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La coordination externe des politiques de régulation

D’après les chapitres précédents, les mesures prudentielles ont surtout des effets directs sur la sphère financière. Cependant, ces mesures ont également des effets de propagation indirects. Concernant les contrôles de capitaux prudentiels, il y a peu

de preuves empiriques que leur utilisation génère des externalités significatives sur d’autres pays. Ce manque d’indices empiriques est surprenant : si l’intérêt pour les externalités provenant des restrictions commerciales est important dans la littéra-ture, il y a des raisons pour que les restrictions financières provoquent également des effets de débordements.

Les études empiriques sur le Brésil (Forbes et al., 2016 et Lambert et al., 2011, Giordani et al., 2017) indiquent que les contrôles de capitaux détournent les flux vers des pays ayant des caractéristiques économiques similaires, notamment une struc-ture de risque similaire. D’après ces derniers résultats, les contrôles de capitaux, même s’ils améliorent la gestion des flux de capitaux dans un pays, peuvent rendre plus difficile la gestion des flux pour les autres. Ils avancent que ces effets multila-téraux pourraient conduire à un équilibre inefficace parce que les autorités ont des instruments politiques limités et/ou font face à des marchés incomplets.

Ghosh et al. (2014) ont examiné si les flux de capitaux internationaux pouvaient être régulés en imposant des restrictions financières dans les pays sources (« outflows controls ») comme dans les pays bénéficiaires (« inflows controls »), comme le pré-conisaient déjà John Maynard Keynes et Harry Dexter White lors de la conférence de Bretton Woods. Les résultats de Ghosh et al. (2014) suggèrent que les restric-tions à chaque extrémité peuvent influer de façon significative sur le volume des flux bancaires internationaux. Ils trouvent également des preuves de débordements transfrontières, où les restrictions imposées par les pays sont associées à des flux plus importants vers d’autres économies. Leurs résultats suggèrent qu’il peut être utile de coordonner les politiques entre les pays sources et les pays bénéficiaires, ainsi qu’entre les pays bénéficiaires, afin de mieux gérer les flux potentiellement perturbateurs.

Historiquement, les problèmes de débordement étaient davantage associés aux contrôles des sorties de capitaux en raison du risque de contagion et d’attaques spé-culatives. Dans le contexte des contrôles à l’entrée, Ostry et al. (2012) soutiennent que des effets de débordement n’empêchent pas l’utilisation de telles politiques. Ce-pendant, si les politiques d’un pays exacerbent les distorsions actuelles dans d’autres pays et que la réaction d’autres pays est coûteuse, la coordination multilatérale des politiques est bénéfique. Selon Korinek (2011), le pays qui impose des contrôles sur les entrées de capitaux a tout intérêt à améliorer la coordination avec d’autres pays. Dans le cas contraire, chaque Etat, à la recherche d’une meilleure réglementation prudentielle, finit par avoir un niveau de régulation trop élevé comparativement au niveau optimal le concernant. Cela conduit à une surenchère néfaste pour l’activité.

2 La politique macroprudentielle et la coordination des politiques de régulation

Cela s’explique par un calcul de type coûts-bénéfices dans lequel un pays choisit son propre niveau de régulation étant donné le coût et le gain consécutif à la mise en place du contrôle. Ce problème renvoie également au fait que les institutions financières internationales ont un avantage sur les institutions locales (soumises à la régulation), comme on peut l’observer au niveau de la politique budgétaire. Il y a, dans ce cadre, une nécessité de coordination ou d’harmonisation au moins intra-régionale des régulations entre les pays.

La politique macroprudentielle peut également être concernée par ces problèmes d’externalités et de débordements. Beirne et Friedriech (2014), prenant en compte plusieurs mesures macroprudentielles dans leur analyse, avancent qu’un degré plus élevé d’intégration commerciale accentue les effets de débordement entre les pays. Selon Engel (2016), lorsque le capital est mobile, les pays qui imposent des régle-mentations macroprudentielles aux institutions financières nationales sont soumis à des pressions de la part des marchés de capitaux internationaux. La coopération internationale est alors nécessaire.

Un autre argument militant pour une coordination externe concerne l’uniformi-sation des réglementations (Engel, 2016). En effet, pour que les régulations macro-prudentielles d’un pays soient efficaces, il faut que les autorités de ce pays aient le pouvoir d’imposer leurs régles aux succursales et filliales des banques étrangères. Cependant, même avec ce pouvoir, les institutions financières étrangères pourraient quitter le pays pour un autre où le système de surveillance et de sanction est plus souple. Par exemple, Aiyar et al. (2014) soulignent que lorsque le Royaume-Uni a augmenté les exigences de fonds propres, il y a eu des « contournements » sous la forme de prêts passant des banques réglementées aux succursales étrangères non réglementées situées dans ce pays. Il est donc important de définir des règles macro-prudentielles qui s’imposent à l’ensemble des institutions financières présentes sur le territoire. Avec cela, l’effet peut être similaire à celui des contrôles de capitaux en ce sens que les institutions étrangères peuvent déplacer leurs activités hors du pays mais cela atténue le risque.

