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La conscience-liberté admet-elle des degrés ? Quelles conséquences

C’est par un dialogue entre Bergson et Sartre, tempéré par Aristote, que nous proposons d’aborder cette question.

1. La liberté, expression rare d’un « moi profond »

L’originalité essentielle de Bergson est d’avoir mis l’accent sur le fait que la qualité spécifique des états de conscience est la durée, donnée qualitative et intérieure, représentant notre vécu temporel : le temps subjectif peut s’accélérer ou se ralentir selon nos émotions ou notre ennui, être vécu de manière plus ou moins intense ; en aucun cas la conscience ne peut faire l’économie de la durée et de l’attente de l’événement qui va surgir. La conscience est ainsi un mouvement continu dans la durée, un trait d’union entre notre passé immédiat sur lequel elle s’appuie grâce à la mémoire et l’avenir imminent sur lequel elle se penche3, à l’opposé d’une juxtaposition dans l’espace d’états psychiques juxtaposés4. Le moi ne juxtapose pas les états de conscience antérieurs à l’état actuel, comme un point à un autre point, « mais les organise avec lui, comme il arrive quand nous nous

1

Ibid., p. 173.

2

Descartes, Discours de la méthode, op.cit., p. 28.

3

H. Bergson, L’énergie spirituelle, op.cit., p. 6.

4

« Le moi intérieur, celui qui sent et se passionne, celui qui délibère et se décide, est une force dont les états et modifications se pénètrent intimement, et subissent une altération profonde dès qu’on les sépare les uns des autres pour les dérouler dans l’espace ». Essai sur les données immédiates de la conscience, op.cit., p.93.

rappelons, fondues pour ainsi dire ensemble, les notes d’une mélodie1 ». La conscience est dans ce mouvement, permanente création, « jaillissement perpétuel d’imprévisible nouveauté » mais aussi progression grâce à la synthèse des positions successives qu’elle se remémore2.

C’est ainsi que notre « moi profond » se constitue, œuvre en permanente création et source de l’acte libre, que Bergson oppose au « moi superficiel » qui régit l’action habituelle et automatique dans la vie de tous les jours. Le rapport entre ce moi et l’acte qu’il accomplit est indéfinissable, précisément parce que nous sommes libres3.

La conception bergsonienne de l’acte libre est donc celle d’un choix effectué par notre moi profond, qui exprime notre personnalité :

« Nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l’expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu’on trouve parfois entre l’œuvre et l’artiste[…] En un mot, si on convient d’appeler libre tout acte qui émane du moi, et du moi seulement, l’acte qui porte la marque de notre personne est véritablement libre, car notre moi seul en revendiquera la paternité4 ».

Bergson distingue les actes journaliers, se lever, vaquer à ses occupations quotidiennes, « comme un automate conscient5 » et l’acte libre, qui est rare, apparaissant lorsqu’il s’agit de choisir, de prendre une décision. C’est alors notre personnalité toute entière, notre moi entier et concret qui s’exprime, grâce à la mémoire qui sédimente, concentre, fusionne dans la durée l’hétérogénéité de l’existence passée (à l’inverse d’une juxtaposition d’expériences qui s’inscriraient dans un espace et ne pourraient constituer une personnalité). Pour Bergson, la conscience est une mémoire, qui s’enrichit sans cesse dans la durée, assortie d’une liberté qui s’exprime au moment du choix : « Si conscience signifie mémoire et anticipation, c’est que conscience est synonyme de choix6 » et « on appelle liberté le rapport du moi concret à l’acte qu’il accomplit7 ». Anticipant les données neuroscientifiques que nous venons d’exposer, Bergson ajoute : « le cerveau est un organe de choix 8».

Mais cette liberté est rare, souvent remplacée par les habitudes et les activités mécaniques, automatiques :

« la conscience s’endort là où il n’y a plus de mouvement spontané et s’exalte quand la vie appuie vers l’activité libre […] Qu’arrive-t-il quand une de nos actions cesse d’être spontanée pour devenir automatique ? La conscience s’en retire9 ».

