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Faire ses bagages pour aller à l’université, c’est charger son sac non seulement d’objets essentiels au bien-être de la vie quotidienne, mais c’est également emmener avec soi son bagage culturel, construit à l’adolescence et depuis l’enfance. À la manière dont Andy range ses jouets dansToy Story 3122, peut-être arrivons- nous à l’université en déposant au fond d’une malle ces objets culturels constitutifs de notre adolescence, que nous regardons avec un regard emprunt de nostalgie comme le soulignent Emmanuel Ethis et Damien Malinas dans leur ouvrage Films de Campus :

« Entrer à l’université, c’est tenter de se faire reconnaître avec l’enveloppe sociale qu’on pressent pouvoir endosser pour notre future vie d’adulte, c’est commencer à prendre goût à ce sentiment d’exister qui implique qu’on en fi-nisse avec toutes les réminiscences de notre enfance et peu importe que ces dernières nous laissent un bon ou un mauvais souvenir : c’est apprendre à dire adieu aux amis avec qui on a grandi, à ceux à qui on a juré qu’on ne les quitterait jamais. Une déchirure, la première de toutes ces

121 Il s’agit de la devise de l’Université d’Avignon, empruntée à Hannah Arendt.

épreuves qui vont s’enchaîner et dont on devine qu’il va désormais falloir les affronter vraiment seul. On range «une bonne fois pour toutes» sa chambre, parfois le cœur serré, les ultimes jouets qui nous rattachaient encore à l’enfant qui est en nous et qui continuaient à accompa-gner certains de nos moments de solitude. Et, c’est en les mettant hors de notre vue qu’on touche à l’impérative né-cessité de nous mettre du même coup, nous aussi, hors de leur portée. Force est de constater que ces jouets étaient les derniers à connaître nos fantaisies d’enfance lorsque, sans pudeur, nous leur parlions de tout en feignant d’ignorer qu’en réalité, c’était d’abord à nous-mêmes que nous étions en train de parler 123».

En entrant à l’université, c’est tout un système d’affranchissements qui s’opère :à la fois avec la famille, si l’on quitte le domicile familial, mais aussi avec le système d’éducation et ses représentations que l’on pouvait se faire jusqu’alors. Si, au lycée, l’obtention du baccalauréat peut apparaitre comme une fin en soi, mais aussi comme pare-feu symbolique à une projection trop violente dans un futur inconnu, l’arrivée à l’université et les changements qui s’opèrent obligent alors l’étudiant non seulement à une remise en question, mais à une projection qu’il pouvait, de quelque manière, éviter jusqu’alors.

Les modes d’enseignements universitaires, et ce, encore davantage depuis la mise en place de la réforme LMD124, obligent l’étudiant à ne plus considérer sa formation

123 ETHIS Emmanuel, MALINAS Damien,Les Films de Campus, l’université au cinéma, Armand Colin, 2012.

124 La réforme dite LMD (pour Licence Master Doctorat) a été mise en place à partir de 2002 et sa mise en application s’est étalée sur plusieurs année. La communication faite autour de cette réforme par la ministère de l’enseignement supérieur et la recherche est la suivante : « Dans le cadre de l’harmonisation des cursus d’enseignement supérieur européens, le cursus universitaire français s’organise autour de trois diplômes nationaux : la licence, le master et le doctorat. Cette organisation,

comme « un tunnel » menant à l’obtention de la Licence ou du Master, mais à considérer l’ensemble des ponts qu’il est possible d’établir. Avec la réforme LMD, un étudiant peut choisir de changer de filière à la fin d’une première ou d’une deuxième année, afin d’adapter les enseignements à ses aspirations professionnelles. Ce système de pont entre les formations permet aux étudiants de ne pas s’imposer des oeillères, mais de rester actif dans leur choix d’orientation.

