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Le « dépôt » du dimanche soir

2.2 La construction de l’autonomie culturelle

Dans son ouvrageIntroduction à la pensée complexe, Edgar Morin aborde l’autonomie comme un concept pluriel, nourri de multiples facteurs qui permettent à tout un chacun de s’épanouir et de devenir un individu autonome.

« La notion d’autonomie humaine est complexe puisqu’elle dépend de conditions culturelles et sociales. Pour être nous-mêmes, il nous faut apprendre un langage, une culture, un savoir, et il faut que cette culture elle-même soit assez variée pour que nous puissions nous-mêmes faire le choix dans le stock des idées existantes et réfléchir de façon autonome. Donc cette autonomie se nourrit de dépendance ; nous dépendons d’une éducation, d’un langage, d’une culture, d’une société, nous dépendons bien entendu d’un cerveau, lui-même produit d’un programme génétique, et nous dépendons aussi de nos gènes201 ».

La plupart des travaux qui sont menés sur l’autonomie des étudiants traitent particulièrement de l’aspect économique (Cicchelli, Erlich, 2000) et des processus d’autonomisation financières par rapport à la famille. Il s’agit principalement de considérer l’entrée dans l’âge adulte comme la capacité de pourvoir seul à ses besoins élémentaires : l’autonomie de l’individu résiderait donc dans un affranchissement financier de l’individu qui n’attendrait, dès lors, plus aucune aide.

L’indépendance financière à laquelle devraient tendre les étudiants peut donc être pensée comme un facteur incontournable de la construction de l’autonomie de la

jeunesse mais dans le cadre de ce travail de recherche, nous allons nous intéresser à la construction de l’autonomie culturelle. Nous avons vu que la manière dont se construit l’identité culturelle de l’individu tient aux cadres d’appartenances et aux apports des différentes sociabilités éprouvées depuis la prime enfance. La construction de l’identité est donc envisagée comme un processus global qui s’inscrit dans une dynamique permanente et qui se renforce au fur et à mesure des différentes interactions, des expériences culturelles et des différents modes de transmissions éprouvés.

Du cadre familial aux expériences vécues avec les pairs, la transmission est au cœur de la construction culturelle de l’identité, et se construit sur plusieurs niveaux, comme l’explique Damien Malinas dans son ouvrage Transmettre une fois ? Pour toujours ? :

« La transmission culturelle en tant queprocessus de formalisation s’éprouve par larépétition imposée de rituels de passage liés d’une part, à la famille et à sa dynamique (naissance, adolescence, fondation d’une famille, séparation, décès d’un proche...) et d’autre part, au monde par l’entremise d’évènements comme un concert, le Festival d’Avignon, la plus belle émotion culturelle, etc...202 »

De fait, la transmission culturelle apparaît comme un élément constitutif et incontournable de l’autonomisation culturelle : avant de s’affranchir, il faut pouvoir éprouver ensemble de manière sensiblement différente suivant qu’on évolue dans le cadre familial ou parmi les pairs. La construction de l’autonomie culturelle apparaitrait alors comme la mise en perspective de l’individualisation des pratiques culturelles et de l’affirmation des goûts personnels comme le décrit ici Hervé Glévarec :

202 MALINAS Damien,Portrait des festivaliers d’Avignon. Transmettre une fois ? Pour toujours ?

« L ’ a u t o n o m i e j u v é n i l e s ’ i n s c r i t d a n s u n e individualisation des pratiques au sein de la famille, qui se manifeste d’une part par la coexistence, sur des supports identiques ( principalement la télévision et l’ordinateur), de goûts culturels différenciés selon les générations et potentiellement concurrentiels et, d’autres part, par un accès précoce et autonome des jeunes à des contenus et à des contacts ( par l’intermédiaire du téléphone mobile et de l’internet) hors du contrôle parental. L’autonomie juvénile est ainsi l’effet de la culture sur les âges précoces203. »

L’autonomie culturelle peut apparaître comme un processus d’évolution double car elle se construit à la fois dans une dynamique d’opposition juxtaposée avec des périodes d’agrégation à ce cadre. De la même manière, la construction de l’identité culturelle s’éprouve par rapport aux pairs, dans une logique d’intégration tout d’abord, puis d’individualisation et d’indépendance.

