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CHAPITRE 2 – C ARACTERISTIQUES SOCIODEMOGRAPHIQUES DE LA « COMMUNAUTE

2.1.1 La diaspora portugaise dans le monde

Le Portugal (Image 2a) a construit son histoire, son autonomie et son indépendance, grâce aux grands voyages. Pour des raisons historiques et politiques, ce petit pays tournant le dos à sa voisine, l’Espagne, s’est projeté vers l’océan Atlantique à partir du XVIe siècle, vers l’inconnu et la découverte. L’époque des découvertes, (en portugais « a

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época dos descobrimentos »), nous rappelle le passé glorieux et riche du pays lusophone et de son empire dans le monde entier. Par convention, 1415 désigne le début de la conquête portugaise, avec la conquête de la ville de Ceuta, actuellement enclave espagnole au Maroc. À partir de cette date, le Portugal a construit un des empires les plus grands et les plus puissants de l’histoire et le premier empire mondial réparti sur les cinq continents, qui correspond aujourd’hui à 53 états souverains différents. L’« Ultramar português » (outre-mer portugais) rassemblait l’ensemble des territoires administrés par le Portugal. Tout d’abord, les Portugais se sont installés dans les archipels vierges de l’Atlantique (Açores, Madère et Cap-Vert), puis ils ont rejoint le Golfe de Guinée, pour suivre la route du Cap de Bonne-Espérance, franchi par Bartolomeu Dias27 en 1488. Avec Vasco da Gama28, les caravelles portugaises sont arrivées en Inde en 1499, ont poursuivi la route vers la Chine et les Portugais sont ainsi devenus les premiers ambassadeurs dans ce pays, en 1513, et ouvrant les portes du Japon quelques années plus tard en 1543. L’exploration des Amériques a commencé à partir de 1500, avec la conquête du Brésil, puis l’exploration des côtes du Canada, au Labrador en 1521-25. L’empire colonial portugais s’étendait jusqu’en Afrique, en Amérique, en Asie et en Océanie. Ce fut le plus long des empires coloniaux européens, qui pris fin officiellement en 2002, date de l’indépendance du Timor oriental.

Durant cette période de domination et de contrôle du Portugal sur ses colonies, de nombreux Portugais se sont installés dans des territoires, dans des conditions différentes, souvent de façon temporaire. L’empire s’est développé initialement par le développement du commerce. L’installation des colons portugais et d’autres européens s’est accélérée grâce aux moyens de transport maritimes (bateaux à vapeur, transatlantiques), à partir du XIXe siècle et au début du XXe siècle, en particulier vers les Amériques, c’est ce qu’on appelle la « grande émigration européenne ». Les immigrés commencèrent à voyager pour trouver du travail, pour s’enrichir, pour se construire un avenir meilleur en s’installant dans le « nouveau monde ». Les ports de New York et Halifax au Nord, de

27 Bartolomeu Dias – Explorateur portugais (1450-1500), premier occidental à doubler le Cap de Bonne-

Espérance, qui appela « Cabo das tormentas » (Cap des tempêtes). Son voyage ouvrira le chemin maritime vers les Indes. Sa statue s’érige dans la ville du Cap en Afrique du Sud.

28 Vasco de Gama – Explorateur portugais (1460 ? – 1524), premier européen à arriver aux Indes par voie

69 Caracas, Rio de Janeiro, Santos (dans la colonie de São Paulo) et Buenos Aires devinrent les pôles d’attraction de ces vagues d’immigrants.

L’émigration portugaise, « diáspora portuguesa »29, qui privilégiait les territoires

coloniaux dont le riche Brésil, devenu indépendant en 182230, prit de l’importance à l’époque du régime dictatorial d’António de Oliveira Salazar31 (1933-1968), et son

apogée aura lieu après la Révolution des Œillets32 en avril 1974, chute pacifique du

régime. Tout au long de la période de régime dictatorial, sur la base d’une idéalisation nationale puissante du peuple portugais et de sa relation avec son « grand » passé, l’image de l’émigrant se construisit autour de la figure du navigateur, qui au XVIe siècle, avec sa « caravela »33, parcourait les océans et découvrait les différentes parties du monde (Serrão, 1982). Cet exode motivé par une ascension socio-économique, qui dans un premier temps avait été contrôlé et canalisé par le régime autoritaire et conservateur vers les colonies, s’orienta alors vers d’autres pays de l’Amérique, en particulier le Venezuela et l’Uruguay au sud, le Canada et les États-Unis, au nord. Par la suite, ces flux migratoires se dirigèrent vers les pays européens voisins en particulier la France, l’Allemagne, la Suisse et les pays du Benelux (Belgique, Pays-Bas et Luxembourg). De nos jours, nous pouvons encore observer la présence de groupes issus de ces flux migratoires dans plusieurs grandes villes au monde : Rio de Janeiro, Caracas, Montevideo, Newark34 (dans l’état du New Jersey), Montréal, Toronto, Paris et Luxembourg, entre autres. En Amérique du Nord, se trouve une majorité de population d’origine portugaise dans les états de la Nouvelle Angleterre (Rhode Island, Massachusetts et Connecticut notamment), de New York et du New Jersey et à l’ouest, en

29 Diaspora – concept assez vaste qui est ici utilisé en portugais, où son emploi est plus fréquent. Il existe

un Conseil de la Diaspora portugaise, qui a été créé en 2012 avec le patronage du Président de la République du Portugal www.diasporaportuguesa.org .