Et le danger est grand d’une vie intérieure cristallisée, formée d’états psychiques juxtaposés et comme solidifiés, reliés au monde extérieur par des

1 Idem, p. 74. 2 Ibid., p.83. 3

« On analyse, en effet, une chose mais non pas un progrès ; on décompose de l’étendue, mais non pas de la durée ». H. Bergson, ibid., p.165.

4

Ibid., p. 129.

5

Ibid., p.126.

6

H. Bergson, L’énergie spirituelle, op.cit., p. 11.

7

H. Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, ibid., p. 165.

8

H. Bergson, La conscience et la vie, Paris, PUF, 2011, p. 9.

9

associations stables et prévisibles, s’opposant à l’acte libre qui murit de façon dynamique au sein d’une durée hétérogène et vivante : « peu à peu, notre conscience imitant le processus par lequel la matière nerveuse obtient des actions reflexes, l’automatisme recouvrira la liberté1 ».

Mais dans la vie quotidienne, je peux aussi avoir avantage à être un automate conscient pour vaquer à des occupations sans que ma personnalité entière s’y intéresse. Pour Bergson, la liberté ne présente pas un caractère absolu, elle admet des degrés2.

La conscience en tant que liberté est donc la vie même dans la mesure où l’être vivant choisit et crée, elle est « coextensive à la vie » et s’oppose à la matière : « La matière est nécessité, la conscience est liberté3 ». Bergson décrit ainsi deux voies qui s’ouvrent à la « matière vivante » : s’orienter dans le sens du mouvement et de l’action de plus en plus libre, c’est la voie du risque et de l’aventure, mais aussi de la conscience, avec ses degrés croissants de profondeur et d’intensité ; aller plutôt vers l’immobilité, la torpeur, l’existence assurée, tranquille, bourgeoise, c’est l’assoupissement définitif, c’est l’inconscience4. La nature sait nous avertir par un signe lorsque la liberté s’est si bien exprimée qu’elle rejoint comme « notre destination ».

« Ce signe, c’est la joie. Je dis la joie, je ne dis pas le plaisir […] la joie annonce toujours que la vie a réussie, qu’elle a gagné du terrain, qu’elle a remporté une victoire […] partout où il y a joie, il y a création : plus riche est la création, plus profonde est la joie5 ».

Bergson prend l’exemple du commerçant qui développe ses affaires ; richesse et considération lui apportent des plaisirs, mais « ce qu’il goûte de joie vraie est le sentiment d’avoir monté une entreprise qui marche, d’avoir appelé quelque chose à la vie ». On est donc loin ici du libre-arbitre, de l’action indifférente : conscience, liberté et joie sont liées parce qu’elles sont création6.

Au total, pour Bergson, conscience et liberté admettent des degrés. Au summum de la vivacité de la conscience se place l’acte libre, dans lequel est en jeu toute la durée de l’existence qui précède et la projection sur l’avenir.

A ce niveau, le choix ou la décision est difficile pour une conscience malade dont on ne peut exiger qu’elle prenne le risque de la nouveauté ou de l’inconnu. Par contre, dans la vie quotidienne, tous les intermédiaires existent entre cet acte libre qui fait intervenir notre moi profond et nécessite l’intégrité de la conscience- mémoire et de la conscience-liberté, et d’autre part l’existence figée dans une routine qui annihile toute conscience, situation qui correspond effectivement aux démences évoluées. A tout moment, et même dans ces états de démence évoluée, un acte de liberté apportant de la joie est possible ; il sera mineur (décider de s’habiller malgré sa fatigue pour recevoir ses petits-enfants ?) mais exprimera néanmoins des valeurs ou des désirs qui reflètent un « moi » encore existant, qui ne disparaîtra complètement que dans l’état végétatif. C’est à cette liberté que

1

H. Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, ibid., p. 178.

2

Ibid., p.125.

3

Ibid., p. 13.

