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La construction de sols pour l’agromine du Ni

PARTIE 1 Agromine du nickel,

4. Le génie pédologique pour valoriser des déchets métalliques

4.3. La construction de sols pour l’agromine du Ni

produits chaque année (Tableau 5). Ces matériaux peuvent être de composition très variée, depuis

des matières minérales à organiques ainsi que des matériaux de composition intermédiaire.

Tableau 5 _ Matériaux délaissés en lorraine (Colin et Guimont 2013; De Rauglaudre et Louchez 2013)

Flux annuels de matériaux délaissés (t an

-1

)

Terre traitées 85 000

Cendres volantes 70 000

Sédiments de dragage 50 000

Boues industrielles 52 000

Sables de fonderie 15 000

Boues de l’industrie agro-alimentaire 27 000

Déchets verts 7 500

Déchets de démolition 7 000

Au-delà de la reconstitution de sol, nécessaire à la réhabilitation des sites dégradés (miniers,

industriels, etc.), la construction de sol met en avant une démarche environnementale

respectueuse et s’attache à valoriser et recycler les matières délaissées (Damas et al. 2016). Pour

les parcelles LORVER, une analyse du cycle de vie a montré l’intérêt et les limites de la démarche

(Rodrigues 2016). L’objectif est de créer des sols durables, ce qui est différent dans le cadre de

l’agromine où l’objectif est d’obtenir un substrat fertile et contenant des métaux. Le

développement de végétaux est possible sur des Technosols contenant des concentrations

métalliques très élevées (Huot et al. 2015a). La composition de substrats pour l’agromine peut

s’apparenter à la composition des sols miniers, industriels, dégradés qui sont réhabilités ou

« reconstruits » pour permettre le développement de végétaux (phytostabilisation ou

-extraction).

4.3. La construction de sols pour l’agromine du Ni

Il s’agit, à partir de matériaux délaissés, de créer les conditions de croissance des plantes et du

transfert des métaux, c’est-à-dire la partie agronomique de la filière agromine. Celle-ci est en

amont de la filière de production de produits à base de métaux et nécessite de rassembler des

propriétés nécessaires pour le développement de végétaux dans un substrat élaboré à partir de

déchets. Ainsi, cette démarche s’inscrit comme une toute première étape de l’agromine et

constitue une recherche en amont des schémas déjà établis (Figure 11). Ceux-ci consistent à

commencer « l’exploitation minière », donc l’extraction de métaux, à partir d’un sol ultramafique,

c’est-à-dire avec un substrat déjà en place. Dans le cas de ces travaux, la première étape consiste

donc, en amont de la culture de plantes, à sélectionner et agencer des matériaux.

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Figure 11 _ Modèle pour un système économique viable de phytomining (Brooks et al. 1998)

Pour la mise en œuvre de l’agromine, l’objectif est de construire un substrat contenant des métaux

et, fertile, pour permettre la culture des plantes, afin de i) récupérer les métaux et ii) détoxifier le

milieu.

La première étape consiste à identifier des déchets riches en Ni et quantifier les gisements. Il s’agit

ensuite de caractériser ces déchets et de formuler un substrat fertile à l’aide d’amendements

appropriés. Les paramètres déterminants seront : la teneur en métaux, le pH, les concentrations

en nutriments et en matière organique et la capacité de rétention en eau.

La seconde étape vise à sélectionner les plantes et étudier leur installation sur ces substrats en

menant des expériences de germination et croissance.

Enfin, la troisième étape est de passer à l’échelle de la parcelle pour étudier le développement des

plantes en conditions réelles, établir des bilans de matières sur les différents éléments et

surveiller la composition des lixiviats.

À l’heure actuelle, à notre connaissance, deux expérimentations de ce type ont été menées. Une

première dans le cadre du projet LORVER où des substrats ont été formulés avec de la terre traitée

par biopile mélangée avec des boues métalliques (contaminées en Pb, Zn, Cu et Cd) en présence

ou non de biochar sur lesquels était cultivé l’hyperaccumulateur N. caerulescens (ainsi que

peuplier, chanvre et ortie pour produire de la biomasse). Les essais en parcelle ont été conduits

en Lorraine (France) (Kanso 2016). D’autres études ont été menées à Vienne (Autriche) afin de

récupérer les métaux de déchets urbains incinérés (Rosenkranz et al. 2017). Des substrats ont été

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élaborés avec des cendres et des résidus de traitement biologique de déchets municipaux

amendés avec du biochar de bois. Sur ce substrat, ont été cultivées cinq espèces différentes dont

deux hyperaccumulateurs en vase de végétation, mais la production de biomasse s’avère difficile

du fait des propriétés physico-chimiques du substrat dont des concentrations métalliques élevées.

