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La considération du sensible dans le métro

I) Le métro, un espace fonctionnel

6) La considération du sensible dans le métro

Nous avons vu ainsi précédemment les différents aspects qui concouraient à faire du métro un endroit à dominante fonctionnelle pensé dans l’optique de pouvoir rendre plus efficace le transport des passagers sur le réseau. J’aimerais toutefois ici rendre compte de certaines dynamiques établies par la RATP qui témoignent d’une approche différente.

André Peny, responsable de la structure « Research and innovation in transportation » depuis 2008, a réfléchit dans son article « Le paysage du métro : Les dimensions sensibles de l’espace transport » (1992) à certains aspects plus spécifiques du réseau métropolitain. La création de l’organisme dans lequel il travaillait à l’époque de la rédaction de cet article, l’Unité Prospective de la RATP, est

1 Léchenet A., Piel S., 2013, « Traque du tireur : le réseau de vidéosurveillance à l’épreuve », Le Monde 2 Ifsttar.fr, 2006, « La vidéo protection à la RATP. Réalités d’aujourd’hui et perspectives de demain »

61 le résultat d’une volonté de réfléchir de façon plus fine à la place du voyageur, qui n’est plus un simple « usager captif » (Margairaz, 1989), impulsée par le nouveau directeur de la RATP alors, Claude Quin, qui cherchait à prendre en compte des dynamiques sociales et plus personnelles au sein du réseau métropolitain. Cette unité veut ainsi prendre en compte dans son étude des spécificités plus sensibles, en lien avec l’architecture, la lumière, le son, les couleurs et les matières du métro (Peny, 1992).

Nous pouvons ainsi rappeler que les premiers efforts d’architecture intérieure du métro sont le résultat des théories hygiénistes des urbanistes et médecins du 19e siècle, qui cherchaient à agencer les équipements urbains pour permettre une meilleure circulation des fluides, notamment de l’air et des personnes (Lassus, 1989). Ainsi par exemple, le revêtement de faïence blanche des murs du métro fut réfléchit pour obtenir le meilleur éclairage possible en diffusant au mieux une lumière produite par des sources de lumières à l’époque peu puissantes – produisant 5 lux de lumières en 1900 contre 200 lux à la fin du 20e siècle (Tricoire, 1999 ; Peny, 1992).

Au travers du paysage visuel assez uniforme du métro – revêtement des murs, signalisation utilisée – s’ajoute plus ponctuellement des efforts faits pour apporter à cet espace des touches plus originales.

Dès l’ouverture du métro, il fut fait appel à des designers pour apporter une touche artistique au métro. Ainsi, Hector Guimard, artiste important du mouvement « Art Nouveau » - tendance artistique apparue à la fin du XIXe siècle en réaction au conformisme du paysage industriel, cherchant à réintroduire la nature dans ses conceptions, avec une utilisation très soulignée des courbes – va être appelé à réaliser en particulier les revêtements des bouches d’entrées du métro. La figure 9 présente la partie supérieure d’un « accès Guimard », caractéristique dans ses courbes et dans l’aspect surnaturel des lampadaires. Mais cette audace a été mal perçue par l’environnement parisien, qui dénotait une mauvaise lisibilité du terme « Métropolitain » et jugeaient du côté monstrueux de ces lampadaires, vus de nuit. La collaboration d’Hector Guimard et du métro s’est alors stoppée en 1913, et de nombreux accès qu’il avait réalisés furent remplacés dans les années 1960. Aujourd’hui, des politiques patrimoniales tendent à réinsuffler la « Touche Guimard » dans le métro.

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Figure 9 : L’accès Guimard à la station Denfert-Rochereau

Cliché : Boris Desbertrand, 2015, station Denfert Rochereau

Si nous regardons la figure 3, sur le quai de la ligne 12 à la station Montparnasse, nous pouvons apercevoir des éclairages colorés (que l’on retrouve sur quelques autres stations). Cet aménagement est le résultat du travail des designers de l’agence architecturale « Ouïdire » qui ont installés un bandeau en forme de faux soutenant l’éclairage et l’agrémentant d’une touche artistique, en partie pour mettre en valeur la voûte de la station.