4

H. Bergson, L’énergie spirituelle, ibid., p. 12.

5

Ibid., p. 23.

6

s’adresse le concept d’autonomie « accompagnée » que nous développerons bientôt dans ce travail.

Mais à cette conception bergsonienne de l’acte libre, s’oppose un abord plus exigeant, qui fait de liberté un acte de conscience de tous les instants, sans degrés dans les possibles.

2. La conception sartrienne de la conscience-liberté

La liberté est choix permanent chez Sartre, car liée à l’acte même de la conscience. La conscience ne s’exprime pas comme liberté de manière seulement exceptionnelle, au moment des choix décisifs de la vie engageant le moi profond, mais aussi quotidiennement, à tous les instants, lorsqu’il s’agit d’interpréter le monde et de lui donner un sens.

La conscience décrite par Sartre est fondamentalement liberté, car elle est capable d’imaginer d’une part, de « néantiser » d’autre part. Pour imaginer, la conscience « doit se libérer du monde » : elle forge une image qui ne dépend pas de la perception directe d’un objet extérieur, qui s’écarte de la réalité du monde. Elle est donc en même temps capable d’éliminer, de néantiser en son sein cet objet du monde extérieur, pour forger une image qui ne dépend que d’elle. Ce pouvoir de néantisation fonde la liberté de la conscience : elle peut s’abstraire du monde mais surtout elle peut découper la réalité, en nier une partie pour se focaliser sur une autre et lui donner ainsi un sens.

Les choses du monde, informes, massives (telles qu’elles apparaissent dans La nausée) n’ont pas de sens, elles sont envahies par la contingence, fondamentalement injustifiables. Elles forment l’ « en-soi » ou « être ». Seule la conscience (le « pour-soi »), les éclairent et leur donne un sens1. Comme le dit R.- M. Alberes, « néantiser » c’est « penser, c’est-à-dire choisir, éliminer, interpréter. Donc, à travers ces vocables sophistiqués, M. Sartre ne fait qu’affirmer ceci : l’homme est une conscience qui se détache des choses et leur donne un sens2 ». La première des libertés, c’est de pouvoir se détacher des choses, de l’être, de s’en distinguer par un recul (« l’être humain repose d’abord au sein de l’être et s’en arrache ensuite par un recul néantisant3 »), de « se mettre en dehors de l’être4 ». « Cette possibilité pour la réalité humaine de sécréter un néant qui l’isole, Descartes, après les Stoïciens, lui a donné un nom : c’est la liberté5 ».

Le néant, c’est aussi l’absence, le manque, que la conscience est seule à pouvoir imaginer et ressentir. Sartre donne l’exemple du rendez-vous avec Pierre

1

Sartre reprend ici la pensée de Hegel : « Les choses naturelles sont simplement immédiates et uniques, tandis que l’homme comme esprit se redouble, d’abord parce qu’il est, comme chose naturelle, mais ensuite parce qu’il est aussi pour soi, se regarde, se représente à lui-même, pense et n’est esprit qu’au travers de cet être pour soi actif. L’homme arrive à cette conscience de soi de deux façons : en premier lieu théoriquement, parce qu’il doit devenir conscient de soi dans son intérieur, de ce qui bouge dans sa poitrine, de ce qui s’agite et se presse en lui […] En second lieu, l’homme devient pour soi par son activité pratique […] en transformant les choses extérieures, sur lesquelles il imprime le sceau de son intérieur, et dans lesquelles il retrouve alors ses propres déterminations. L’homme agit ainsi, en tant que sujet libre […] » Hegel, Esthétique, Paris, Le Livre de Poche, 1997, p. 85.

2

R.-M. Alberes, Sartre, Paris, Editions Universitaires, 1964, p. 46.

3

J.-P. Sartre, L’être et le néant, op.cit., p. 62.

4

Idem, p. 61.

5

dans un café. Je regarde la salle, les consommateurs, et je dis « il n’est pas là ». La conscience est donc capable d’exprimer l’absence, de parler de ce qui n’est pas, de repérer le manque ; elle-même est un manque, puisqu’elle « n’est pas » à la manière d’une chose mais s’éprouve comme un perpétuel mouvement de dépassement, une recherche de sens et d’action qui définit la liberté.

