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L’usage du métro par les musiciens

II) La place de l’homme dans le métro

2) L’usage du métro par les musiciens

Comme le dit le chercheur G. Rose, « La même location peut être interprétée

à travers différents senses of places » (Rose, 1995, p.97)1. Le métro peut être interprété de différentes manières selon les personnes qui le traversent. Cette différence peut se traduire entre voyageurs et musiciens, mais aussi entre musiciens

88 eux-mêmes : chaque musicien à ses raisons, plus ou moins particulières, pour utiliser le métro à fin musicale. L’échange que j’ai réalisé avec les divers musiciens m’a permis de dégager certains traits caractéristiques.

L’aspect économique est souvent le premier point qui motive les musiciens à jouer au sein du métro. Le fait que leurs prestations puissent être rémunérées par les personnes en transit fait de cette activité un véritable métier. Le métro peut être considéré comme un « lieu à haute sensibilité économique » (Augé, 1986, p.81). En effet, les comportements dérivés et extra-narratifs au transport tels que commerces ou prestations musicales s’expliquent surtout par la profusion de personnes qui utilisent le métro chaque jour. La disposition du métro permet alors d’optimiser la distribution d’une richesse produite, dans notre cas celle d’une prestation musicale, face à public très dense, et donc ainsi de pouvoir toucher hypothétiquement un grand revenu. Certains musiciens en font leur seul métier : ainsi Ion y consacre tout son temps lorsqu’il est à Paris, jouant tous les jours et quasiment sur toute la journée. Il m’a expliqué qu’il y voit la meilleure façon de gagner sa vie, jouer ici lui rapportant plus que jouer dans les bars. D’autres considèrent ce travail comme une source secondaire de revenus et jouent de façon plus ponctuelle dans le métro.

A ces caractéristiques économiques s’ajoute la qualité du métier en lui-même. Celui-ci est perçu comme vecteur de liberté, les musiciens n’ayant aucun patron pour décider à leur place de l’organisation de leur travail (horaires, lieux, type de musique joué etc). Ainsi Spike aime le métro qui lui permet de rester souple et de garder un mode de vie quelque peu nomade : il est possible de ne pas y jouer pendant longtemps et d’y revenir sans que cela ne soit réprimandé par qui que se soit.

Le métro est aussi perçu comme un outil pour relier le musicien à d’autres échelles dans le secteur musical, au travers des rencontres que l’on peut y faire. Certains musiciens m’ont ainsi proposé de les accompagner aux percussions afin de mettre en place un projet pour jouer dans les bars, dans des salles de concert. Cela fait penser que le métro n’est pas en général l’espace public unique ou le musicien va exercer ses talents, s’arrangeant pour garder un pied dans différents univers. Les chanteuses du groupe MIAM m’ont ainsi confié qu’elles ont rencontrées dans le métro leur « mécène » qui les a fortement épaulés pour l’élaboration de leurs projets. Soleil Man considère le métro comme un tremplin qui peut lui permettre de le

89 propulser à une autre échelle : certaines rencontres qu’il a fait dans le métro lui ont permis de se faire enregistrer et de partir voyager à un festival de musique en Amérique. Le métro devient ici un moyen de se faire connaître, de progresser.

Une autre constante est celle de l’utilisation du métro comme lieu d’entraînement. Il n’y a pas ici la pression qui peut être plus palpable durant un concert, où tout le monde a les yeux rivés sur l’artiste. L’anonymat permet de pouvoir prendre le temps de travailler sa sonorité, ses techniques de jeu. L’idée d’être face à un public permet d’expérimenter son approche et sa prestation, de tester ses compositions et ses créations en observant ce qui semble plaire et toucher des personnes, et donc ce qui mérite d’être plus travaillé. Le métro devient alors un laboratoire, selon les termes de Soleil Man. Le chanteur d’opéra Christophe considère que le métro lui apporte un renouveau dans son art lyrique qui selon lui doit être joué dans la rue et non pas exclusivement dans les salles d’opéra, composées d’un public fermé et très bourgeois : la perméabilité plus grande du métro permet d’être au contact d’un éventail très large de personnes et donc d’affiner son jeu, de le rendre plus accessible et plus populaire. Ce travail ce fait alors par l’expérimentation : selon la maîtrise que l’on a de son talent d’artiste, on va ainsi pouvoir aller chercher ce qui résonne le plus dans l’intimité des personnes qui se trouvent en face de soi. Il y a aussi ici l’idée d’un endroit inspirant, où le public devient une source d’essai qui impulse le besoin de se dépasser pour arriver à capter son attention.

Enfin, le musicien peut considérer qu’il a un rôle à jouer vis-à-vis du métro, que sa prestation est à sa place pour chercher à amener le voyageur à être transporté, non plus par les rames mais par la musique. La sociologue Anne Marie Green, qui a étudié le phénomène musical dans le métro parisien dans les années 1990, relève l’idée que les musiciens du métro remplissent une certaine fonction de thérapeute, qu’ils aident les voyageurs à sortir quelque temps de leur quotidien (Green, 1998). Le métro devient un endroit à soigner : il s’agit ici de plonger le public dans un autre univers, de lui faire oublier - quand ils existent - ses problèmes liés à la vie de tous les jours en lui proposant de prendre le temps de partager un instant agréable. Fanny du groupe MIAM trouve que son activité musicale aide à transmettre dans le métro une certaine chaleur humaine. Gérald considère que son travail permet d’apporter une autre dimension sonore que celle des bruits du métro, qui

90 peuvent devenir sources d’aliénation. La musique est ici appréhendée comme un oasis au sein de l’environnement du métro qui donne à celui qui prend le temps de l’écouter un peu de bonheur, et d’allégresse.

L’association de termes géographiques et musicaux est très fréquente dans le langage courant, comme l’explique Claire Guiu (Géographie et culture n°59, 2006) : musique de chambre, musique du monde, musique d’ascenseur, etc. Au même titre, les musiciens que l’on croise dans le métro sont communément appelés « musiciens du métro ». Pourtant, derrière ce terme, on peut se rendre compte que chaque musicien possède un rapport particulier au métro : il est pour certains considéré avant tout comme une source de revenus, pour d’autre comme un lieu d’inspiration, pour d’autres encore comme une activité occasionnelle, etc. Selon l’investissement, le nombre de temps passé dans le métro, certains musiciens seront ainsi plus « du métro » que d’autres. Ce terme est d’autant plus réducteur car la grande majorité des musiciens connaissent une vie musicale forte en dehors du métro. Selon ce que chaque musicien recherche dans le métro, on va d’ailleurs pouvoir se rendre compte qu’il va préférer un lieu à un autre, créant ainsi des spécificités locales au sein du réseau qu’il est intéressant de chercher à mieux étudier.