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1.2 La (re)construction de l’identité « ethnolinguistique »

1.2.4 La construction de l’identité « ethnolinguistique »

La langue est l’expression de l’individu qu’elle définit, elle est un élément de visibilité, audibilité et de pouvoir, elle se transmet, et elle participe à la reproduction, la construction et la représentation de la société (Fortier, 1991). C’est un marqueur identitaire qui structure les personnalités des individus et qui définit les groupes, les fameuses « communautés linguistiques »24 (Gumperz, 1971), en débat encore aujourd’hui.

23 Article publié le 26 mars 2010 : http://www.cafebabel.fr/culture/article/carme-riera-le-catalan-nen-a-

plus-pour-longtemps.html

24 Définition de « communauté linguistique » par John J. Gumperz: “A social group which may be either mono or multilingual, held together by frequency of social interaction patterns and set off from the surrounding areas by weaknesses in the lines of communication », « it may consist of small groups bound

53 L’identité se définit par les interactions dans une ou plusieurs langues, mais aussi comme représentation de tout le système culturel et symbolique qui sert de cadre au groupe, à la « communauté » que nous définissons de « ethnolinguistique »; une « identité- appartenance » où la langue, dans les pratiques langagières mais surtout dans ses représentations, joue un rôle de protagoniste. La notion d’« ethnicité » est importante alors dans le parcours de définition de l’identité « ethnolinguistique » pour ensuite souligner le rôle de la langue comme marqueur de l’identité au sein d’une « communauté ».

1.2.4.1 Le débat français de l’« ethnicité »

En langue française et en particulier en France, nous pouvons rencontrer des difficultés épistémologiques concernant l’utilisation de certains termes et notions, comme par exemple « communauté », « ethnicité », « groupe ethnique ». L’utilisation d’« ethnicité » en France est moins courante que dans le monde anglophone où, par exemple aux États- Unis et au Canada, les étrangers arrivés grâce aux flux migratoires sont classés en « groupes ethniques » ou « communautés ». Les discours sur l’« ethnicité » en France résultent d’un processus colonial très éloigné de la réalité nordaméricaine (Amselle, 2010).

Le terme « ethnie » est toujours mis entre guillemets (Krieg-Planque, 2005), pour le différencier de « nation » et surtout de « race ». Dans ce jeu de définitions : « nation » se réfère plutôt à une entité politique et socio-historique, « race » qui a cependant perdu son utilisation après la 2e guerre mondiale (travail d’éradication fait par l’UNESCO25) se

réfère à des caractères biologiques et physiques communs et « ethnie » souligne un lien avec une culture partagée, ses symboles et ses pratiques, dont les pratiques langagières. Dans la définition de l’« ethnicité », les primordialistes se réfèrent plutôt à des attachements primordiaux et à des sentiments d’affinité (Geertz, 1963), mais cette définition peut aussi s’appliquer à une extension de la parenté (famille – grande famille –

together by face-to-face contact or may cover large regions, depending on the level of abstraction we wish to achieve”έ

25 UNESCO : United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization (Organisation des Nations

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groupe) au moyen de l’instrumentalisation de la « culture ». L’« ethnicité » constitue un système culturel qui permet aux individus de trouver ou de retrouver leur place, se définir, se faire définir et définir les « autres ». Cette construction de l’« ethnicité », maintien des pratiques culturelles et linguistiques, se fait par l’intermédiaire des associations, des entreprises, des commerces, du quartier, des médias et des activités culturelles (Fortier, 1992). La « culture », selon Denys Cuche, est comprise comme « un ensemble dynamique, elle s’impose aux individus d’un groupe comme patrimoine et héritage d’objets, de modes de pensée et de comportements qui donnent son identité au groupe et à ses membres, bien que ce soient les individus qui la produisent collectivement et qui organisent symboliquement son existence » (2010). Dans la définition de l’« ethnicité », la proximité entre « culture » et « ethnie » donne alors à réfléchir sur l’existence et l’utilisation de cette notion selon les critères de la société occidentale. L’« ethnicité » de nos jours existe, notre société la fait exister, mais elle fait référence aux « autres », c’est toujours les autres qui sont « ethniques » (Rivera, 1999). Mais, comment la définir ? Il y a des marques qui délimitent ses frontières : pays d’origine, langue, religion, coutumes, traits physiques, entre autres. Elle est facile à catégoriser, à construite et n’est pas « naturelle » ; elle demeure concrète tout en étant imaginée (Juteau, 1996). L’« ethnicité » peut être transversale et se construire entre plusieurs groupes culturellement et structurellement proches : « transethnicité » (Meintel, 1993). L’« ethnicité » peut aussi être partagée par différents groupes qui sont perçus comme un groupe homogène par l’extérieur : « panethnicité » (Lopez, Espiritu, 1990 : 198). Joshua A. Fishman (1989), de son côté, soutient que l’« ethnicité » existe dans la mesure où elle est reconnue, interprétée et vécue et qu’elle entretient un lien intime et sacralisé avec la langue. La langue est donc un élément constructeur et cohesif de l’« ethnicité » qui détermine et définit une « communauté ethnolinguistique ». Une « communauté ethnolinguistique » est une « communauté de communication », qui a en commun la même langue et partage les mêmes normes (Labov, 1976), mais aussi la même culture, la même « ethnicité ». La langue est-elle « ethnique » ? Marque de l’appartenance à un groupe, elle peut se définir ou être définie comme « ethnique ». Elle peut avoir des définitions selon les différentes perceptions : prestige, résistance, distinction, hiérarchie, entre autres. Souvent la définition de « langue ethnique », en contexte migratoire, se

55 rapproche de celle de « langue d’origine » ou « langue d’héritage » et indique une proximité et un besoin de référence avec un passé commun, une histoire, des racines. Cette « langue ethnique, d’héritage » n’est pas investie d’un caractère essentiel et vital à la survie de l’identité du groupe, mais elle occupe une place importante au sein du groupe. La langue devient un facteur de différenciation pour fonder l’idée de « groupe ethnique », non seulement en rapport à un pays d’origine ou à une histoire commune des ancêtres (langue d’héritage), le pays d’origine pouvant influencer les identités au sein du groupe (Oriol, 1988), mais aussi en rapport avec l’identité linguistique de chacun-e selon les pratiques langagières quotidiennes, en situation d’interaction (Piché, 1991).