De façon générale, de nombreuses stations présentent ainsi des spécificités qui contrastent avec l’uniformité paysagère du métro. Le site « www.symbioz.net » recense ainsi 61 stations sur le total des 302 stations du métro qui présentent actuellement des spécificités culturelles, donc une proportion de 5% de stations caractéristiques pour l’ensemble du métro. La ligne la plus marquée est la ligne 1, présentant à 9 stations des décors particuliers. Ceci peut s’expliquer par la fonction de « vitrine » internationale que représente la ligne 1 pour la RATP, desservant de nombreux lieux caractéristiques du patrimoine de Paris et étant par la même occasion la ligne du métro la plus fréquentée par les touristes. La figure 10 présente

63 un extrait de la fresque de 180 m² sur la station Bastille au quai de la ligne 1, représentant les évènements de la Révolution Française, réalisée aux ateliers des carrelages de la Bussière, dans le département du Loiret, en 1989.

Figure 10 : Fresque (extrait) du quai de la ligne 1 à la station Bastille

Cliché : Boris Desbertrand, 2015, station Bastille

Au-delà de la prise en compte du visuel, l’unité prospective s’intéresse aussi au paysage sonore du métro. Deux extrêmes sont d’abord envisagés dans le champ sonore : c’est le « bruit qui gêne », et la « musique qui anime » (Peny, 1992). Nous avons ici un exemple d’une mention, certes très brève, du phénomène musical dans une étude de la RATP. Cette prise en compte amène à réfléchir sur trois grandes dimensions qui participent à l’identité sonore du métro (Peny, 1992) :

- Une dimension ferroviaire : les sons des équipements techniques des rames du métro (moteur, rails, portes)

64 - Une dimension humaine : les sons des voyageurs (pas, discussions, etc), et des agents de la RATP, notamment les annonces diffusées par les hauts parleurs

- Une dimension d’animation, par des activités commerciales et culturelles, dont musicales

L’Unité Prospective cherche alors à s’interroger sur un « design sonore » propre au métro, accentué par les caractéristiques architecturales : l’acoustique du métro et la réverbération des agencements internes. Ces questionnements sont ainsi révélateurs d’une prise en compte du métro comme un environnement complexe et possédant des caractéristiques parallèles à celles uni-fonctionnelles du transport, notamment lors de l’allusion à une dimension d’animation, que je creuserai par la suite de mon travail.

Toutefois les impacts de ces études portées sur l’espace sensible du métro restent à relativiser. Elles restent pour la grande part cantonnées par la dimension fonctionnelle de transport du métro, et ne sont souvent perçues que comme des outils pour optimiser la qualité de transport. Les théories hygiénistes de la fin du 19e siècle, soucieuses d’établir au métro un rapport pratique, sûr et sain, ont pour beaucoup cantonnées l’utilisation du sensible à un rapport rigoriste et utilitaire.

Pour apporter un point de réflexion au sujet de la place des approches sensibles dans le métro : « L’optimisation du rapport entre forme et fonction, vision

d’un métro considéré comme un objet technique dont l’appréciation est liée aux performances, nous fournit une première définition de l’esthétique, une définition strictement fonctionnaliste : ‘’le beau, c’est l’utile’’. Autour des grandes fonctions initiales du métro, colonisation du sous-terrain, gestion des flux humains, circulation de trains, le calibrage des espaces (largeur des couloirs, signalétique...), le dimensionnement des équipements techniques (sonorisation, péages, éclairage) ont contribué à définir un espace du transport dans lequel le confort a été intimement lié à la performance technique. Bien sûr de nouvelles fonctions ont vu le jour dans les stations (commerces, information...) mais l’approche à dominante fonctionnaliste des milieux techniciens de l’entreprise y est toujours prépondérante » (Peny, 1992, p.21).

Selon les termes d’André Peny, il existerait dans le réseau métropolitain un jeu complexe de relation entre une dimension fonctionnaliste et une dimension

65 sensible qui entretiennent de l’un à l’autre un rapport de pouvoir inégalitaire, le sensible étant dans cette structure au service du fonctionnel. L’approche que je ferais de l’aspect sensible de la musique me permettra de creuser plus en profondeur cette problématique. Avant cela, je vais chercher à étudier la place de l’homme dans cet espace : comment appréhende-t-il le métro ? Quels en sont ses usages ? Ceci me permettra de pouvoir m’interroger sur une possibilité d’imaginer le métro comme un espace « à vivre », qui peut être générateur d’expériences. Le questionnement sur le vécu de l’homme dans le métro va me permettre de mieux cerner dans la partie suivante le point axial qu’il y a entre le phénomène de transport et le phénomène musical, c’est-à-dire les personnes qui peuvent selon ces deux espaces être tantôt voyageurs, tantôt public et auditeurs.