Cette double opération, de constitution du « pour-soi » et de néantisation, représente les prérogatives même du cogito. Comme l’affirme R. Misrahi1, il y a rigoureuse identité entre la conscience comme cogito et la conscience comme liberté.

On peut donc dire que, pour Sartre, l’être de la conscience est la liberté même. Il reprend par conséquent la vérité absolue du cogito cartésien : « il ne peut y avoir de vérité autre, au point de départ, que celle-ci : je pense donc je suis, c’est là la vérité absolue de la conscience s’atteignant elle-même2 ». Cette vérité absolue est donc facile à atteindre : elle consiste à se saisir sans intermédiaire. Sartre rajoute : « En second lieu, cette théorie est la seule à donner une dignité à l’homme, c’est la seule qui n’en fasse pas un objet ». S’arrachant à son néant, l’homme doit devenir quelqu’un, ce qui lui confère une dignité. Que l’homme doive s’arracher à la nature déterminée pour s’engager par la raison dans le règne de la liberté qui fonde sa dignité, est une notion fondamentalement kantienne3, que Sartre reprend dans son langage. Au total, l’homme n’a pas d’essence, mais une conscience qui l’ouvre sur la liberté de l’existence.

3. L’opposition du je et du moi

Ainsi, la conception du « moi » sartrien s’oppose-t-elle à celle de Bergson. Pour Bergson, le moi profond exprime notre liberté. Pour Sartre au contraire, celui qui se pense comme personne déjà constituée, comme un « moi » rassurant, qu’il peut envisager du dehors comme il le ferait pour autrui, ne fait que fuir l’angoisse4, en se réfugiant dans la fixité d’un personnage ou d’une personnalité. La liberté du Moi profond de Bergson ne trouve pas grâce aux yeux de Sartre, elle n’est là que pour rassurer, pour masquer notre angoisse aux dépens de la conscience même5. En effet, le moi du sujet n’existe pas a priori : il se construit à travers l’ensemble des expériences, c’est une unité transcendante aux états de conscience, qui réalise la synthèse permanente du psychique6 (unité des états : « je hais Pierre », des actions, des qualités : « je suis rancunier »). Sartre se méfie donc

1

R. Misrahi, Qu’est-ce que la liberté ?, op.cit., p. 108.

2

J.-P. Sartre, L’existentialisme est un humanisme, Paris, Nagel, 1966, p. 64.

3

Kant ne parle évidemment pas de néant.

4

« Ainsi fuyons-nous l’angoisse en tentant de nous saisir du dehors comme autrui ou comme une chose », L’être et le néant, ibid., p. 81.

5

« C’est à ces exigences rassurantes que Bergson a expressément satisfait lorsqu’il a conçu sa théorie du moi profond, qui dure et s’organise, qui est constamment contemporain de la conscience que j’en prends et qui ne saurait être dépassé par elle, qui se trouve à l’origine de nos actes non comme un pouvoir cataclysmique, mais comme un père engendre ses enfants, de sorte que l’acte, sans découler de l’essence comme une conséquence rigoureuse, sans même être prévisible, entretient avec elle un rapport rassurant, une ressemblance familiale […] Ainsi par une projection de la liberté dans un objet psychique qui est le Moi, Bergson a contribué à masquer notre angoisse, mais c’est aux dépens de la conscience même », ibid., p. 80.

6

de cet objet (le moi) qu’il juge « douteux » et « passif », qui ne constitue pas la liberté, qui risque d’être plutôt un en-soi, un objet précisément, qu’un pour-soi.

Cette distinction entre la conscience-liberté et le théâtre des événements psychiques qui constitue le moi, distingue également le cogito sartrien du cogito cartésien. Ce qui prime pour Sartre, c’est le Cogito préréflexif, le Je qui pense, la pensée de soi en première personne, avant qu’elle ne soit figée en un moi. Il ajoute cependant que la distinction qu’on établit entre ces deux aspects d’une même réalité (le Je et le Moi) paraît simplement fonctionnelle, pour ne pas dire grammaticale.

