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Partie I : Synthèse bibliographique

C) Diversité des métabolites produits

1) La colibactine

a) Eléments structuraux

Comme nous l’avons vu, la biosynthèse de la colibactine est complexe. Plus qu’une précolibactine, il existe en fait vraisemblablement des précolibactines de structure différente qui vont être clivées par ClbP. On ne connait aujourd’hui que des structures de précolibactines ou d’intermédiaire, la structure des colibactines étant déduite de ces dernières. La ou les colibactines génotoxiques sont en effet très réactives et probablement produites en faible quantité ce qui a tenu en échec pour le moment toute tentative d’isolement et d’élucidation structurale. L’ensemble des études des chimistes sont donc réalisées sur différents mutants de gènes de l’îlot pks (ΔclbP notamment, mais également ΔclbQ…) afin d’accumuler certains intermédiaires en amont des enzymes délétées et en déterminer la structure. Il faut donc garder à l’esprit que cette approche, pour l’instant la seule disponible, induit des biais importants dans l’élucidation structurale. En effet, il n’est pas impossible que l’interruption d’une des étapes de la biosynthèse perturbe le cheminement et l’élongation de l’oligomère et induise des « erreurs » ou redirige la biosynthèse vers des métabolites qui n’auraient normalement pas été produits, notamment grâce ou à cause de l’édition par ClbQ. De même, la persistance du C14-Asn chez un mutant ΔclbP pourrait entraîner des remaniements comme des cyclisations donnant lieu à des interprétations erronées (113).

Différents intermédiaires ont permis d’établir des hypothèses quant à la partie réactive de la colibactine. Un motif dit en « ogive » a été tout d’abord proposé (Figure 10 A.) (114). Ce cycle électrophile est similaire à celui retrouvé chez différents agents alkylants de l’ADN. De plus, le noyau bithiazole, confirmé chez différents mutants, est analogue aux motifs de certaines molécules aux propriétés intercalantes (bléomycine…) (105,114). Plus récemment, suite à la mise en évidence de l’incorporation possible d’un résidu aminomalonyl lors de la biosynthèse, une autre structure radicalement différente a été proposée (96). Le motif bithiazole pourrait disparaitre au profil d’un macrocyle, toujours avec des propriétés génotoxiques (96) (Figure 10 B.).

Figure 10 : Différentes structures de colibactines proposées. A. Structure avec cycle réactif en ogive. B. Structure avec macrocycle incorporant un résidu aminomalonyl (en rouge). D’après (95).

Noyau bithiazole Cycle spiro-cyclopropane en

« ogive »

33 b) Effets en physiopathologie

De nombreuses propriétés biologiques ont été associées à la colibactine depuis sa découverte (impact dans la virulence, la colonisation intestinale, la carcinogenèse, y compris pour des souches commensales…(pour revue voir (91)).

Effets cellulaires / génotoxicité

Chez des cellules infectées par des bactéries pks+, il a d’abord été mis en évidence des cassures double- brins de l’ADN (90). Ce type de lésion n’est pas retrouvé sur de l’ADN extracellulaire purifié. Récemment, il a été montré que la colibactine induit également la formation de ponts inter-brins de l’ADN. La formation de ponts inter-brins de l’ADN par la colibactine a été initialement décrite par des essais in vitro à partir de précolibactine isolée (114). Cette activité a été reproduite dans l’équipe à partir de colibactine produite directement par des bactéries (ADN cellulaire in vivo et ADN purifié ex- cellulo) (115). Il y a alors activation de la voie ATR (ataxia-telangiectasia and Rad3-related kinase) puis recrutement de FANCD2 (protéine D2 de l’anémie de Fanconi), la protéine de réparation des ponts inter-brins de l’ADN. Il est proposé que les ponts inter-brins de l’ADN soient convertis en cassures double-brin lors de leur réparation, à l’origine de ce type de lésions initialement observées.

L’apparition de cassures double-brin chez des cellules eucaryotes entraîne la mise en place de voies de réparation de l’ADN (voie de signalisation ATM/Chk/Cdc25) (Figure 11). Cette cascade de signalisation peut conduire à l’arrêt du cycle cellulaire. Il y a également phosphorylation de l’histone H2AX en γ- H2AX au niveau des cassures double-brin.

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Figure 11 : Conséquences cellulaires des dommages à l’ADN. La formation de cassures double-brin de l’ADN liées à la colibactine active ATM/ATR, ce qui induit la phosphorylation de H2AX (en γ-H2AX), le recrutement de la check-point kinase (CHK), l’activation des machineries de réparation de l’ADN et à terme l’apoptose et la sénescence cellulaire. L’arrêt du cycle cellulaire résulte de l’exclusion nucléaire de Cdc25 et de l’accumulation de p21, inhibiteur des cyclines dépendantes kinases (CDK) qui sont nécessaires à la progression du cycle cellulaire. En cas de réparation incomplète de l’ADN suite notamment à une exposition chronique à faible dose de génotoxine, les cellules peuvent accumuler des mutations et développer une instabilité génomique. D’après (91).