La relation entre langue et « groupe ethnique » est donc fondamentale. La langue est un élément nécessaire et non négociable dans la définition du groupe, sauf si les membres veulent en manipuler les termes. La langue reste un outil de communication dans les pratiques, l’individu peut avoir plusieurs réseaux et développer une pluralité d’identités, il peut changer les paramètres de diversité et créer un lien différent entre la langue, et notamment ses pratiques, et l’« ethnicité ».

1.2.4.2 L’identité « ethnolinguistique »

L’« ethnicité » intervient dans la définition de l’identité « ethnolinguistique » d’une « communauté ethnolinguistique ». Ce processus identitaire se maintient de façon continue, il n’est pas figé. Dans cette définition, le groupe peut être vu comme un ensemble d’individus liés par des éléments communs. Il peut s’agir non seulement d’un groupe défini comme « ethnique », mais aussi d’un groupe ou sous-groupe qui utilise une même langue, une variante ou un registre de cette langue, c'est-à-dire un groupe qui utilise un langage spécifique avec son vocabulaire propre pour délimiter ses frontières. Les notions d’identité linguistique et d’identité ethnique s’entrecroisent ν la langue définit l’identité linguistique des locuteurs et locutrices par ses pratiques et ses imaginaires, pour les rattacher à une identité ethnique.

Selon Jerzy Smolicz, l’identité ethnique se fonde sur un ensemble de valeurs culturelles (langue, musique, nourriture, religion, structure familiale) et est organisée de façon systématique (Smolicz, 1981). Strictement liée au groupe, cette auto/hétero-identité de

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nature « collective » reste dynamique et mouvante. Elle maintient une forte conscience sur le concept d’« ethnicité » et ses Core Values (valeurs fondamentales), comme décrits par Jerzy Smolicz dans « Core values and cultural identity, Ethnic and Racial Studies » à propos du polonais en Pologne durant le XIXe siècle quand le pays avait été divisé entre ses puissants voisins : Autriche, Prusse et Russie, et la pratique du polonais se maintenait même si ses locuteurs et locutrices étaient persécuté-e-s (Smolicz, 1981). Cette identité peut alors avoir différentes valeurs et dans sa particularité de mouvance, elle peut être en alternance (Identity Switching), multiple (identité transnationale, transethnique) ou situationnelle. Il s’agit d’un tri de la part de « soi-même » et de l’organisation d’un étiquetage chez l’« autre ». Définir l’identité d’un groupe reste une façon de tracer des limites, des frontières avec ceux/celles qui n’appartiennent pas au groupe (Tabouret- Keller, 1997 : 316).

La « communauté ethnolinguistique » se définit alors, par un ensemble de marqueurs identitaires dont la langue est le véhicule et le passeport. La langue véhicule les discours de définition et d’appartenance au groupe déterminé, dans les représentations de ses locuteurs et locutrices. Et, dans les pratiques langagières, elle définit les limites du groupe au moyen d’un ensemble d’autres pratiques socio-culturelles (alimentation, traditions, origines géographiques, famille, coutumes, religion).

Dans un contexte où la langue est minoritaire, les contacts avec plusieurs groupes « ethnolinguistiques » différents donnent lieu à diverses possibilités d’identifications et modalités d’appartenance (Breton, 1994). Dans le cas des mouvements migratoires, la frontière à franchir n’est pas seulement physique, elle est aussi conceptuelle. Le passage d’un individu d’un groupe à un autre peut s’avérer compliqué, incertain et jamais completν il s’agit de l’acceptation d’un changement de définition de soi-même, au niveau individuel et collectif dans le groupe d’accueil. Les choix des langues peuvent devenir des « actes d’identités », des marqueurs, par lesquels les locuteurs et locutrices exposent discursivement leur identité personnelle, leurs affiliations à certains groupes et leurs aspirations à certains rôles sociaux (Lepage, Tabouret-Keller, 1985).

Ces « actes d’identité » clair dans les discours, le sont moins si nous observons les pratiques langagières, à travers lesquelles les locuteurs et locutrices (re)construisent leur identité dans un jeu de miroir continue entre eux-mêmes et l’« autrui ». Chaque locuteur

57 et locutrice fait un choix et construit son identité en fonction des pratiques. Dans l’univers des tribulations de l’identité, l’individu se questionne et se positionne par rapport à ses pratiques, en intéraction et en fonctions des représentations et imaginaires, dans un « jeu des identités ».

Pour conclure, dans le contexte de contact de langues, dans le cas particulier de l'immigration, la communication intracommunautaire dans un groupe aide ce dernier dans son parcours de recherche des éléments identitaires qui peuvent l’unifier, et en même temps facilite sa recherche des marqueurs qui peuvent le différencier des autres groupes. Les discours qui s’appuient sur des images de la langue La langue, dans ses pratiques et dans ses représentations et ses interprétations, demeure marqueur d’identité, véritable protagoniste dans le parcours de recherche identitaire de chaque individu.