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La confrontation entre culture réunionnaise et modèle national

Chapitre 2 Au regard du contexte culturel français et réunionnais et de l’organisation

B. La confrontation entre culture réunionnaise et modèle national

a. La langue créole : élément polémique de l’identité réunionnaise

La culture se voit fortement politisée en raison des débats sur la langue créole et son emploi dans les lieux institutionnels notamment. Il est d’ailleurs demandé « que le créole soit reconnu comme une langue régionale et que des moyens soient alloués à la recherche et à la diffusion du créole. »134 En effet, actuellement, le français et le créole ne sont pas employés dans les mêmes situations. Si le français est de mise « dans les situations formelles et publiques », le créole est utilisé à l’inverse « dans les situations informelles et privées »135. La Réunion n’est pas un cas isolé. En effet, les langues régionales sont aujourd’hui de véritables enjeux culturels européens au sujet desquels le Parlement européen et le Conseil de l’Europe ont dû s’exprimer.

« Le Parlement européen a voté le 30 octobre 1987 une résolution sur les langues et cultures des minorités régionales et ethniques de la Communauté Européenne. Elle rappelle qu’il « est indispensable que les Etats-membres reconnaissent leurs minorités linguistiques dans le cadre de leur ordre juridique, créant ainsi la condition du maintien et du développement des cultures et des langues régionales et ethniques ». Cette résolution s’inscrit à la suite de la Conférence de Florence de 1987 où a été présenté un projet de charte tendant à la protection et à la promotion des langues régionales et minoritaires. »136

Ces déclarations impliquent « la reconnaissance solennelle des langues régionales et minoritaires, la condamnation de toute discrimination à leur encontre, le droit d’utiliser ces langues dans diverses circonstances de la vie publique et privée, le soutien positif des pouvoirs publics à ces langues en leur faisant leur place dans le système éducatif, dans les services publics, dans les médias et dans les institutions culturelles. »137

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REGION REUNION ET CCEE. Place de l’activité culturelle dans l’économie de la Réunion. Page 21

135 DE SIGOYER, Marie-Angèle. Identité réunionnaise et politiques culturelles à la Réunion. Page 21 136

Ibid. Page 42

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En ce qui concerne le spectacle vivant, l’utilisation du créole dans la création théâtrale est une véritable problématique. En effet, les artistes réunionnais doivent choisir entre d’un côté s’exprimer librement dans leur langue maternelle qu’est le créole et risquer d’exclure le public métropolitain et, par la même occasion, de se fermer les portes de l’exportation, d’un autre côté de renoncer à leur identité créole symbolisée par la langue créole pour se fondre dans un moule conformément aux critères nationaux.

b. De l’identité locale à l’identité nationale

Lorsque Jean Cabaret, secrétaire général et responsable de la programmation au Séchoir affirme que la Réunion est soumise aux critères d’excellence française mais différemment qu’en métropole, il soulève tous les enjeux culturels de l’île138

: comment préserver ses spécificités et son identité tout en s’inscrivant dans le modèle occidental défini par les institutions publiques ? En effet, la Réunion subit également les influences de toute la zone océan Indien, ce qui crée nécessairement un écart entre les programmations et les créations à la Réunion et en métropole. Les critères de ce modèle européen nuisent gravement aux compagnies réunionnaises dont les créations se voient laisser pour compte, faute d’être facilement catégorisables. Le risque de ne plus être libre de créer selon sa culture, voire même dans sa langue maternelle, pèse sur les artistes créoles qui craignent le pouvoir des institutions. Rieul Latchoumy, alors directeur de la salle Guy Alphonsine, remarque d’ailleurs que « Dès qu’on est passé à la politique du « subventionisme » la création fut marquée par les volontés politiques. Nos bals tamouls bien naïfs qui existaient à la Réunion ont été mis au placard parce qu’ils ne correspondaient plus aux logiques de subventions culturelles. Finalement on a perdu des traditions artistiques avec le système des subventions. »139

« En définitive, le système français déconcentré mais aussi les collectivités territoriales viennent filtrer le flot de créations locales. Lolita Monga, dramaturge réunionnaise nous confiera : « La Réunion c’est une adolescente il faut la laisser grandir. » Il semblerait que tout se résume ici : la Réunion est en construction, elle s’invente, elle se crée des traditions, elle a déjà imaginé sa musique, elle en train de mettre en scène son théâtre. Mais alors comment proposer du

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Elément relevé lors de la Rencontre professionnelle du vendredi 10 mai 2013 autour du thème « Vers un meilleur rayonnement des spectacles créés à La Réunion et dans l’océan Indien » durant Leu Tempo.

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BELIN, Ophélie. Portrait de l’île de la Réunion – Entre question identitaire, action culturelle et vision

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spécifique, des traditions dont le besoin culturel se fait ressentir, des traditions certainement perdues, oubliées car trop peu enracinées, pas assez construites pour être transmises ou qui se sont heurtées à une politique et à une médiatisation trop fortes pour continuer à exister, dans un système français de subventions publiques, qui, semblerait-il, a du mal à reconnaître des formes difficilement catégorisables ? »140

L’univers artistique et culturel réunionnais subit donc les effets de l’indécision politique. Les salles et compagnies se voient contraintes de choisir entre l’affirmation des différences et des spécificités locales d’un côté et la nécessité de correspondre au modèle national pour avoir la possibilité de se développer de l’autre côté. Pour les artistes, ce choix peut avoir de réelles incidences sur leur possibilité de diffusion et d’exportation à l’extérieur du territoire réunionnais.

2. De la création à la diffusion : problématiques et stratégies

des acteurs culturels réunionnais

Riche d’une création artistique abondante, la Réunion est un véritable vivier de compagnies de théâtre, de danse ou de musique. Cependant, si l’île est reconnue pour son dynamisme culturel, la création locale a bien du mal à dépasser les frontières de son territoire. La chaîne allant de la création d’une œuvre à sa diffusion est en effet une problématique très prégnante et les acteurs culturels locaux doivent mettre en place des stratégies pour tenter de faire face à ces difficultés.