En fonction de l’intensité des dommages, les conséquences peuvent être différentes. Ainsi, à forte dose infectieuse, si les dommages à l’ADN sont massifs, l’apoptose sera déclenchée chez les cellules. A plus faible dose, on observera de la sénescence cellulaire et un arrêt du cycle cellulaire, marqués par le phénotype de mégalocytose (élargissement des cellules) (116). Les cellules touchées par la sénescence induite par la colibactine produisent des médiateurs pro-inflammatoires. On parle de phénotype sécrétoire associé à la sénescence (SASP). Des données in vitro indiquent que cette sécrétion pourrait favoriser la croissance de cellules tumorales de manière paracrine (116). Enfin, en cas de faible dose, il peut y avoir réparation des dommages à l’ADN et poursuite du cycle cellulaire. Cependant, il peut persister des dommages résiduels chez certaines cellules qui vont continuer leur prolifération. Ainsi, il a été observé des anomalies chromosomiques persistantes avec augmentation de la fréquence de mutations géniques (117).

35 Impact sur la carcinogenèse

L’impact des bactéries productrices de colibactine dans le cancer a jusqu’à aujourd’hui été essentiellement étudié au niveau digestif, le microbiote intestinal en étant le réservoir. Des études montrent une plus grande prévalence de E. coli pks+ chez les patients atteints de cancer colorectal (118). Comme nous l’avons vu, les dommages induits sur des cellules, y compris des cellules intestinales d’animaux infectés, peuvent engendrer une instabilité chromosomique persistante et des mutations géniques qui pourraient favoriser l’apparition de lésions cancéreuses (117). Les cellules infectées peuvent modifier leur environnement par le SASP, et pourraient favoriser ainsi la croissance de tumeurs (119). De manière intéressante, la présence de bactéries pks+ est procarcinogène dans un modèle murin avec inflammation colique (120). Le rôle exact de la colibactine dans le cancer colorectal doit encore être démontré et il est très probable qu’elle agisse en synergie avec d’autres acteurs (autres toxines bactériennes par exemple de Bacteroides fragilis, mycotoxines présentes dans l’alimentation comme le déoxynivalénol… (121,122)).

Impact sur la virulence

La présence de l’îlot pks est associée à la virulence des bactéries porteuses dans plusieurs modèles d’infections. Dans un modèle murin de sepsis à E. coli, la présence d’un îlot pks intact diminue le taux de survie (123). Cet effet peut être lié entre autres à la colibactine qui induirait des dommages à l’ADN des lymphocytes et exacerberait la lymphopénie lors du sepsis. Le tropisme méningé et la virulence dans un modèle de méningite à Klebsiella pneumoniae sont également liés à l’îlot pks, de même que la capacité à induire une infection systémique à partir de l’intestin (124). Seul un mutant clbA a été testé dans ces études, or l’enzyme ClbA est pléiotrope, comme on le verra par la suite. Toute la perte de la virulence chez un mutant clbA ne peut être attribuée qu’en partie à la colibactine. Une autre étude a en effet porté sur la virulence de mutants clbA et clbP dans un modèle d’infection néonatale à E. coli (125). La virulence est également atténuée chez le mutant clbP. En revanche, elle est plus impactée chez le mutant clbA que chez le mutant clbP qui touche plus spécifiquement le relargage de la colibactine en l’état actuel des connaissances.

Impact sur la colonisation intestinale

Dans les études épidémiologiques, il est retrouvé une part croissante d’individus des pays industrialisés qui possèdent des E. coli du groupe B2 au sein de leur microbiote intestinal, au détriment du groupe A, en corrélation avec un portage de souches pks+ (126). Rappelons que la colonisation intestinale est une des étapes préalables à la survenue d’une infection urinaire. La colibactine serait à l’origine d’une meilleure colonisation intestinale, car différents mutants de l’îlot pks sont impactés dans leur capacité de s’établir au sein du microbiote dans un modèle murin de transmission néonatale (données non publiées). En particulier, deux phénomènes de perturbation de l’homéostasie intestinale ont été

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observés en modèle murin : (i) la colonisation dès la naissance par des E. coli producteurs de colibactine induit des dommages à l’ADN des cellules épithéliales et une perturbation de la barrière intestinale à l’âge adulte (127) ; (ii) à l’âge adulte, l’augmentation de la perméabilité intestinale observée est à l’origine d’une augmentation de la réponse immunitaire aux antigènes présents dans la lumière intestinale, ce qui pourrait favoriser la survenue de manifestations dysimmunitaires (128).

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