La construction de l’autonomie culturelle n’est donc pas un processus linéaire, fixe, ou qui s’inscrit dans une dynamique similaire à tous, elle se construit de manière indépendante et se nourrit des apports des rituels éprouvés seul, ou en groupe et responsabilise par la suite l’individu dans la position qu’il prendra à son tour au sein de son groupe ; celui de prescripteur.

L’enquête que nous avons menée sur le terrain avignonnais nous a montré que les spécificités territoriales avaient un rôle essentiel dès lors qu’il s’agissait des pratiques culturelles de sorties, de la même raison que l’implication de l ’établissement universitaire d’appartenance dans les actions culturelles mises en place à destination de la communauté universitaire en général et des étudiants en particulier.

203 GLÉVAREC Hervé,La culture de la chambre, préadolescence et culture contemporaine dans l’espace familial, DEPS, Questions de culture, Paris, 2010, p.112

L’évocation des pratiques culturelles des étudiants de l’Université d’Avignon va dans un premier temps, nous permettre de mettre en perspective l’articulation globale des pratiques culturelles de sortie au sein de ce territoire avant de se pencher plus avant sur un rituel cinématographique spécifique que représente le film fétiche de salon et d’envisager enfin, à l’aune de ces multiples manières d’éprouver une pratique culturelle, les nouvelles perspectives de la transmission culturelle et le rôle des nouvelles générations dans la manière dont la culture est appréhendée aujourd’hui.

2.2.1 les pratiques culturelles des étudiants de l’Université

d’Avignon

Dans son ouvrageculture Lycéennes, la tyrannie de la majorité204, Dominique Pasquier évoque l’obsolescence du « système de forte sélection sociale décrit par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans les Héritiers205 » en évoquant le phénomène de massification scolaire qui permet aux enfants qui ne sont pas issus des classes supérieures de se projeter dans un cursus d ’études longues, même si cela n’occulte pas la sélection sociale, toujours présente. L’auteur explique ainsi : « Les inégalités sociales faces à l’école se sont déplacées vers le haut, en même temps que la scolarité s’allongeait206 ».

Le temps des études apparaît donc comme une temporalité particulière qui n’est pas exemptée des problèmes liés aux inégalités sociale, mais qui offre des cadres d’épanouissement comme autant de juxtapositions des différents facteurs constitutifs de cette période. Le fait de faire un état des lieux sur les différentes pratiques culturelles

204 PASQUIER, Dominique, cultures lycéennes, la tyrannie de la majorité, Paris, Les éditions autrement, 2005, 180 p.

205 BOURDIEU Pierre, PASSERON Jean-Claude,Les Héritiers, les étudiants et la culture, Paris,

Éditions de Minuit, 1964, p.64.

206 Pour expliquer cette tendance, l’auteur s’appuie sur l’article de Micher Euriat et Claude Thélot sur le recrutement social des élites scolaires. Ainsi, en 1999, les enfants d’ouvriers représentent 13,2% des étudiants en premier cycle universitaire alors qu’il ne sont plus que 5% en troisième cycle. Dans cet article, les auteurs mettent aussi l’accent sur le fait que les grandes écoles ( ENA, Normale Sup, Polytechnique) apparaissent comme davantage élitistes qu’auparavant. Cf EURIAT, Michel et THÉLOT Claude « Le recrutement social de l’élite scolaire en France. Evolution des inégalités de 1950 à 1990», Revue française de Sociologie, vol XXXVI, n°3, juillet-septembre 1995.

des étudiants permet de comprendre les rapports entretenus, avec le territoire d’une part, mais également avec les activités culturelles d’autres part.