. 202.

62 Bernard Gainot, « La santé navale et l’Atlantique comme champs d’expérimentation : les hôpitaux flottants »,

Dix-huitième Siècle, vol. 33, No 1, 2010, p. 165-182.

63 Randoin, Lucie. Les vitamines, Paris, Armand Colin, 1932, p. 22.

64 Michelle S. Gosselin, « Les vitamines: étude de toutes les vitamines nécessaires à l’homme, propriétés de chacune d’elles, effet de leur carence dans l’alimentation, sources dans les aliments-tableau, besoin de l’organisme humain en vitamines. ». Québec: Le Canada Français, 1942, p. 548.

principe vital, auquel il donna le nom de « vitamine ». L’ère de la nutrition centrée sur les carences était née. La saga des vitamines et des oligo-éléments débutait. La plupart des autres vitamines sont aussi découvertes au cours de cette période. C’est le cas de la vitamine A. Si elle est identifiée en 1913, il faudra attendre les années 1930 pour être en mesure de déterminer sa structure chimique et bien comprendre son rôle bénéfique. En 1916, un biochimiste américain, Elmer McCollum donnait à la vitamine de Funk, le nom de « B hydrosoluble », B, comme béribéri. « La vitamine B fut donc scindée en deux : la vitamine B1 (celle mise en évidence par Casimir Funk et qui participe à la transformation du glucose en énergie) et la vitamine B2 (antioxydante) ». Par la suite, d’autres vitamines B ont été découvertes, jusqu’à la B12 aux vertus antianémiques. Puis ce fut le tour de la vitamine C en 1928. Leur synthèse artificielle suit rapidement leur découverte et aujourd’hui, 13 vitamines différentes sont connues. Dès lors, d’autres facteurs vitaminiques allaient être successivement découverts dans les aliments.

La découverte des vitamines est certainement un événement marquant dans l’histoire de la médecine, de la nutrition, mais aussi de la modernisation en Chine. En 1921, à la suite de la découverte des vitamines, Hartlee Embrey et Tsan Ch'ing Wang, partenaires de recherche au Laboratoire de chimie alimentaire du prestigieux PUMC proclament : « aujourd’hui, comme jamais auparavant, l’homme de science réalise avec succès la relation intime entre la nourriture et la maladie 65 ». Selon H.G Earle, directeur de l’institut Henry Lester de 1932 à 1940, « it is

remarkable how many clinical signs and symptoms among Chinese patients can now be explained in term of vitamin and mineral deficiency66 ». Ces avancées seront en effet d’une

importance significative pour les nombreux intellectuels et réformateurs chinois, qui, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle sont préoccupés par la modernisation du pays et le

renforcement de la nation. Les problèmes internes, l’immixtion des puissances occidentales et la menace d’une invasion japonaise incitent ces élites à chercher activement des solutions pour améliorer la condition physique de la population. Elles emprunteront ainsi les nouvelles

65 Yusheng Lin, The Crisis of Chinese Consciousness: Radical Anti-traditionalism in the May Fourth Era, Madison, University of Wisconsin press, 1979, p. 30.

connaissances nutritionnelles afin d’inciter les Chinois à modifier leur régime alimentaire de façon à retrouver leur vigueur individuelle et collective. Aux yeux des lites chinoises il ne fait ainsi aucun doute que l’amélioration de la santé du peuple est étroitement liée à la reconstruction nationale67.

1.3 La place de la nutrition dans le premier système de la santé