En arrivant à l’université, l’étudiant ne va plus seulement penser à la seule injonction de réussite au diplôme mais il doit également envisager son avenir à travers la mise en place stratégique de son parcours. Stages, choix des options, suivi de plusieurs cursus, semestre à l’étranger, sont autant de possibilités de construction d’un projet personnel choisi qui participera à l’autonomisation des étudiants dans leur parcours personnel. Ainsi, les enseignements transversaux au sein d’une même Unité de Formation et de Recherche (UFR) permettent aux étudiants d’élargir le spectre des enseignements et l’étendue des possibilités qui s’offrent à eux. L’étudiant n’est donc aucunement passif dans le choix de sa formation.

dite L.M.D., permet d’accroître la mobilité des étudiants européens, la mobilité entre disciplines et entre formations professionnelles et générales » (source : http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid20190/organisation-licence-master-doctorat-l.m.d.html )

Progressivement, il construit sa carrière125 d’étudiant de l’université. En effet, aujourd’hui les universités, les entreprises, mais aussi les missions locales destinées à l’insertion professionnelle et sociale encouragent les étudiants à regarder bien plus loin que la date-butoir des examens :entre la réalité du marché de l’emploi qui connaît une crise sans précédent, et la volonté des étudiants de réaliser leurs aspirations, ces derniers doivent rester forces de propositions et ce, dès la première année de leur entrée à l’université.

La construction de la carrière étudiante ne tient pas seulement à l’assiduité ou à la réussite aux examens, mais bien à un état d’esprit, une attitude qui dépasse le simple choix de suivi dans une discipline qu’on aurait « sélectionné », c’est cette aptitude à rester actif dans ce temps des études qui est pointé par Alain Renaut :

« Ce qu’il convient d’acquérir (nb : à l’université) c’est donc cet élargissement des perspectives qui fait qu’on ne se tient pas au domaine étroit de sa spécialité, mais que l’on envisage, aussi, sans cesse, la façon dont un savoir sectoriel s’intègre dans un ensemble plus vaste où il prend sens : seul un tel élargissement des perspectives fait que l’on est pas assujetti à ce que l’on sait sans véritablement le comprendre, au sens étymologique de la

125 Le choix du terme « carrière » est choisi pour faire écho au titre de l’ouvrage d’Alain CoulonLe Métier d’étudiant ,avec la dimension active que cela sous-entend, et la projection dans le temps. La terminologie de carrière d’étudiant a d’ailleurs été esquissé lors du compte-rendu de l’ouvrage d’Alain Coulon par Dan Ferrand-Bechman.

(Fernand-Bachmann Dan. Coulon (Alain). -Le Métier d’étudiant : l’entrée dans la vie universitaire.

IRevue française de pédagogie. Volume 131, 2000. Les formations professionnelles entre l’Ecole et l’Entreprise. pp. 138-139.)

« C’est donc bien plus qu’un métier que l’étudiant vient apprendre, c’est une carrière, une affiliation. Un parcours qui se fait à travers une grammaire complexe, qui ne représente pas la réalité mais l’univers de la représentation de la règle. Un parcours réussi quand l’étudiant bien initié a su ses enjeux et ses objectifs » (p.139)

compréhension, c’est-à-dire sans le prendre comme une unité elle-même dans une unité plus large, et cela à l’infini 126».

Aujourd’hui, la pluralité des formations, leurs diversités et leurs spécificités ainsi que leur reconnaissance au niveau national et international introduisent une dimension concurrentielle dans le paysage universitaire. De la même manière, la sélection opérée à l’entrée des masters oblige l’étudiant à construire son parcours en conscience des réalités, mais aussi des opportunités, et de la concurrence entre les étudiants venant de la même formation. Les étudiants sont donc contraints de subir une remise en question permanente, au regard de ces éléments, qui sont de nouveaux paramètres dans le parcours universitaire actuel. Un étudiant ne peut plus décider avec certitude, dès la première année, quel sera son master, et effectuer ce parcours sans d’autres soucis que le passage obligé que représentent les examens ponctuels.

La remise en question des étudiants devient donc un aspect constitutif de leur projection dans ce que sera leur carrière universitaire. Les réformes que subissent l’université, et de manière plus globale, l’enseignement supérieur, tendent de remettre l’étudiant au coeur de son dispositif d’orientation, et de le responsabiliser quant à la manière « d’être étudiant ». Ainsi, la mise en place du contrôle continu dans la plupart des universités aujourd’hui tend à faire de l’étudiant un individu assidu à sa formation et non un dilettante qui se soucierait juste de la date de son examen final. De fait, le contrôle continu permet également aux formations une évaluation régulière et un accompagnement personnalisé.

126 RENAUT Alain,Les Révolutions de l’université -Essai sur la modernisation de la culture, Calmann-Levy, Paris, p. 186