Les données acquises en parcelle devront permettre de dimensionner l’expérience en grandeur

réelle et de répondre à des questions fondamentales pour évaluer la pertinence de l’approche :

 Les plantes peuvent-elles se développer sur ces agrosystèmes en conditions climatiques

réelles ?

 Quelles quantités de métaux peuvent-elles prélever, ou autrement dit, quel est le nombre

de récoltes nécessaires pour détoxifier le milieu ?

5. Conclusion

L’exploration botanique permet aujourd’hui de disposer d’une large palette

d’hyperaccumulateurs pour l’extraction de différents éléments, tels que le Ni, Zn, Co etc. (Brooks

et al. 1977; Baker et Brooks 1989; Van der Ent et al. 2013, 2016). Cette haute diversité permet

d’adapter le choix de l’espèce pour la phytoextraction selon le type de contaminant et le climat.

Cependant, leur domestication et la maitrise de leur culture restent partielles et il est nécessaire

de sélectionner des individus tolérants la toxicité métallique, produisant une forte biomasse et

performant pour l’extraction du métal sélectionné. Cette sélection doit s’accompagner par la mise

au point de méthodes de multiplication et de conservation des individus (multiplication sexuée et

asexuée), la multiplication végétative étant peu explorée pour les hyperaccumulateurs.

Si le développement de l’agromine sur des sols ultramafiques permet aujourd’hui d’obtenir des

rendements de Ni de 112 kg ha

-1

an

-1

, la transposition de ce procédé à des matrices anthropiques

multicontaminées, telles que les sites miniers ou des déchets métalliques, s’avère complexe et

nécessite de plus amples recherches. La phytoextraction sur ces matrices implique d’améliorer le

substrat pour créer les conditions d’installation et de croissance des plantes : apport de matériaux

organiques suivi du choix d’itinéraires de culture (fertilisation, inoculation, densité de semis, etc.)

pour garantir les meilleurs résultats. Ainsi, les essais effectués sur ces matrices peuvent aider à la

compréhension des mécanismes de compétition entre éléments et, face à la mise en évidence des

facteurs limitants, proposer des solutions concrètes validées in situ. L’utilisation de biochar n’a

pas été testée dans le cadre de la culture d’hyperaccumulateurs de Ni. Cependant, elle permet

d’améliorer l’installation et le développement des plantes, et dans certains cas l’extraction de

métaux. Il est donc nécessaire d’explorer cet amendement dans un contexte d’agromine du Ni.

Récemment, des travaux ont été menés sur la construction de sol à destination principalement

des milieux urbains, dans lesquels les sols souvent perturbés par les activités anthropiques sont

fortement dégradés voir absents. Cette technique s’appuie sur la volonté d‘utiliser des ressources

non valorisées, préservant les matières non renouvelables telles que la terre végétale. Dans le

cadre de l’agromine, l’utilisation de matériaux délaissés dans l’élaboration d’un substrat n’a que

très récemment été explorée pour le cas du Cd et Zn, mais pas pour le Ni. Ainsi, de nouveaux

champs de recherche s’ouvrent d’une part pour l’identification de matériaux potentiellement

utilisables et par ailleurs sur la connaissance de leurs propriétés seuls, assemblés et de leur

vieillissement en tant que substrat.

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L’enjeu de cette thèse est donc de démontrer la faisabilité de l’élaboration de substrats pour

l’agromine, particulièrement du Ni, et ainsi de proposer une nouvelle voie de l’agromine, non plus

à partir de sites ultramafiques ou dégradés, mais par la mise en place d’agroécosystèmes

construits à partir de matériaux délaissés métalliques, en alliant génie végétal et génie

pédologique (Figure 12).

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Figure 12 _ Insertion des travaux de thèse dans la filière agromine : un système de production et de valorisation de la biomasse à faible intrant et faible

coût

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