30 7 Septembre 1822 – « o grito de Ipiranga » (indépendance ou mort) date de commémoration de

l’indépendance de l’Empire du Brésil.

31 António de Oliveira Salazar – homme politique portugais, à la base professeur d’économie à l’Université

de Coimbra, président du Conseil des Ministres dès 1932 à 1968 et fondateur du régime autoritaire dictatorial de l’Estado Novo (État Nouveau).

32 Révolution des Œillets – Revolução dos Cravos ou 25 de Abril (25 Avril 1974), date qui marque le coup

d’état militaire et la chute du régime autoritaire de l’Estado Novo (État Nouveau), instauré par António de Oliveira Salazar en 1933.

33 Caravela – caravelle, bateau à voile des siècles XV et XVI.

34 Newark (NJ) – plus grande ville de l’état du New Jersey aux Etats-Unis, qui se situe dans la banlieue de

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Californie. Au Canada, l’émigration portugaise a laissé son empreinte dans les provinces de l’Ontario et du Québec à l’est, dans le Manitoba au centre et dans la Colombie Britannique à l’ouest.

Durant les années 70 et 80, le Portugal a connu des changements importants qui ont complétement transformé le pays. De dictature et de grand empire colonial, en l’espace de dix ans, le Portugal est devenu membre de la C.E.E.35, le 1er janvier 198636.

Cette nouvelle situation n’a pas changé la pauvreté du pays, qui est resté un pays d’émigration, bien qu’à partir de la fin du XXe siècle, il se soit considère comme un « pays d’immigration »37, avec les « retornados »38 de retour au Portugal en raison de la

Guerre Coloniale39 et des flux migratoires vers ce pays au commencement des années 2000.

Les discours autour de l’émigration des Portugais vers l’étranger ont toujours eu plus d’importance par rapport aux discours sur la nouvelle immigration vers le Portugal, et cela n’a pas aidé le pays dans son processus d’accueil et d’intégration des nouveaux groupes arrivés (Scetti, 2015). Depuis son entrée dans l’Union Européenne (UE), le Portugal a aussi été la porte d’entrée vers d’autres pays de l’UE et de l’espace Schengen pour de nombreux immigrants originaires du Brésil et des pays lusophones d’Afrique, facilités par la langue commune et la relation étroite avec le Portugal (lusophonie), en ayant facilité le processus d’acquisition d’un passeport européen (famille ou longue période de travail dans le pays).

Le nouveau « syndrome du succès » (Padilla, 2015) lié à cette idée de passage de pays d’émigration à « pays d’immigration » (symbole de richesse), masque la continuité de

35 C.E.E. – Communauté Économique Européenne, jusqu’au 1985 composée par 10 membres : les 6

fondateurs France, Italie, Pays-Bas, Allemagne, Belgique et Luxembourg (1958), Danemark, Irlande et Royaume-Uni d’un premier élargissement (1973) et la Grèce après le deuxième élargissement (1981).

36 1er janvier 1986 – signature de l’adhésion officielle du Portugal et de l’Espagne.

37 Immigration au Portugal – à partir des années 2000, nous soulignons des flux migratoires vers le

Portugal, notamment du Brésil et des anciennes colonies africaines (facilité par la langue et par l’ouverture sur l’espace européen), d’Europe de l’Est (Ukraine, Russie, Romanie, Moldavie et Bulgarie), d’Inde et de Chine. En 2012, 417.042 étrangers immigrés déclarés avec une naturalité autre que portugaise, soit le 4,53% de la population du Portugal (Statistiques SEF, 2012).

38 Retornados – retournés des colonies vers le Portugal à cause de la Guerre Coloniale (1961-1974). 39 Guerres Coloniales – Guerra do Ultramar ou Guerres de Libération (du point de vue des ex-colonies

portugaises en Afrique) : les guerres qui ont opposé les forces armées portugaises et les armées de libération des anciennes colonies portugaises en Afrique (Angola, Guinée-Bissau, Cap-Vert et Mozambique). Les conflits éclatent en Angola le 4 février de 1961 et se terminent avec la chute de la dictature, le 25 avril de 1974.

71 l’émigration portugaise. Dans la réalité quotidienne, suite à la crise qui a touché le pays ces dernières années, ce « syndrome du succès » demeure dans les esprits et est présenté par les médias comme « fuga dos cérebros »40, alors que les moins jeunes et peu éduqués abandonnent le pays pour les mêmes raisons économiques.

Image 2a – Division du Portugal en zones : Nord, Centre, Sud et Îles (Açores et Madère).