En revanche, contrairement à des contrôles de capitaux temporaires, l’effet pour-rait ici être plus contraignant. En effet, le système bancaire national pourpour-rait perdre en compétitivité du fait d’un manque de compétence ou d’expertise apporté initiale-ment par les institutions étrangères. De plus, l’effet pourrait être plus long que voulu si les institutions étrangères déménagent. Les Accords de Bâle III tentent de remé-dier à ce problème en visant à ce que tous les pays adoptent un ensemble d’exigences

de capital minimum, par le principe de « réciprocité »3. Cependant, l’objectif est de parvenir à un niveau suffisant de réglementation microprudentielle et non d’imposer une uniformité aux mesures macroprudentielles. C’est pourquoi la solution appro-priée à ce dilemme est certainement l’harmonisation des réglementations entre les pays (Engel, 2016). Cela peut s’apparenter à la même logique qu’en matière fiscale pour éviter la surenchère et la course au moins-disant dans une situation de jeu non-coopératif.

Le consensus final viserait à ce que la coordination internationale des politiques (macro)prudentielles soit justifiée, mais qu’elle ne soit pas trop rigoureuse et ap-pliquée de manière uniforme. En effet, celle-ci ne peut pas être fondée uniquement sur l’existence de retombées internationales, mais elle dépend également des cir-constances. Les arguments en faveur de la coordination sont plus forts en cas de croissance atone, lorsque les ressources mondiales sont sous-utilisées, plutôt que lors d’un « boom ». Jeanne (2014) suggère que la coordination devrait avoir lieu sur une base « ad hoc » et lorsque les circonstances l’exigent, éventuellement par l’in-termédiaire du G20 et pas nécessairement par le type d’institutions permanentes qui agissent pour le commerce international, comme l’OMC. La section 5 permettra d’étudier les problèmes d’externalités et de coordination externe des politiques de régulation prudentielle.

Pour apporter un éclairage empirique à ces interrogations, il est nécessaire de présenter les données (macro)prudentielles utilisées dans l’analyse économétrique.

3 Présentation et analyse des données

(macro)prudentielles

Cette section présente les données macroprudentielles qui seront utilisées dans

l’analyse économétrique4. Ces observations proviennent de Cerutti et al. (2016,

2017)5. Ils ont répertorié un ensemble de mesures macroprudentielles dans 64 pays.

Ces données trimestrielles captent l’intensité de l’usage des mesures prudentielles du premier trimestre de 2000 au dernier de 2014. Il y a initialement cinq types de

3. Avec ce principe, le pays d’origine d’une banque internationale impose un coussin de fonds propres qui constitue une moyenne pondérée des exigences de capital dans les pays d’accueil où les banques opèrent, et dont les pondérations sont déterminées par la part de la banque dans différents pays.

4. Les données sur les contrôles de capitaux ne sont pas présentées car elles sont les mêmes que celles utilisées dans le premier chapitre.

3 Présentation et analyse des données (macro)prudentielles

mesures : les « tampons » de capitaux (« capital buffers »), les limites d’exposition interbancaire, les limites de concentration, les limites de ratio d’emprunt (« loan-to-value ») et les réserves obligatoires.

Une première construction des données a été réalisée en référençant les change-ments dans l’application des mesures. La valeur 1 est attribuée au trimestre donné quand la mesure est renforcée, -1 si elle est atténuée et 0 en l’absence de changement. Cette construction illustre à la fois la variation des mesures de manière qualitative et le sens de variation d’une mesure.

A partir de ces indices, les auteurs en ont construit d’autres qui concernent le cumul des variations des indices précédents. Chaque trimestre représente la somme des variations depuis le premier trimestre de l’an 2000. Cela permet de signaler le degré de resserrement ou de relâchement d’une mesure à n’importe quel trimestre par rapport au trimestre de base (à savoir le premier de l’an 2000). Cependant, même si cet indice permet de décrire la fréquence des changements au fil du temps, cela ne permet pas de réaliser une analyse en panel inter-pays sur les différences d’application des mesures. D’une part, le niveau de régulation peut être différent au tout premier trimestre de l’échantillon. D’autre part, les changements dans les me-sures peuvent être en réalité d’ampleur variable d’un pays à un autre. Ces remarques seront prises en compte pour la suite de l’analyse.

Différentes sources d’informations ont été utilisées par Cerutti et al. pour consti-tuer cette base de données macroprudentielles. La plus importante provient d’une étude du FMI : « the Global Macroprudential Policy Instrument (GMPI) ». C’est une enquête dont les réponses proviennent directement des autorités des pays concer-nés. Pour compléter leurs données, les auteurs ont exploité des données de diffé-rents pays, de l’IBRN (« International Banking Research Network ») ou encore sur d’autres bases de données construites par d’autres auteurs : Lim et al. (2011), Akinci et Olmstead-Rumsey (2015), Kuttner et Shim (2016), et Reinhart et Sowerbutts (2015).