Poursuivant la réflexion de Sartre sur la transcendance de l’ego, H. Ey distingue l’actualité du vécu, le Je de la conscience subjective dans le champ actuel de la conscience et le Moi qui transcende cette réalité vécue en s’inscrivant dans une histoire (une biographie) et dans un système de valeur. Le Moi est donc « le sujet étoffé », construit au travers du passé, ouvert au temps à venir, formé par les valeurs et les fins propres aux projets de l’ego. « C’est dans la mesure où le Sujet transcende sa propre expérience […] émerge de la nécessité du vécu pour se constituer en personne consciente de son monde et libre de son destin, c’est précisément dans ces modalités de transcendance que le Moi se fonde alors comme l’Ego, le Self, qui se construit dans l’individualité de son être propre1 ». Ce qui amène aussi l’auteur à distinguer deux types de pathologie psychiatrique : les déstructurations de la conscience (états confusionnels, expériences délirantes et hallucinatoires, états maniaco-dépressifs) d’une part, les désorganisations de la personnalité d’autre part (le moi caractéropathique, le moi névrotique, le moi aliéné dans les psychoses chroniques et le moi démentiel). On peut noter qu’H. Ey, s’il insiste sur le passage de la simplicité du « Je » à la complexité du « Moi »2, n’établit pas clairement de différences entre personnalité et personne, ni d’ailleurs entre « moi » et « soi » (ou self, identité) ; par contre, être un personnage, c’est être « quelqu’un », assumer un rôle, s’identifier soi-même à cette personne que l’on veut et doit être3.

Cette distinction entre le je et le moi nous paraît importante lorsqu’il est question de conscience et de liberté. Nous rejoignons ici la réflexion de F. Quéré4 :

« La nature propre de la subjectivité est à repenser dans la dualité radicale du moi, qui est la personnalité dans ses expressions objectives et du je, qui anime la personne dans la racine la plus secrète. Je crois même qu’il n’y a pas d’éthique concevable sans le rappel d’une nature toujours en tension chez l’homme : le moi représente l’ensemble des traits constitutifs de la personnalité, la découpe dans l’espace, le sourire, le langage, bref le style, qui lui permet d’être reconnu par les autres. Mais une présence s’affirme en lui, qui ne vient pas de son rayonnement ou de ce qu’il ressent. La conscience de soi, désignée par le je, confirme l’autoposition du sujet dans le monde, la précellence absolue de la subjectivité à qui revient le privilège de la maîtrise de soi, c'est-à-dire de la liberté ».

1

H. Ey, La conscience, op.cit., p. 255.

2

Idem, p. 362.

3

Ibid., p.347.

4

Ainsi le moi est-il le théâtre des événements psychiques et le je la véritable nature du sujet conscient et libre. On peut dire que l’altération des consciences concerne autant, quoiqu’à des moments et à des degrés différents, le je de la conscience-liberté que le soi de la conscience-identité, en épargnant plus longtemps et de façon souvent imparfaite le moi, si on entend par là les traits de la personnalité ou du caractère, dont Ricœur fait plutôt un élément constitutif de l’identité-idem.

Cependant, si le je de la conscience-liberté sartrienne s’oppose au moi de Bergson, les deux auteurs s’accordent pour dire que la fonction essentielle de la conscience-liberté est de sortir d’un « moi » figé par les automatismes et de rompre la torpeur des routines pour accéder à des stratégies originales et des choix personnels de vie ; on peut ajouter que cette fonction, qui correspond à une lourde exigence existentielle, est étroitement liée au bon fonctionnement du lobe frontal et des systèmes mnésiques.

Le problème se situe précisément dans la lourdeur de l’exigence existentielle, qui ne peut répondre à une éthique centrée sur les situations de vulnérabilité.