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La cuisine collective selon les trois ordres sociau

Schéma 1 : Le fonctionnement de la cuisine collective

VI. INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS Introduction

6.1 La cuisine collective selon les trois ordres sociau

Dans cette section, nous allons analyser la cuisine collective au Nunavik selon les trois ordres décrits par Scardigli (1983) et essayer de comprendre dans quel type d’ordre elle peut s’inscrire. L’auteur étudie les trois ordres sociaux qui dictent le fonctionnement d’une société dans son ensemble. Nous avons décidé de reprendre ces trois ordres et de les appliquer à un phénomène social spécifique de la société, à savoir la cuisine collective, et de voir si nous pouvons l’appliquer à la société en question.

Premièrement, on peut retrouver à l’œuvre certaines modalités de l’ordre culturel dans les cuisines collectives observées au Nunavik. Rappelons que l’ordre culturel est, d’après Scardigli (1983), enraciné dans le passé et marqué par la conservation des rites et traditions de la société. Dans les sociétés ou groupes sociaux de cet ordre, les besoins de la collectivité l’emportent sur ceux des individus (Scardigli, 1983). Lors de notre enquête de terrain, nous avons observé que les activités de la cuisine collective consistent en un effort commun visant à satisfaire les besoins du groupe. Les membres de la cuisine collective se rassemblent bien sûr pour préparer des repas, mais également pour faire de nouveaux apprentissages, échanger des conseils, partager de bons moments et pour faire de nouvelles connaissances. De même, des valeurs inuit traditionnelles comme le don ainsi que le partage de nourriture et de savoirs se manifestent dans la cuisine collective. En effet, la nourriture cuisinée est partagée entre les participantes et les surplus sont offerts sans contrepartie aux plus démunis de la communauté. De plus, les participantes et coordinatrices partagent leurs savoirs au sujet de la préparation de la nourriture traditionnelle et de la nourriture santé, et les adultes enseignent leurs connaissances aux enfants.

Deuxièmement, des modalités de l’ordre politique se retrouvent également dans les cuisines collectives étudiées au Nunavik. D’après Scardigli (1983), l’ordre politique cherche à faire progresser la société et à établir une égalité sociale à l’intérieur d’une société ou d’un groupe social. Dans les sociétés d’ordre politique,

meilleur avenir, en essayant de prendre en considération les besoins et les décisions de chaque individu de la société. Dans le contexte du Nunavik, il y a des institutions gouvernementales comme l’Administration régionale Kativik (ARK), et des OSBL comme la Société Makivik qui s’engagent à mettre en place des projets communautaires afin de promouvoir le développement socio- économique des communautés. La cuisine collective est un de ces projets dont le but initial était de lutter contre l’insécurité alimentaire et d’apprendre aux habitants des communautés comment gérer leur budget. Il s’agit donc d’un projet censé offrir un meilleur avenir à la société inuit. Les OSBL jouent d’une certaine manière le rôle de groupe social intermédiaire entre les institutions gouvernementales et les particuliers de la cuisine collective. En effet, elles essaient de satisfaire les besoins et visions des deux acteurs, et de les mettre en relation afin de faire fonctionner la cuisine collective. L’ordre politique est donc bien présent dans l’organisation de la cuisine collective au Nunavik, car les relations entre les acteurs externes et internes, notamment les institutions gouvernementales et les particuliers, sont plus politiques que culturelles.

Finalement, des modalités de l’ordre économique caractérisent les cuisines collectives du Nunavik à plusieurs niveaux. Selon Scardigli (1983), l’ordre économique est marqué par la recherche du progrès et du bonheur matériel, et ces objectifs sont conditionnels à la disponibilité et l’accroissement des ressources matérielles. Dans le contexte du Nunavik, la mise en place du projet de la cuisine collective est conditionnelle à l’attribution d’un budget. C’est grâce aux subventions des organismes que le projet de la cuisine collective a pu prendre pied dans certaines communautés au Nunavik. Comme nous l’avons mentionné dans l’analyse des données, les principaux fournisseurs d’aide financière sont l’Administration régionale Kativik (ARK) et certaines OSBL, notamment la Société Makivik et l’organisme Québec en forme. Ces institutions mettent également à disposition des ressources matérielles, comme des recettes santé et de l’équipement de cuisine. D’autres institutions locales, comme les supermarchés et la municipalité des communautés, offrent la nourriture nécessaire au fonctionnement de la cuisine collective. Les ressources matérielles, notamment le budget et l’alimentation, sont indispensables à l’existence et au

fonctionnement de la cuisine collective, ainsi qu’à son développement futur. Ainsi, l’ordre économique est bien présent dans la cuisine collective et se manifeste dans les relations entre les acteurs externes et internes.

En appliquant l’idée des trois ordres sociaux à la réalité de la cuisine collective, nous pouvons tracer un premier parallèle entre la théorie et l’empirique. Cependant, lequel des trois ordres est prédominant dans la cuisine collective ? Nous soutenons que les trois ordres jouent un rôle d’importance similaire dans la cuisine collective, car ils sont tous les trois nécessaires à l’existence, l’organisation et le développement du projet.

Si nous appliquons les trois ordres à la société inuit, nous pouvons constater que l’ordre économique a pris une place importante au cours des dernières décennies et a tendance à remplacer progressivement l’ordre culturel. Cependant, la société inuit n’a pas entièrement délaissé les structures traditionnelles de l’ordre culturel. En effet, malgré les progrès économiques et l’apparition des nouvelles technologies, la transmission du savoir et des coutumes aux générations futures demeure une tradition importante. La société inuit se trouverait plutôt dans une phase de transition, c’est-à-dire dans l’ordre politique. Elle vit des difficultés dans l’adoption d’un ordre social spécifique. D’une part, elle garde ses traditions et rites anciens, mais d’autre part, elle intègre le progrès économique, scientifique et technologique. Il est donc difficile de classer la société inuit dans un ordre particulier, car elle se définit par les trois ordres plutôt que par un seul.

6.2 La cuisine collective : un dispositif de renforcement du lien