• Aucun résultat trouvé

D’une solidarité mécanique à une solidarité organique

II. CADRE THÉORIQUE Introduction

2.2 Émile Durkheim : De la division du travail social

2.2.1 D’une solidarité mécanique à une solidarité organique

Au 19e siècle, Émile Durkheim, un des fondateurs de la sociologie moderne, constate que les individus tendent de plus en plus à s'autonomiser et à se différencier les uns des autres, ce qui met en péril la cohésion sociale (Paugam, 2008). C'est dans ce contexte qu'il décide d'écrire son œuvre phare De la division

du travail social, où il fait un plaidoyer en faveur de la reconnaissance de la

sociologie comme discipline qui a comme mission d'aider les sociétés à prendre conscience des liens qui les composent et d'éviter ainsi leur propre désintégration (Durkheim, 2013 [1893]). Dans son ouvrage, l'auteur développe un certain nombre de concepts pour rendre visibles les mécanismes qui lient les individus dans une société. Un des concepts principaux que l'auteur analyse dans ce livre est le lien social. D’après Akoun, « les liens sociaux sont ces formes de relations qui lient l’individu à des groupes sociaux et à la société, qui lui permettent de se socialiser, de s’intégrer à la société et d’en tirer les éléments de son identité » (1999, p. 307).

Durkheim (2013 [1893]) se questionne sur les fondements du lien social dans la société. Il constate que la raison pour laquelle un individu crée une relation avec un autre individu est qu'il voit dans celui-ci le complément de lui-même. En d’autres mots, deux personnes dissemblables s’unissent afin de se compléter mutuellement. Ainsi, d’après Durkheim, « deux êtres dépendent mutuellement l’un de l’autre, parce qu’ils sont l’un et l’autre incomplets » (2013 [1893], p. 25). Dans les relations ainsi créées, chaque individu joue un rôle en fonction de son caractère et échange avec les personnes qui constituent le groupe, créant ainsi un sentiment de solidarité (Durkheim, 2013 [1893]).

Parallèlement, l'auteur aborde la notion de la division du travail car elle est à l'origine de cette solidarité. Selon lui, la société n’est pas absolue, mais elle existe parce qu’elle répond à certains besoins qui sont des conséquences de la division du travail. Ainsi, il indique que la division du travail est à l’origine de la société

Si on analyse ce concept au niveau économique, la division du travail établit un certain ordre social et moral dans la société. Les individus se lient les uns aux autres pour compléter leurs efforts et deviennent de cette manière solidaires. Le fait d’être en groupe rend les individus plus forts que s’ils agissaient indépendamment (Durkheim, 2013 [1893]).

La théorie durkheimienne indique que l'accentuation de la division du travail crée des liens sociaux plus forts et plus nombreux, et cause ainsi une forte solidarité sociale et une cohésion de la société (Durkheim, 2013 [1893]). La solidarité sociale peut donc être considérée comme le fruit de la division du travail (Besnard, Borlandi et Vogt, 1993). Afin de vérifier si la solidarité sociale est vraiment la condition primordiale de l’existence de la société, Durkheim procède à une analyse des différents types de solidarité sociale : la solidarité mécanique et la solidarité organique.

Pour distinguer ces deux types de solidarités, Durkheim développe les concepts de conscience collective et de conscience individuelle. La conscience individuelle est composée des valeurs, croyances et idées propres à l’individu. Lorsque les individus partagent un certain nombre de ces valeurs, croyances et idées, ils créent une conscience collective. Selon Durkheim, c'est « l’ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des membres d’une même société [qui] forme un système déterminé qui a sa vie propre » (2013 [1893], p. 46). L'existence de cette conscience collective crée une solidarité sociale (Durkheim, 2013 [1893]).

La solidarité mécanique est caractéristique des sociétés traditionnelles qui disposent d’une faible division du travail. Au 19e siècle, ces sociétés étaient appelées « sociétés primitives » ou « société inférieures » (Delas et Milly, 2009). Dans ce type de sociétés, les individus se ressemblent fortement car ils partagent les mêmes croyances et sentiments (Ansart, 1999). C’est pourquoi la solidarité mécanique se nomme également la solidarité par similitudes (Durkheim, 2013 [1893]). Ce sont les mœurs et rites qui caractérisent la vie sociale des individus

dans cette société (Paugam, 2013). Dans ce type de société, le lien social entre les individus est très fort et la conscience des individus est très proche de la conscience collective. La conscience des individus disparaît pratiquement au profit d'une conscience collective (Durkheim, 2013 [1893]). « L’individu est en quelque sorte absorbé par le groupe », écrit Paugam (2013, p. 12).

À l’opposé, dans les sociétés à solidarité organique, il y a une forte division du travail car il existe une différenciation sociale importante entre les individus. Ce sont les sociétés modernes industrialisées qui fonctionnent selon les règles de cette solidarité (Delas et Milly, 2009). Chacun dépend du travail de l’autre et c'est ainsi que des liens se créent entre les individus (Ansart, 1999 ; Durkheim, 2013 [1893]). On peut retrouver un lien social fort dans ce genre de société, mais il ne se crée pas de la même manière que dans les sociétés à solidarité mécanique. Alors que dans ces dernières, les individus se rapprochent de manière naturelle, dans les sociétés à solidarité organique, c'est la société qui établit le lien social entre les individus (Delas et Milly, 2009).

Selon Durkheim (2013 [1893]), dans ce type de société, le lien social est le produit de l’interdépendance des individus dont chacun occupe une fonction sociale spécifique. Ainsi, « c’est la division du travail qui se substitue à la conscience collective pour assurer l’essentiel de la cohésion sociale » (Steiner, 1999, p. 107). En ce qui concerne la conscience collective, elle ne constitue donc qu’une faible dimension des consciences individuelles dans les sociétés à solidarité organique, en raison de la forte présence de la division du travail. D’après Durkheim, la diminution de la conscience collective dans les sociétés modernes est même une condition de la division du travail, car il faut que les individus soient libres et indépendants par rapport au groupe social afin que la division du travail soit réalisable (Paugam, 2013). Conformément à la théorie durkheimienne, le pouvoir de la division du travail et l’affaiblissement de la conscience collective sont une caractéristique typique des sociétés modernes (Durkheim, 2013 [1893] ; Steiner, 1999).

Dans son œuvre, Durkheim (2013 [1893]) ajoute que la division du travail comporte une valeur morale. Selon l'auteur, « est moral, [...] tout ce qui est source de solidarité, tout ce qui force l’homme à compter avec autrui » (Durkheim, 2013 [1893], p. 394). Étant donné que la division du travail exige la collaboration des individus, elle est une source de solidarité, et donc morale. La société étant basée sur la solidarité sociale, elle est également dotée d’une moralité.

Durkheim avance que dans la transition d'une société traditionnelle à une société moderne, la solidarité mécanique constituée de liens sociaux solides et d'une forte conscience collective donne lieu à une solidarité organique marquée par une forte division du travail social qui, lorsqu'elle est menée à son extrême, peut menacer la cohésion de la société (Durkheim, 2013 [1893]).